Extrait d'un article de Franck Jullié sur Nouvelles de France :
"La bible, dans la précision de son vocabulaire, distingue quatre mots pour décrire les étrangers : le ger (גֵּר), le toshabh (תּוֹשָׁב), le nekhar (נֵכָר), le zar (זָר).
Le ger est un habitant d’un pays qui n’est pas sa patrie. Abraham fut un ger au pays de Canaan (Gn 23.4), Moïse fut un ger au pays de Madian (Ex 2.22) et nomma son fils aîné Gershom car, dit-il, « je suis un immigré (ger) en terre étrangère (nekhar) ». Les Israélites furent des ger au pays d’Egypte (Gn 15.13).
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Sur le plan spirituel nekhar peut désigner les dieux étrangers, les faux dieux (Gn 35.2,4 ; Dt 31.16 ; Jos 24.20,23 ; Jg 10.16 ; 1 S 7.3 ; 2 Ch 14.2). Ce qui comporte une connotation négative.
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Le mot zar désigne ce qui est étranger dans le contexte où il est cité. Il peut signifier un sang étranger à une famille – un non Aaronite (Nb 16.40), un non-Lévite (Nb 1.51), un membre extérieur à une famille définie (Dt 25.5) – un laïc en opposition à un sacrificateur et sa famille (Lv. 22.10-13), les enfants illégitimes (Os 5.7), la courtisane assimilée à une étrangère (Pr 2.16), ce qui est profane par opposition à ce qui est saint (Ex 30.9).
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Le statut de toshabh n’est pas très développé dans les Ecritures. Abraham se présente en Genèse 23.4 comme étranger (ger) et habitant (toshabh) parmi les fils de Heth : Je suis étranger (ger) et habitant (toshabh) parmi vous; donnez-moi la possession d’un sépulcre chez vous, pour enterrer mon mort et l’ôter de devant moi.
Il est possible que son sens se rapproche de celui de ger avec l’idée d’un séjour passager et non définitif. Le toshabh ne peut pas manger la Pâque (Ex 12.45) ni les choses saintes (Lévitique 22.10). La loi du Jubilé ne lui profite pas (Lv 25.45). Mais il est au bénéfice de la justice et de la protection des villes refuges en cas d’homicide involontaire (Nb 35.15).
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Le théologien Eric Kayayan nous rappelle que « l’étude du contexte de l’emploi du mot ger dans l’Ancien Testament doit nous éclairer sur sa reprise contemporaine fallacieuse pour un accueil indiscriminé. En particulier le passage de Lévitique 19.33,34 se trouve cité à tout propos et surtout hors de propos dans certains cercles ecclésiastiques. Hors de propos et de contexte, dans la mesure où l’hospitalité et l’égalité de traitement avec l’étranger dans l’Ancien Testament sont intimement liées à son inclusion à divers degrés dans la communauté de l’Alliance, à sa participation aux rituels et fêtes religieuses, avec leurs interdits (Ex 12.19,48-49 ; Lv. 17.8,9 ; Nb 9.14, 15.15,26 etc.). En résumé, dans l’Ancien Testament l’immigrant est certes le bienvenu et ne saurait être opprimé (Ex. 23.9). S’il en exprime le désir (cela ne lui est pas imposé) il peut même participer à la Pâque du Seigneur dans les mêmes conditions que l’autochtone, mais en aucun cas il ne saurait devenir un vecteur d’idolâtrie, d’introduction d’une religion païenne qui contaminerait le peuple de l’Alliance. Dans Esdras 10 et Néhémie 13 une situation de paganisation de la petite communauté de Juda a atteint de telles proportions que les chefs de la communauté doivent réagir très fortement.
Il apparaît donc de ces données bibliques qu’un appel à quelques passages scripturaires plaqués artificiellement sur notre situation actuelle, occulte volontairement la dimension religieuse et cultuelle de l’assimilation de l’étranger dans l’Ancien Testament. A tout le moins ce décalque artificiel a pour but de remplacer la religion biblique et ses exigences éthiques et cultuelles (aussi bien pour l’autochtone que l’immigrant) par une religion humaniste sécularisée : dans la mesure où les lois de la République y font office de Loi suprême, les immigrants qui accepteraient de s’y soumettre peuvent (devraient) être mis sur le même pied que les immigrants dans l’Ancien Testament. Nous avons naturellement là affaire à un christianisme non-doctrinal étranger à la parole de Dieu »."