Mardi matin sur Radio Notre-Dame, Mgr Aupetit, archevêque de Paris, s’en est pris, d’une façon assez cavalière, aux catholiques qui communient sur la langue et qui seraient responsables, rien de moins, de l’interdiction des messes publiques ! De nombreux catholiques se sont publiquement émus de cette accusation et je vous renvoie à la lettre ouverte de Jean-Pierre Maugendre ou à celle de cette fidèle sur L’Incorrect.
Attachons-nous à montrer à l’archevêque de Paris que :
- tout archevêque qu’il est, il ne lui est pas possible d’interdire la communion sur la langue ni d’obliger ses prêtres à refuser de la donner sous cette forme
- il n’est pas démontré que la communion sur la langue accroisse le risque de diffusion du virus.
Mgr Christophe J. Kruijen, prêtre du diocèse de Metz, a travaillé auprès de la Congrégation pour la doctrine de la foi de 2008 à 2016. Docteur en théologie dogmatique, il a publié dans Sedes Sapientiae un article sur l’interdiction de la communion donnée sur la langue. Après avoir rappelé la législation en vigueur quant à la réception de la Sainte Communion (Memoriale Domini, La dernière édition du missel, Redemptionis Sacramentum), il écrit que l’interdiction de la communion sur la langue est de soi invalide.
À supposer même qu’il soit avéré que la distribution de la communion sur la langue entraîne un risque sanitaire déraisonnable, il serait de toute manière nécessaire que d’éventuelles mesures prises à ce sujet aient un fondement légal incontestable, surtout en une matière aussi sensible.
Puis il en vient à la question du risque sanitaire :
L’interdiction de la distribution de la communion sur la langue décidée par de nombreux évêques se fonde sur le présupposé implicite, jamais formulé ouvertement, que ce rite liturgique présenterait un plus grand risque de contamination que la distribution de la communion dans la main. Or cela n’est pas démontré. En tous cas, du point de vue historique, la pratique millénaire de la communion administrée sur la langue, même par temps d’épidémie, n’a apparemment pas été un facteur significatif de contamination. S’il en avait été autrement, jamais les responsables ecclésiastiques n’auraient maintenu cette pratique en temps de crise sanitaire.
De manière générale, une agence sanitaire du gouvernement des États-Unis a retenu récemment que, « en l’état actuel, il n’y a pas d’indication permettant d’affirmer la transmission du covid-19 en lien avec la nourriture » et « qu’il y a également très peu de risques de propagation à partir de produits alimentaires ou d’emballages »[17].
L’Institut thomiste de la Faculté pontificale des dominicains à Washington, D.C., a créé un groupe de travail qui a élaboré des directives pour la pastorale sacramentelle dans le contexte des maladies infectieuses. Ce groupe, composé de théologiens et d’experts scientifiques, notamment dans le domaine des maladies infectieuses, a retenu ce qui suit :
Nous avons considéré avec attention la question de la communion sur la langue versus la communion dans la main. Compte tenu des directives de l’Église sur ce point (cf. Redemptionis Sacramentum, no 92) et reconnaissant les jugements et les sensibilités divergents qui sont en cause, nous croyons que, moyennant les précautions énumérées ici, il est possible de distribuer la communion sur la langue sans risque déraisonnable. Les opinions à ce sujet sont variées au sein de la communauté médicale et scientifique : certains croient que la communion sur la langue implique un risque élevé et [même] déraisonnable à la lumière de toutes les circonstances ; d’autres ne partagent pas cette opinion[18].
Après avoir consulté deux médecins qui ont estimé que la communion distribuée sur la langue ou dans la main comportait un risque plus ou moins équivalent, l’archidiocèse de Portland (États-Unis), a ainsi décidé de ne pas interdire la communion sur la langue[19].
Le médecin italien Fabio Sansonna a fait valoir que le covid-19 se transmet par voie aérienne, et non par la salive, tant que celle-ci demeure à l’état liquide (la salive contient par ailleurs un antiseptique naturel, le lysozyme ou muramidase qui est employé comme médicament dans la lutte contre le covid-19). Le Dr Sansonna retient en définitive que ni la communion dans la bouche ni la communion dans la main ne représentent un risque important de contamination au covid-19[20].
En partant du constat que les mains sont la partie du corps la plus exposée au virus, le Prof. Filippo Maria Boscia, président national des médecins catholiques d’Italie, retient que la distribution de la communion dans la main est moins sûre sur le plan hygiénique que de déposer l’hostie sur la langue[21].
La médecin Silvana De Mari a exprimé, elle aussi, la conviction que la communion sur la langue est hygiéniquement la plus sûre pour la santé[22].
Pour des motifs similaires, un groupe de 21 médecins catholiques a fait appel à la Conférence des évêques d’Autriche pour qu’elle supprime l’interdiction de la communion dans la bouche[23]. De fait, le 20 juin 2020, ladite Conférence a mis un terme à cet interdit, tout en continuant à préconiser la communion dans la main[24].
Il semble en effet contradictoire d’insister sans relâche sur la nécessité de désinfecter fréquemment les mains, tout en imposant simultanément la communion dans la main. Certes, il est demandé aux fidèles de désinfecter leurs mains à l’entrée de l’église, mais ce geste ne les empêchera pas de toucher beaucoup d’objets ou de parties de leurs corps, potentiellement contaminés, entre le moment de la désinfection et celui de la communion. S’il est vrai que la communion dans la bouche comporte un risque potentiel lié au contact, toujours possible, avec la langue ou les lèvres du fidèle, cette manière de distribuer la communion évite en revanche totalement les risques liés au contact avec les mains des fidèles. Les mesures décidées par de nombreux évêques prescrivent donc un mode de communier dont il n’est pas vraiment certain qu’il soit plus sûr du point de vue sanitaire, et qui pourrait même être moins sûr que la communion sur la langue.