Par Antoine Bordier, auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte) :
Je suis arrivé pour la première fois au Liban, le 18 mars 2023. C’était la veille de la saint Joseph, chez les Franciscains, de la rue Gouraud. Depuis longtemps, je rêvais de me rendre au Pays du Cèdre, que Lamartine appelait la Perle du Levant. Les trente années précédentes, j’avais côtoyé des Libanaises et des Libanais au teint hâlé, à la foi chevillée au corps, aux r roulés, et aux racines drapées de rouge, de blanc et de vert. C’est ma plume, finalement, qui me fera embrasser cette terre cananéenne. Je n’imaginais pas que sur ces 151 jours, j’allais en vivre 17 sous les bombes. Reportage-témoignage sous le regard de Lamartine et de saint Charbel.
Mes aventures libanaises, finalement, ont commencé il y a plus de trente ans, lorsque jeune étudiant je faisais la connaissance, à Paris, de ces deux séminaristes maronites, qui venaient étudier en France. Ils étaient originaires de Jounieh, une ville côtière qui se situe à 19 km au nord de Beyrouth, la capitale. Puis, à Paris, je rencontrais Jehanne et Sami. Jehanne travaillait dans l’audit, et Sami était étudiant en biologie. Il avait fait la guerre. Ou plutôt les guerres, celles qui ont frappé le pays des Phéniciens entre 1975 et 1990. Jehanne est restée en France, comme Sami. La France, cette terre d’accueil unique en son genre, qui est la sœur aînée, le phare et la servante de nombreux peuples en souf-france. Au Liban, une guerre sans fin, sans paix durable, continue sous nos yeux, avec ces cessez-le-feu. Cette terre est très convoitée. Elle est si fertile, généreuse et sainte. Poétique, elle a été foulée au 19è siècle par de nombreux académiciens français, de nombreux auteurs, de nombreux poètes. Cette terre de feu et de sang où coule le sang, rouge, blanc et vert, des martyrs.
La Terre Sainte du Levant
Oui, avant Alphonse de Lamartine, avant Gustave Flaubert, avant Gérard de Nerval, avant Hélène Carrère d’Encausse, la Terre du Levant était, déjà, une terre où la plume virevoltait entre les bruyères, les cèdres millénaires, les cyprès, les bougainvilliers, les pins, les pistachiers, les sycomores et les térébinthes.
Elle est une Terre Sainte, sur laquelle de nombreux scribes ont écrit. Dans la Bible, le pays est cité 69 fois ; le cèdre 51 fois, et les villes de Tyr et de Sidon, respectivement, plus de 60 et 30 fois.
Quant à Byblos, ou Jbeil, cette vieille ville phénicienne n’est citée qu’une seule fois.
Le Liban, même dans sa coupe géographique, est lyrique car il ressemble à une harpe. Ses cordes sont le mont Liban et l’Anti-Liban. Deux chaînes de montagnes qui donnent à ce relief une originalité unique au monde, avec la célèbre vallée de la Bekaa, un nouveau paradis terrestre tant jalousé.
Le mont Liban culmine à plus de 3000 mètres et la deuxième chaîne à plus de 2800 mètres. Cette-dernière forme une frontière naturelle avec la Syrie. Alors que le mont Liban étend ses gorges, ses ravins et ses vallées comme les doigts d’une main plongeant en Méditerranée.
Le Livre des Rois
Il est bon de relire ces versets bibliques du Premier Livre des Rois (chap. 5, des versets 15 à 32) :
« Hiram, roi de Tyr, envoya des serviteurs auprès de Salomon, car il avait appris qu’on lui avait donné l’onction comme roi à la place de son père. En effet, Hiram avait toujours été l’ami de David. […] Salomon envoya ce message à Hiram : « Tu sais que David, mon père, harcelé par les guerres, n’a pas pu bâtir une maison pour le nom du Seigneur son Dieu, jusqu’à ce que le Seigneur eût mis sous ses pieds les ennemis qui l’encerclaient. Mais à présent, le Seigneur mon Dieu m’a donné le repos de tous côtés ; je n’ai plus d’opposants ni de dangers à craindre. Ainsi, j’ai décidé de bâtir une maison pour le nom du Seigneur mon Dieu, selon la parole du Seigneur à David, mon père : “Ton fils, celui que je mettrai après toi sur ton trône, c’est lui qui construira la Maison pour mon nom !” Maintenant donc, ordonne que l’on coupe pour moi des cèdres du Liban. Mes serviteurs travailleront avec les tiens, et je te donnerai pour leur salaire ce que tu me fixeras ; car tu sais qu’il n’y a personne chez nous qui sache couper les arbres comme les gens de Sidon. […] Puis les maçons de Salomon et ceux d’Hiram, ainsi que les gens de Byblos, taillèrent et préparèrent le bois et les pierres pour construire la Maison. »
Au temps du Christ, c’est à Cana, à 13 kms au sud-est de Tyr (il y a deux Cana, l’autre est en Israël, près de Nazareth), qu’aurait eu lieu le premier miracle de Jésus, lors des Noces de Cana. Pendant sa vie publique, Jésus s’est souvent retiré dans la région de Tyr et de Sidon. Avec sa mère, il s’est rendu dans la région qui porte le joli nom de Maghdouché. A leur époque, il n’y avait pas de frontières, et toute cette région faisait partie de l’Empire Romain.
Des Cananéens et des Phéniciens ont conquis le monde
Les cités de Tyr, de Sidon et de Byblos sont emblématiques de ce qu’est le Liban. C’est avec le Rotary Club de Saverne, que j’ai découvert Byblos, Jbeil, en mars 2023. Cette cité est l’une des plus anciennes du monde. Des vestiges remontent à plus de 7000 ans ! Son petit port cananéen, puis phénicien, était l’un des plus dynamiques avec ceux de Tyr et de Sidon, il y a 3000 à 4000. Il faut voir son enceinte fortifiée, ce qu’il en reste, plongée dans la mer Méditerranée, éclairée par les rayons dorés d’un soleil finissant sa course quotidienne. La pierre aux couleurs de sable et de terre foncée est comme grêlée par des gouttelettes d’eau salé projetées par les vagues qui sans cesse, comme dans un refrain, s’y abattent. Ces cités, leurs pierres et leurs vestiges, inscrites au patrimoine universel de l’UNESCO, en disent long sur ces peuples cananéens (qui vivaient vers l’an 2000 avant J.C.) et phéniciens (vers l’an 1000 avant J.C.) qui ont conquis de leurs célérités commerciales pacifiques les villes du pourtour méditerranéen.
C’est avec Naji Farah, le célèbre guide touristique du Liban, que je me suis rendu à Tyr, Sidon, Cana, Maghdouché, etc. Il est plus qu’un guide. Francophone, devenu francophile, il a vécu en France dans les années 80-90, pour continuer ses études en sûreté. Il est fortement engagé dans les liens d’amitié qu’il tisse entre la France et le Liban. Il est à l’origine, avec d’autres, de l’association RJ Liban (Rassemblement de la Jeunesse Libanaise). Pour lui, « la jeunesse reste la clef du Liban ». Il est rentré au Pays du Cèdre après la fin de la guerre. Il passe sa vie entre le Liban, la France et le Brésil ! Il connait l’histoire de son pays par cœur, à l’époque où le Liban s’appelait Canaan.
Le Liban et la France
Ah, que serait la France sans le Liban, qui lui donne ce supplément d’âme lié à la Terre Sainte ? Et, que serait le Liban sans la France, qui lui assure, depuis que le Roi Louis IX, saint Louis, s’est engagé à le faire, protection ! Le temps des Croisades n’est pas celui de la reconquête de la Terre Sainte de Jérusalem tombé sous le sabre de l’Islam. Non, il est d’abord le temps d’un hommage, d’un pèlerinage, d’un voyage sur les pas du Christ. Il ne peut être décorrélé de la politique et des conquêtes arabes.
Depuis saint Louis, la France n’a pas cessé d’être aux côtés des Libanais, de tous, à commencer par les Maronites.
Elle l’est, toujours, principalement à travers les écoles francophones qu’elle a fait pousser de terre, lors de l’arrivée des Jésuites au 19è siècle. Ecoles, Collèges, Lycées, Universités, Observatoires, Vignobles, ils ont semé et planté énormément au Liban, presque partout. Ils ont créé de l’activité.
Il en est de même des Frères des Ecoles chrétiennes, des Ecoles lassaliennes.
L’Education francophone
Oui, elle est belle la jeunesse libanaise. Je lui ai, d’abord, rendu visite dans cette montagne, celle de Baskinta, un village perché à 1300 mètres d’altitude, à une heure de Beyrouth. Antoine Mdawar dirigeait l’école Saint-Pierre fondée par les Lassaliens. Il y a 5 ans, il avait réussi à la sauver car elle était menacée de disparition, faute de moyens financiers suffisant. Avec les anciens et des associations, comme le Rotary Club d’Antony, non seulement, il a réussi à la sauver, mais il lui a donné une nouvelle impulsion.
Aujourd’hui, il dirige le collège Notre-Dame, à Furn El Chebbak, dans le sud de Beyrouth, à la limite du quartier Hezbollah bombardé par Israël. « Oui, je suis très inquiet pour la suite. Nous avons des familles qui ont été touchées par les bombardements. Notre école est ouverte à tous. Elle est située à une centaine de mètres des lieux de bombardements. Nous avons besoin de l’aide de la France… » Il est un francophone devenu francophile ! Mais sans la France, que va devenir le Liban ?
La belle jeunesse
Ah, cette jeunesse qui fend le cœur, parce qu’elle est résiliente et qu’elle résiste sous les bombardements. Certains jeunes ont quitté le pays, mais d’autres, comme Fidèle Maroun, Fadi Najjar, Neemat et Hikmat Mdawar résistent. Ils sont unanimes et disent en cœur :
« Oui, ce que nous vivons est devenu dévastateur. Est-ce qu’on reste au Liban, dans cet environnement où la vie devient un danger presque permanent, ou on part ailleurs, dans un environnement porteur, dans un havre de paix, où on est attendu ? Nous les jeunes, nous étudions, nous voulons nous marier, fonder une famille, réussir professionnellement, gagner de l’argent, être utile et rester solidaire. Mais, ces tragédies nous empêchent de nous projeter. Il y a eu les explosions de Beyrouth, et maintenant cette guerre. Nous ne voulons pas aller ailleurs, nous voulons rester chez nous. La famille et les amis sont très importants. Notre foi, également. Ici, autour de la table, nous sommes tous membres du Mouvement apostolique marial. Nous œuvrons pour le bien commun, pour la paix. Et, cela commence ici, au Liban, entre Libanais. Oui, la foi, la famille, les amis et notre pays sont notre trésor. »
La diaspora libanaise
Entre 1975 et 1990, le Liban a perdu plus d’un million d’habitants, près d’un tiers de sa population 100% libanaise. Et entre 2019 et aujourd’hui, ils sont entre 200 et 500 000 à avoir quitté le pays. C’est une véritable saignée de ses élites, de sa jeunesse, de sa matière grise qu’a subi le pays où coule l’eau, l’huile, le lait, le miel et le vin. Pourquoi rester, en effet ? Les guerres du Liban ont été lourdes de conséquences : avec plus de 150 000 morts et près de 300 000 blessés.
Au fil des millénaires, des siècles et des années, les Cananéens, puis, les Phéniciens et maintenant les Libanais ont émigrés. Ils sont partis commercés dans tout le pourtour méditerranéen et dans le monde entier. Aujourd’hui, alors que le pays compte, selon les derniers chiffres de la Sûreté Générale, moins de 6 millions d’habitants, il faut enlever les 1,5 millions d’immigrés syriens et les plus de 300 000 Palestiniens, pour obtenir le chiffre de +/- 4,1 millions de Libanais, compte tenu de l’émigration récente.
Cette diaspora volontaire et forcée est présente dans plus de 150 pays. Elle se chiffrerait entre 14 et 18 millions selon certaines sources. Le pays qui attire le plus de Libanais est le Brésil, avec 6 à 8 millions de Libanais.
Les héros et les héroïnes du Liban
Pendant ces 151 jours, j’ai rencontré des milliers de personnes, de 0-2 ans à 95 ans. Des écoliers, des adolescents, des adultes, des personnes âgées. Des directeurs, des professeurs, des entrepreneurs, des hommes politiques. J’ai rencontré beaucoup de femmes. Avant d’évoquer les héros, il faut les évoquer ces héroïnes. Elles sont, encore, debout, malgré le fait que leur mari soient partis, de l’autre côté, en direction du Ciel. Ils sont morts pendant les guerres de 1975-1990, celles de 2006 et de 2024. Ils sont morts lors des explosions du port de Beyrouth, le 4 août 2020. Là encore, Israël est pointé du doigt. Plusieurs informations indépendantes convergent vers la même question : deux missiles israéliens ont-ils fait exploser les milliers de tonnes de nitrate d’ammonium, causé la mort de 237 personnes et blessé des milliers de personnes ?
Me Tania Daou Alam raconte :
« Ce 4 août 2020, j’ai perdu mon mari Jean- Frédéric, (Freddy). J’ai moi-même était blessée, alors que nous nous trouvions ensemble dans une clinique pour une consultation médicale à l’hôpital Saint-Georges, surplombant le port de Beyrouth. »
Puis, elle continue :
« Ce 4 août à 18h07, une première explosion dans le hangar 12 du port de Beyrouth envoya un gros nuage de fumée dans le ciel au-dessus de la ville. La seconde quelques instants plus tard créa un choc sismique secouant le sol et tous les bâtiments. Cette onde fut ressentie jusqu’à Chypre, pulvérisant le port et détruisant la ville. Je fus projetée violemment en arrière et je perdis connaissances quelques instants. Lorsque je suis revenue à moi, j’ai appelé Freddy sans obtenir de réponse. Je réalisais, alors, que je saignais de partout même des yeux. Le sang recouvrait entièrement mon corps de la tête aux pieds. Freddy, lui, était couché sur le ventre. En essayant de le retourner, j’ai vu que le sang giclait de sa gorge tranchée et de ses poumons percés. J’ai essayé en vain d’arrêter le sang avec la blouse blanche du médecin qui était lui-même blessé à la tête. Nous étions cinq dans cette clinique mais, bizarrement, à mon réveil nous n’étions plus que trois. »
Parmi les héros de ce 4 août, il y a feu le docteur Robert Sacy.
Hommage au Docteur Robert Sacy
Oui, comment oublier ce docteur-courage haut-en-couleur, d’une humilité incroyable. Il sauvait les bébés des poubelles, soignait les enfants des rues. Je l’ai rencontré parce que je voulais traiter le sujet de la santé. Eh oui, comment dans un tel pays où l’Etat est corrompu et a démissionné, comment soigner la population ? Sans la France, sans l’aide de la manne diasporique, difficile de faire tourner les hôpitaux, d’avoir les équipements. J’ai réalisé plusieurs reportages sur lui, sur les explosions du 4 août. Et puis, le docteur avait lancé cet appel :
« SOS ENFANCE EN DANGER. J’ai arrêté de compter, de compter sans arrêt les bébés-poubelles, les bébés abandonnés au coin des rivières, les bébés ramassés par les chiens et ramenés à la vie, les enfants battus, violés, harassés… Mais après ? Hier, je reçois un bébé d’environ 2 mois abandonné sur un trottoir, avec des traces de brûlure autour de la lèvre. Il a été amené par des gendarmes. Et après ? Qu’est-ce que vous attendez, Messieurs nos dirigeants milliardaires pour réagir et vider un peu vos poches ? »
Il est décédé le vendredi 10 mai 2024, frappé par une crise cardiaque. « Aujourd’hui, nous pleurons la perte d’une personne remarquable, plus qu’un simple médecin, mais un mentor, un guide et une figure paternelle pour beaucoup », écrivait sur Facebook l’hôpital gouvernemental de la Quarantaine où je l’avais interviewé.
C’est lui qui m’a fait rencontrer Roger Nasnas.
Les entrepreneurs du Liban
Roger Nasnas est l’un deux. Il a été ministrable à plusieurs reprises. Mais, il est resté dans l’ombre de l’Etat, préférant œuvrer pour la société civile et les œuvres caritatives. Et, il a bien eu raison. Le patron d’Axa Middle East est un serviteur au grand cœur. Son père était, déjà, dans les assurances. Les assurances ? Comment assurer dans un tel pays ? Cela tient de la magie, de la prouesse, de la pure intelligence.
Justement, Robert Sacy disait de lui :
« Il a développé les activités de la société d’assurances de son père et de ses associés. Mais, surtout, il passe son temps à aider les autres. C’est un entrepreneur social hors-pair. » Un autre grand entrepreneur du Liban, Zafer Chaoui, impliqué dans les œuvres de bienfaisance, ajoutait : « Roger Nasnas est un homme entier, dévoué, fidèle et d’une grande honnêteté ».
Citons quelques autres grands capitaines d’industrie, qui ont façonné le Liban : Comme les Hassoun, les Bedran, les Eddé, les Sfeir, les Hatem, les Gemayel, les Assaf, les Badaro, les Nasr, les Phares, les Nour, les Saadé, les Tabet, etc.
N’oublions pas, non plus, les Gebrayel, partis de zéro. Elie a fondé, avec son épouse, Erga, un groupe incontournable dans l’architecture et présent dans le monde entier. Avec Gabriel, les deux frères s’occupent d’un complexe de petites maisons d’hôtes à la pointe du respect de l’environnement, dans le village de Ghalboun. Enfin, il y a les petits derniers, qui ont, déjà, roulé leurs bosses à… l’étranger. Oui, ils sont peu nombreux une partie des entrepreneurs de la diaspora qui ont réussi rentrent à la maison depuis 2019. C’est le cas d’Elie et Georges Ballouz. Ils ont fondé Alfa Engineering qui tourne, toujours, à plein régime aux Etats-Unis et, depuis, au Liban. Certes, ils ne sont pas, encore, comme les Gebrayel dans le vin !
Les vins de Dieu
Ah, que serait le Liban sans ses vignes ? Oui, comment ne pas évoquer durant ces 150 jours, les vins de… Dieu. De Dieu ? Oui, de Dieu, des Jésuites, et de Bacchus. Car, depuis tout temps, avant et après le Déluge, le vin a coulé dans les plaines fertiles de la Bekaa et dans les collines arpentées des montagnes. Depuis, les dieux de l’Antiquité, le vin ruisselait. Les Cananéens avaient même, comme les Egyptiens, produit leurs bières. C’est dire.
Ah, ces vins de Ixsir, où Carlos Ghosn a investi ; de Ksara, dont le domaine à exalter la dégustation se trouve près de Zhalé, la quatrième ville du pays, sur le plateau de la Bekaa. Il y a, également, Château Musar, Château Fakra. Du rouge au rosé en passant par le blanc, ils sont tous épatants, avec un petit air de France, de la région de Bordeaux, dans la gouleyance.
Je les ai tous retrouvés ces châteaux, ces noms, ces vins, lors du Festival de Byblos qui leur est consacré chaque fin du mois de juin. Organisé par Neda Farah, une femme haute en couleur et en joie. Son enthousiasme est communicatif. Il pétille. D’ailleurs, elle avait fini par m’avouer :
« Oui, vous pouvez l’écrire, je suis passionnée par tout ce que je fais. Par mon pays, par la France où je me suis rendue des dizaines de fois et où j’ai trouvé mon inspiration pour monter ce festival des vins libanais. Je suis passionnée par l’entrepreneuriat, par mes activités dans l’évènementiel, et par le vin. Vous savez, dans ces temps qui sont difficiles, si tous s’asseyaient autour d’une bonne table, d’une table de fête, où la gastronomie et le bon vin seraient honorés, le monde irait mieux, beaucoup mieux ».
Parfois, exceptionnellement, il faut savoir s’enivrer avec… modération !
Saint Charbel, le soldat de Dieu
Cette ivresse typiquement libanaise, on la retrouve chez les saints libanais. Ces Maronites qui ont survécu dans les montagnes de la Qadisha à plus de 2000 mètres d’altitude pour rester en vie, lors des persécutions qui ont duré 5 siècles ! Et, ce qui m’a particulièrement émerveillé, ému, touché, c’était de voir tous ces Libanais, y compris de nombreux musulmans, alaouites, chiites, druzes, ismaéliens, sunnites, se rendre en pèlerinage à Annaya, là où a vécu le très discret devenu très célèbre saint Charbel.
Il faut dire que le monastère Saint Maron renferme, avec la dizaine de moines qui y vivent, de nombreux témoignages de guérisons et de miracles. Après l’ivresse des corps, leur guérison, et l’ivresse des âmes.
Saint Charbel, dont nous fêterons bientôt la fête, le 24 décembre, est né en 1828. Les miracles ont commencé alors qu’il était ermite. Dès sa mort, en 1878, des phénomènes étranges entourent son corps inerte. Il est resté incorrompu. Des lumières jaillissent de son tombeau, et de l’huile suinte de son corps. Depuis, des dizaines de milliers de miracles ont été attestés. Le saint du Vivre-Ensemble fait des miracles pour tous…
Les saints du Liban existent. Il faut rajouter saint Maron, sainte Rafqa, saint Nimatullah Kassab Al-Hardini, le bienheureux Etienne Nehmé, et d’autres innombrables qui ont leur nom voilé, inscrit dans le Livre des Saints.
Quoiqu’il en soit ces saints ont la foi chevillée à l’âme, au cœur et au corps. Ils vivaient comme des soldats de Dieu. Ils étaient des éveilleurs, des guetteurs, même dans leur solitude.
Les guerriers du Liban
Impossible de ne pas évoquer, justement, cette guerre, ces guerres qui ont frappé le Liban depuis 1975. Toutes les familles libanaises ont été touchées, blessées et meurtries par cette terrible tragédie qui a piétiné le Vivre-Ensemble si précieux au Pays du Cèdre. D’ailleurs, comme me l’avait dit Mgr Guillaume Bruté de Rémur, en mars 2023 :
« Notre grande force, c’est cette cohésion sociale due à l’appartenance religieuse et au fait que nous baignons tous dans des cultures religieuses. Elles sont une vraie richesse, car elles portent à l’ouverture vers l’autre. Elles sont vraiment un ferment pour la société. Et, elles offrent de véritables solutions pour sortir de la crise. »
Cette cohésion a été mise à mal de 1975 à 1990. Les jeunes libanais, de 16-17 ans ont dû prendre les armes, pour ne pas que la terre de leurs ancêtres devienne une terre israélienne et une terre syrienne. Certains, rares, ont 14 ans, comme Fouad Abou Nader :
« Oui, je me suis engagé à 14 ans au sein du parti Kataëb. Mes parents ne le savaient pas. Ils l’ont su 4 ans plus tard, vers l’âge de 18 ans, lorsque la guerre de 1975 a commencé [elle va durer jusqu’en 1990]. Je n’étais pas seul. Des milliers de jeunes s’engageaient. Il y avait un dynamisme, un élan, une ferveur incroyable, dans ce parti politique qui s’occupait de la jeunesse. J’avais envie de défendre l’identité libanaise menacée par l’afflux massif de Palestiniens, dont les chefs voulaient faire du Liban leur nouvelle Palestine. »
Il se bat sous le drapeau des Forces Libanaises, dont il devient le Chef. Puis, il raccroche les armes après plusieurs attentats, plusieurs blessures qui ont failli lui coûter la vie.
« Oui, j’ai arrêté de me battre. Je me suis battu pendant une vingtaine d’année. Mon rôle en tant que Chef des Forces Libanaises était à la fois politique et militaire. Ma bataille, depuis 1987, je la mène sur le terrain de l’entreprise. Cette année-là, j’ai créé Tanit Group, spécialisé dans l’installation et le développement d’hôpitaux en Afrique et au Moyen-Orient. Aujourd’hui, nous sommes, surtout, présents au Nigéria. C’est mon fils, Anthony, qui en est le CEO depuis 2003. Son frère Georges est venu le rejoindre. Et, en 2010, j’ai créé mon ONG Nawraj. »
Tony Fata, le héros du Liban
« Le héros, ce n’est pas moi, c’est Tony », disait-il en septembre dernier alors qu’il remettait à Tony Fata, dans une salle pleine à craquer du parti Kataëb, une distinction honorifique. Oui, il fallait rendre hommage à ce jeune homme devenu grand-père.
Tony se souvient de l’OLP de Yasser Arafat : « Je me souviens, déjà, en 1969, ils ont bombardé l’aéroport de Beyrouth. Je me suis, alors, engagé, comme beaucoup de mes concitoyens chrétiens au Kataëb, le parti fondé par Pierre Gemayel. » Comme Fouad, Tony a 14 ans. Il devient un guerrier, au tempérament d’acier. Mais, il est, aussi, un entraîneur. Son charisme est réel. Cependant, ce 7 octobre 1976, la guerre contre les Palestiniens fait rage dans le sud-est de Beyrouth, à Hadath. Le jeune guerrier est aux avant-postes. Ce matin-là, une bombe explose devant lui et des éclats l’atteignent en pleine tête. Ses yeux sont touchés. Blessé, il devient aveugle. Sa vie ne sera plus la même. Elle ne s’éteint pas non plus totalement, mais elle vient de basculer dans la nuit. Le héros n’est pas fatigué. Il continue la lutte avec Fouad Abou Nader.
Tony pense à construire une vie de famille : « Je me suis marié en 1981, et j’ai eu 4 enfants, 3 garçons et 1 fille. » En 1986, un nouveau malheur frappe à sa porte : il est kidnappé et sa vie est menacée par une partie des Forces Libanaises. C’est le combat des chefs, la division interne tâchée de sang et de trahison. Tony décide de mettre toute sa famille à l’abri, direction les Etats-Unis. « J’arrive en Californie, le 8 octobre 1986. Je vais rester aux Etats-Unis jusqu’en 2016. » 30 ans au pays du burger et des étoiles entrepreneuriales.
Depuis, Tony est devenu grand-père. Au Liban, il continue à rêver de liberté, de paix et de souveraineté.
17 jours sous les bombes
Pour ma part de simple témoin, ces vies accompagnées, partagées et racontées sont autant d’exemples à suivre, d’étendards à brandir… Pour qui ?
Le 17 septembre, Israël faisait sauter des milliers de bipeurs du Hezbollah et déclenchait une nouvelle guerre sur le sol du Pays du Cèdre. Je quittais ce jour-là le Liban. Puis, j’y suis retourné en pleine guerre. En novembre, j’ai vécu 17 jours sous les bombes, jusqu’au cessez-le-feu du 27 novembre 2024. Le jour de la fête de la Médaille Miraculeuse ! La veille, il avait neigé, alors qu’il ne neige « jamais à cette époque de l’année » me témoignaient plusieurs personnes.
Un double miracle au Liban ? Celui de saint Charbel et de l’Immaculée Conception !
Le 28, je me risquais dans les quartiers bombardés de Beyrouth-Sud, les quartiers du Hezbollah. C’était la désolation, des ruines… à pleurer. Dans la nuit du 26 au 27 Israël, ou plutôt Netanyahu – actuellement jugé pour corruption et il fait l’objet d’un mandat international du CPI pour crimes de guerre – une trentaine de missiles s’abattaient pour la dernière fois (?) sur Beyrouth et le sud du Liban.
Trois missiles, dont le souffle avant l’explosion me réveilla, s’abattirent à 300 mètres à vol d’oiseau. Je n’oublierai pas. La guerre, ces hommes et ces femmes, tout le Liban est entré en moi à ce moment-là.
Cet article veut rendre hommages à ces milliers de victimes civiles innocentes, des bébés aux enfants, en passant par les parents et les grands-parents. Un autre Gaza était-là sous mes yeux d’enfant-gâté…
Je n’oublierai pas. Où sont les artisans de paix ? Ils existent… je les ai rencontrés. Ce sont les Libanais et les Libanaises restés au Pays du Cèdre, la Perle du Levant. Ils sont des montagnes, des résistants.
De notre envoyé spécial Antoine BORDIER, consultant et journaliste indépendant.
Auteur de la trilogie Arthur, le petit prince (d’Arménie, du Liban, d’Egypte).
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