L’abbé Davide Pagliarani, Supérieur Général de la Fraternité Sacerdotale Saint-Pie X depuis le 11 juillet 2018, a accordé un entretien à La Porte Latine – le site officiel du District de France de la FSSPX. Extraits
Avec 65 nouveaux séminaristes cette année, la Fraternité détient son record d’entrées dans ses séminaires depuis trente ans. Vous avez été vous-même directeur du séminaire de La Reja (Argentine) pendant près de six ans. Comment comptez-vous favoriser le développement de vocations toujours plus nombreuses et plus solides ?
Je suis persuadé que la vraie solution pour augmenter le nombre de vocations et leur persévérance ne réside pas en premier lieu dans des moyens humains et pour ainsi dire « techniques », tels que bulletins, tournées apostoliques ou publicité. Tout d’abord, une vocation a besoin pour éclore d’un foyer où l’on aime Notre-Seigneur, sa Croix et son sacerdoce ; un foyer où l’on ne respire pas l’amertume ni la critique envers les prêtres. C’est par osmose, au contact de parents véritablement chrétiens et de prêtres profondément imprégnés de l’esprit de Notre-Seigneur, qu’une vocation s’éveille. C’est à ce niveau-là qu’il faut continuer à travailler de toutes nos forces. Une vocation n’est jamais le résultat d’un raisonnement spéculatif ni d’une leçon qu’on a reçue et avec laquelle on est intellectuellement d’accord. Ces éléments peuvent aider à répondre à l’appel de Dieu, seulement à condition de suivre ce que nous avons dit précédemment.
Le 14 octobre dernier, le pape François a canonisé le pape qui a signé de sa main tous les documents de Vatican II, le pape de la nouvelle messe, le pape dont le pontificat a été marqué par les 80 000 prêtres qui ont abandonné leur sacerdoce. Que vous inspire cette canonisation ?
Cette canonisation doit nous inspirer une réflexion profonde, au-delà de l’émotion médiatique qui a duré quelques heures et qui ne laisse aucune trace profonde ni chez ses partisans, ni chez ses adversaires. Au contraire, après quelques semaines, cette seule émotion risque de transformer tous en indifférents. Nous devons prendre garde à ne pas tomber dans ces pièges.
D’abord, il me semble assez évident qu’avec les béatifications ou canonisations de tous les papes récents à partir de Jean XXIII, on a essayé de « canoniser » d’une certaine manière le Concile, la nouvelle conception de l’Eglise et de la vie chrétienne que le Concile a établie et que tous les papes récents ont promue.
C’est un phénomène inédit dans l’histoire de l’Eglise. Ainsi, l’Eglise post-tridentine n’a jamais songé à canoniser tous les papes sans distinction de Paul III à Sixte V. Elle n’a canonisé que saint Pie V et cela, non en raison de ses seuls liens avec le concile de Trente ou son application, mais en raison de sa sainteté personnelle, proposée comme modèle à toute l’Eglise et mise au service de l’Eglise en tant que pape.
Le phénomène auquel nous assistons actuellement nous fait plutôt penser au changement de nom des places principales et des boulevards, à la suite d’une révolution ou d’un changement de régime.
Mais il faut lire cette canonisation aussi à la lumière de l’état présent de l’Eglise, car l’empressement à canoniser les papes du Concile est un phénomène relativement récent et il a connu son expression la plus manifeste avec la canonisation presque immédiate de Jean-Paul II.
Cette détermination à « faire vite » manifeste une fois de plus la fragilité dans laquelle l’Eglise issue du Concile se trouve actuellement. Que l’on veuille l’admettre ou non, le Concile est considéré comme dépassé par toute une aile ultra-progressiste et pseudo-réformatrice. Je pense, par exemple, à l’épiscopat allemand. Et d’un autre côté, les plus conservateurs sont amenés à constater, par la force des choses, que le Concile a déclenché un processus conduisant l’Eglise à une stérilité grandissante. Face à ce processus qui semble irréversible, il est normal que la hiérarchie actuelle essaye de redonner, au moyen de ces canonisations, une certaine valeur au Concile, qui puisse freiner la tendance inexorable des faits concrets.
Pour revenir à une analogie avec la société civile, chaque fois qu’un régime est en crise et qu’il en prend conscience, il essaye de faire redécouvrir la Constitution du pays, sa sacralité, sa pérennité, sa valeur transcendante… Or c’est en réalité le signe que tout ce qui est issu de cette Constitution et qui se fonde sur elle, est en péril de mort et qu’il faut essayer de le sauver par tous les moyens possibles. L’histoire prouve que ces mesures sont généralement insuffisantes pour redonner vie à ce qui a fait son temps. […]