"A bien des égards la Première Guerre mondiale a été une guerre civile à l’échelle européenne, et donc une guerre entre chrétiens. C’était le même rosaire qu’égrenaient ici des Bretons dans leur tranchée et là des Bavarois dans celle d’en face ; les mêmes chorals protestants qui s’élevaient des positions britanniques et de celles des Prussiens qui leur faisaient face ; les mêmes icônes qui étaient vénérées ici par les Galiciens sous uniforme austro-hongrois et là par les Ukrainiens sous uniforme russe. […]
La situation du clergé pendant la guerre dépendra de la place juridiquement faite à la religion. Elle comporte deux niveaux : celui de l’aumônerie militaire et celui de la participation des membres du clergé au conflit.
Dans la plupart des pays européens, là où la religion a un statut juridique, les clercs sont dispensés de la conscription. Ceux qui se portent volontaires sont affectés au service de santé. Dans d’autres pays, comme la France, soumis à un régime laïc, la loi supprime les aumôniers (1881) et oblige les clercs au service militaire (1889). Elle rétablira l’aumônerie en 1910, la guerre se faisant plus menaçante. C’est que même anticléricale, la République sait que le besoin religieux est aiguisé avec la perspective de la mort et satisfaire à ce besoin, c’est soutenir le moral des troupes. […]
C’est aussi que les vocations ne manqueront pas. La France mobilisera 30 000 clercs : 19 000 prêtres, 7 000 novices et 4 000 séminaristes. Si les aumôniers sont attachés aux unités de santé (brancardiers au front), les autres portent les armes. Certains seront officiers, comme H. Grialou (20 ans), futur carme et fondateur de Notre-Dame de Vie, d’autres deviendront des aumôniers célèbres comme le P. jésuite P. Doncœur (34 ans) ou le P. spiritain D. Brottier (38 ans). Une participation aussi massive des religieux au conflit est un fait remarquable : la plupart avaient été exilés avec la suppression des congrégations et n’étaient donc pas mobilisables. Ils revinrent quand même pour se battre aux côtés de leurs compatriotes.
En France, la République avait voulu séparer le clergé du peuple. Avec la conscription généralisée et la réapparition de l’aumônerie militaire, nécessité faisant loi, les prêtres vont se retrouver au coude à coude avec les poilus, partager leurs angoisses, leurs souffrances, leur misère. Et ils vont donner un exemple de résilience et de courage. Camaraderie, mais celle du grand frère, responsable, dans les moments de détente ; dévouement sous le feu (un aumônier sur six tombera au cours du conflit) ; service des blessés et des mourants, en brancardant, en donnant les derniers sacrements. De nombreux Français redécouvrent la messe, dans les tranchées ou dans les bois. […]"