Tribune de Jean de Saint Jouin :
Notre époque est d’un ennui mortel, peu importe le modèle de Baille-phone (sic) dont vous disposez. Au lieu de stimuler l’imaginaire, le monde virtuel en imposant son code, le ligote et l’enferme à double tour. Nous sommes si loin de l’enfance spirituelle pourtant essentielle à l’atteinte de l’idéal évangélique. Et qu’est-ce donc que cette enfance si ce n’est, comme le dit si bien Chesterton, cette époque divine où l'on peut entrer dans la peau d'un personnage imaginaire, être son propres héros, danser et rêver en même temps.
L’Église est mère et, à ce titre, sait combien nous avons besoin du jeu, même dans ce qu’il y a de plus sérieux. Et pourquoi jouer? Pour apprendre. Apprendre quoi? À devenir comme Dieu.
Le portail du grand jeu
Maman sait si bien planter le décor! Memento homo quia pulvis et in pulverem reverteris. Voilà comment le jeu s’ouvre, avec panache dans un grand nuage de poussière. Les règles sont esquissées. 40 jours et 40 nuits. Nombre de joueurs illimités. Limites spatiales on ne peut plus larges. Un seul mot d’ordre, diminuer!
Bon, la suite du jeu est un peu floue, pas d’instruction sur la boite et d’ailleurs pas vraiment de boite. Ceci dit, je suis habitué. Comme dans tout grand jeu qui se respecte, la part de confusion est toujours directement proportionnelle à la part de plaisir.
Que faire? Ma mère me conseille habituellement de lire les Pères. C’est sûrement là que je trouverai la suite des instructions.
Je choisis donc Lettre de St-Clément aux Corinthiens. Au hasard, mes yeux s’arrêtent sur un passage des plus curieux qui m’intrigue et me ravit. St-Clément y parle du phénix, cet oiseau du désert qui vit 600 ans puis se consume avant de renaitre de ses cendres. Le mot d’ordre était "diminuer", j’accepte donc la mission. Pour la durée du jeu, je serai un phénix.
Dans la peau brûlante d’un oiseau imaginaire
Que suis-je supposé accomplir? Quel peut bien être la mission d’un oiseau du désert six fois centenaire qui va bientôt cramer? En fait, plus j’y pense, plus le rôle avait l’air plus excitant qu’il ne l’est probablement. Et pourquoi St-Clément s’est-il mis à parler d’une créature mythologique? J’aurais dû lire la suite…
Puis me vient cette idée géniale et pacifiante. Que faire? Rien! Pour une fois, me poser. Puis accepter d’être en silence, au désert. Rester immobile sous le Soleil brûlant et se laisser embraser. Se débarrasser du monde par la sudation lente du sauna divin. Devenir Soleil avec le Soleil. Mais non sans passer par la cendre. Pas sans éviter le dur calice et la croix brûlante. Rester immobile 40 jours. Cesser de courir l'épreuve absurde des musiques des sphères pour écouter le concert amer des désirs aphones.
Ô Mère admirable qui me proposez ce grand jeu. Aidez-moi à bien y jouer. Aidez-moi à rester en place. À revêtir le lourd cilice du silence. Fortifiez mes faibles yeux pour qu’ils puissent contempler le Brasier bien réel de Sa Présence.
Puis, une fois consumé, au matin de Pâques, soufflez la brise légère pour que mes cendres impures puissent se mêler à celles du Fils, renaissant éternellement dans cet aujourd’hui immortel.
C’est là mon incandescent désir.