De Bruno de Seguins Pazzis à propos du film Conclave :
Alors que le pape vient de mourir d’une crise cardiaque, le cardinal Lawrence est chargé — malgré ses réticences — de superviser le prochain conclave. Il va ainsi devoir mener un groupe de cardinaux venus du monde entier dont la mission est de sélectionner le candidat à la succession du défunt pape. Ce poste de chef de l’Église catholique attire les convoitises et va intensifier les stratagèmes politiques au sein de la Curie. Lawrence va par ailleurs découvrir un secret bien caché par le précédent souverain pontife.
Avec : Ralph Fiennes (le cardinal Thomas Lawrence), Stanley Tucci (le cardinal Bellini), John Lithgow (le cardinal Tremblay), Isabella Rossellini (Sœur Agnes), Lucian Msamati (le cardinal Adeyemi), Carlos Diehz : le cardinal Benitez, Sergio Castellitto (le cardinal Tedesco), Brían F. O’Byrne (monseigneur Raymond O’Malley), Merab Ninidze (cardinal Sabbadin), Jacek Koman (archevêque Wozniak), Rony Kramer (le cardinal Mendoza), Thomas Loibl (archevêque Mandorff), Loris Loddi (le cardinal Villanueva). Scénario : Peter Straughan, d’après le roman « Conclave » de Robert Harris. Directeur de la photographie : Stéphane Fontaine. Musique : Volker Bertelmann.
Turpitudes cléricales et crise de foi… Le cinéaste allemand Edward Berger s’est fait connaître en-deçà du Rhin avec une seconde adaptation en 2022 du roman pacifiste d’Erich Maria Remarque après celle de Lewis Milestone (1930), A l’Ouest rien de nouveau. Et pour cause, puisque le film « ramasse » en 2023 quatre oscars, neuf BAFA (British Academy Film Awards) et huit Deutscher Filmpreis. Toute aussi pacifiste que le roman et que les adaptations précédentes, le cinéaste n’hésitait pas à en faire plus dans la description de l’horreur et seule la mise en images très aboutie esthétiquement et techniquement était à remarquer.
Pour son nouveau long métrage, il choisit de nouveau de mettre en scène l’adaptation d’un roman « Conclave » (2016) du britannique Robert Harris, écrivain surtout de romans historiques et de « thrillers », mais aussi journaliste et producteur de télévision. Ce faisant, Edward Berger s’appuie sur du solide : l’auteur ayant déjà six romans adaptés au cinéma dont deux par Roman Polanski, The Ghost Writer (2010) et J’accuse (2019). Le cinéaste quitte le genre du film de guerre pour passer au « thriller » politico-religieux. Cela tombe plutôt bien puisqu’il dit lui-même
«Je veux faire des choses qui me mettent au défi et me sortent de ma zone de confort. J’aime faire un nouveau film qui qui est très différent de ce que j’ai fait auparavant.»
Il choisit donc un univers totalement différent, celui feutré du Vatican qui sert déjà de cadre à une bonne quarantaine de films avant le sien. La question qui se pose est donc de savoir ce que nous apporte cette intrigue totalement romanesque qui donne pendant de longs moments l’impression de visionner un documentaire sur le déroulement d’un conclave ? Le film décrit longuement et de façon caricaturale les jeux d’influence et de pouvoirs qui s’installent et se développent autour d’un conclave entre le parti traditionaliste et le parti progressiste. Mais cela ne va pas bien loin dans l’analyse. De même, certains sujets sont présentés comme la corruption, les dérives sexuelles, le rôle des femmes dans l’église… mais sans jamais vraiment les développer ou les argumenter. Mais ce n’est qu’un « thriller » diront certains ! Admettons ! Mais alors un « thriller » bien peu haletant, construit sur une intrigue bien mince constituée de pseudos retournements de situation destinés à essayer de maintenir autant que faire se peut l’attention du spectateur. Le rythme est lent, les scènes sont longues, sans aucunes surprises comme celles des votes pour aboutir à un final dont l’improbabilité le dispute à une stupidité confondante en introduisant lourdement la question de l’ordination des femmes et celle de la place des personnes intersexes dans l’Eglise ! L’impression générale, on ne peut plus désagréable, qui se dégage très vite est que l’objet du film est de montrer des hommes d’églises peu exemplaires, remplis d’ambition, en proie au doute, bref que l’Eglise est une institution peu recommandable. Cela tourne parfois au grand ridicule comme lorsqu’on nous montre un cardinal africain qui pleure de ne pouvoir prétendre à être élu à cause d’un scandale qui le rattrape, lorsqu’un on voit un autre cardinal, celui-là, traditionaliste, auquel on prête des propos stupidement caricaturaux et violents, ou lorsqu’encore le doyen des cardinaux, personnage central du film, expose avec tout le sérieux qui convient une théorie fumeuse sur le péché de certitude et la vertu du doute.
Après avoir surfé avec A l’Ouest rien de nouveau sur la vague du pacifisme, voilà qu’Edward Berger surfe sur la vague porteuse d’une Eglise décadente qui ouvre fait le lit à un humanisme séculier post-chrétien. Autant dire qu’il faut bien toute la beauté des décors et la pourpre de ces « princes de l’église » pour dissimuler la vacuité et la mauvaise foi de l’ensemble dans de belles images du français Stephane Fontaine (De battre mon cœur s’est arrêté en 2005 et Un prophète en 2009, De rouille et d’os en 2012 de Jacques Audiard) qui n’ont toutefois rien d’extraordinaire sur le plan stylistique. Tout comme la mise en scène qui est on ne peut plus sage et classique. Le cinéaste a cependant tendance à forcer la dose et son symbolisme n’est pas des plus subtils par exemple lorsqu’une petite partie du toit de la Sixtine explose durant un vote, façon de faire entrer la lumière de Dieu au conclave ! Sans amoindrir la contribution dans des rôles de cardinaux de Stanley Tucci (Le Diable s’habille en Prada de David Frankel en 2006), de John Lithgow (Obsession de Brian De Palma en 1976) ou encore de Sergio Castellitto ( Le Sourire de ma mère de Marco Bellocchio en 2002), il faut également tout le talent de Ralph Fiennes (La Liste de Schindler de Steven Spielberg en 1993, Le Patient anglais d’Anthony Minghella en 1996, The Constant Gardener de Fernando Meirelles en 2005, Noureev de lui-même en 2018) qui porte littéralement le film sur ses épaules (à partir du troisième plan, il est de tous ou presque). Dans ce rôle de doyen du collège chargé de diriger le conclave, beaucoup auraient pu sombrer dans le ridicule. Lui, trouve toujours la bonne tonalité, ne surjoue pas ses doutes comme sa sincérité, parvient à exprimer beaucoup de choses sans avoir beaucoup de dialogue, fait deviner ses pensées sur son visage. Finalement, l’interprétation de Ralph Fiennes et une bande originale légèrement oppressante, ouvertement dramatique et parfois subtilement syncopée du pianiste et compositeur allemand Volker Bertelmann déjà à l’œuvre dans A l’Ouest rien de nouveau (2022) sont les deux éléments qui permettent d’empêcher l’assoupissement total du spectateur. Et au bout du bout, Conclave, médiocre et manichéen « thriller » papal, montre surtout que l’Eglise catholique, sa divinité et son humanité, restent une obsession et un sujet intriguant pour les cinéastes.
Bruno de Seguins Pazzis