Il y a soixante ans, le 5 juin 1961, le commandant de Saint Marc était traduit devant le Haut Tribunal Militaire. Une semaine auparavant la juridiction exceptionnelle avait condamné les généraux Challe et Zeller à des peines de quinze années de détention criminelle et à la radiation de l’ordre de la Légion d’honneur.
Au commandant de Saint Marc, il est reproché d’avoir, à la demande du général Challe, investi la ville d’Alger dans la nuit du 21 au 22 avril 1961 avec son régiment, le 1er R.E.P.. Il encourt la peine de mort en vertu de l’article 99 du nouveau code pénal institué par l’ordonnance du 4 juin 1960 signée du ministre de la Justice, Edmond Michelet.
Le commandant de Saint Marc se présente en uniforme devant le tribunal. Sur sa poitrine, la croix d’officier de la Légion d’honneur, la médaille de la Résistance et les croix de guerre de 1939-1945 et des T.O.E.
Sa déclaration devant le tribunal fera date :
« Depuis mon âge d’homme, Monsieur le Président, j’ai vécu pas mal d’épreuves, la résistance, la Gestapo, Langenstein, trois séjours en Indochine, la guerre d’Algérie, Suez, encore la guerre d’Algérie (…) On nous a fait faire tous les métiers, oui, tous les métiers, parce que personne ne pouvait, ne voulait les faire. Nous avons mis dans l’accomplissement de notre mission, souvent ingrate, parfois amère, toute notre foi, toute notre jeunesse, tout notre enthousiasme. Nous avons laissé le meilleur de nous-mêmes (…) Monsieur le Président, on peut demander beaucoup à un soldat, en particulier de mourir : c’est son métier. On ne peut lui demander de tricher, de se dédire, de se contredire, de mentir, de se renier, de se parjurer (…)
Cette déclaration produit un tel effet que le général Moullet, cité par l’accusation conclut sa déposition ainsi :
« Je tiens à dire que je ne connais pas le commandant de Saint Marc mais que, s’il y a quelqu’un au sujet de qui je suis au regret d’avoir été cité comme témoin à charge, c’est lui, car de tout ce que je sais de son passé et de tout ce que je sais de cette aventure, je ne pense pas qu’il y ait eu en lui un mobile qui soit vil, un mobile qui soit mesquin, certainement pas. »
Et le procureur général Reliquet commence ainsi son réquisitoire :
« Le gouvernement, qui a la charge de l’ordre public, m’a demandé de prendre des réquisitions tendant à ce que soit infligée au commandant de Saint Marc la peine de vingt années de détention criminelle. Je dépose sur votre bureau les réquisitions écrites. Pour moi qui ai assisté, qui ai entendu les témoignages, j’entends conserver ma liberté de parole conformément aux prescriptions de l’article 33 du code de procédure pénale. »
Et il conclura son réquisitoire en demandant une peine de cinq à dix ans de détention criminelle.
Qui sont les rédacteurs des réquisitions écrites ? Pierre Messmer, ministre des Armées et Edmond Michelet, ministre de la Justice. Ainsi Edmond Michelet, lui-même déporté à Dachau, a prescrit au procureur Reliquet de requérir vingt années de détention criminelle à l’encontre d’Hélie de Saint Marc, déporté à Buchenwald-Langenstein dans des conditions tellement effroyables qu’à la libération du camp il ne pouvait plus se souvenir de son nom.
Le verdict de dix années de détention criminelle soulève des remous réprobateurs, non seulement dans l’assistance mais également auprès de certains juges. Le général Ingold, chancelier de l’ordre de la Libération, donne sa démission du tribunal et de la chancellerie de l’ordre de la libération.
Hélie de Saint Marc est alors détenu à La Santé, à Clairvaux, puis à Tulle où il joue un rôle apaisant dans le cénacle des officiers condamnés à la suite de la révolte d’Alger. Il est libéré le 23 décembre 1965 mais écrit régulièrement à plusieurs de ses compagnons encore en détention qu’il ne se sentira réellement libre que le jour où eux-mêmes seront libérés.
Le 25 novembre 2011, il est élevé à la dignité de Grand-Croix de la Légion d’honneur.
Il meurt le 26 août 2013. Ses obsèques sont célébrées en la primatiale Saint Jean de Lyon. Le cardinal Barbarin prononce l’homélie et, après la cérémonie religieuse, le général Dary prononce l’éloge funèbre sur la place Saint-Jean.