Samedi, le cardinal Vingt-Trois était à Rouen pour célébrer la fête de Ste Jeanne d'Arc, patronne secondaire de la France. Il a notamment déclaré :
"À l’heure où tant de nos contemporains ne voient dans le bien commun qu’un patrimoine économique à répartir entre les différentes catégories sociales, quand la solidarité est comprise plus volontiers comme une aide due à chacun, mais dont personne n’alimenterait les ressources, quand beaucoup mettent leurs intérêts particuliers, même les plus légitimes, au-dessus de toute considération des enjeux collectifs, nous devons entendre la leçon de Jeanne d’ Arc.
Quand une société est démunie d’un projet collectif digne de mobiliser les énergies communes et capable de motiver des renoncements particuliers pour servir une cause et arracher chacun à ses intérêts propres, elle se réduit à un consortium d’intérêts dans lequel chaque faction veut faire prévaloir ses appétits et ses ambitions. Alors, malheur à ceux qui sont sans pouvoir, sans coterie, sans moyens de pression ! Faute de moyens de nuire, ils n’ont rien à gagner car ils ne peuvent jamais faire entendre leur misère. L’avidité et la peur se joignent pour défendre et accroître les privilèges et les sécurités, à quelque prix que ce soit. […]
Mais la racine ultime de nos peurs est sans doute à chercher plus profond. N’est-elle pas une peur d’orphelins ? La peur des enfants qui n’ont plus de père pour les protéger et qui éprouvent que les pères de remplacement ne jouent pas le même rôle. Celui qui n’a plus de référence qui dépasse l’horizon des malheurs de l’humanité est confronté à un risque qu’aucune assurance ne peut couvrir, car c’est un risque existentiel : qu’est-ce que je fais sur cette terre ? À force de s’habituer à se passer de Dieu, l’homme s’installe dans une précarité radicale. La précarité de celui pour qui personne n’est prêt à donner sa vie. Une vie que personne ne veut sauver est une vie dévaluée à nos propres yeux. « Vous valez bien plus que tous les moineaux du monde ! ». Il est dans notre vie chrétienne une peur salutaire : celle de manquer à Dieu. Ce n’est pas une peur qui nous ferme, au contraire, c’est une peur qui nous ouvre. Elle nous ouvre à Dieu et aux autres. Celui qui vit de l’amour est délivré de cette peur."