Dans l'éditorial de La Nef de juillet, Christophe Geoffroy revient sur le scandaleux éditorial d'Isabelle de Gaulmyn dans La Croix :
"[…] Mme de Gaulmyn, qui nie l’égal respect dû à toute vie humaine, sait qu’il y en a qui valent d’être vécues plus que d’autres ! Quant à son appel à « respecter cette réponse » après « un débat digne et pluraliste », c’est se moquer : les observateurs non aveuglés par l’idéologie ont pu constater un total manque de pluralisme dans les médias irlandais archifavorables à l’avortement. Et depuis quand une majorité garantit-elle la légitimité morale d’un vote ? Mme de Gaulmyn aurait-elle appelé à « respecter » l’arrivée démocratique de Hitler au pouvoir ?
Le vrai scandale
Mais laissons là ce débat qui n’a rien de nouveau, de tels propos étant habituels dans Le Monde ou Libération. Ce qui est profondément choquant est qu’une telle position puisse être tenue dans l’éditorial d’un quotidien catholique qui bénéficie d’une image et d’un statut qui en font comme une vitrine de l’Église de France. Là est le vrai scandale ! Et il l’est d’autant plus que ce n’est visiblement pas un malheureux « dérapage », la direction de la Croix n’ayant pas jugé une mise au point nécessaire.
Thibaud Collin, qui avait un blog hébergé par le site du journal, s’est ému à juste titre de cet éditorial en publiant, le 4 juin, une excellente réaction parfaitement argumentée intitulée : « Avortement : non au vichysme mental ! » Le directeur de la Croix, Guillaume Goubert, est alors sorti de son silence : non pour remettre en question l’éditorial controversé – confirmant donc son accord ! –, mais pour supprimer le blog de Thibaud Collin coupable d’avoir employé l’expression « vichysme mental » ; quant au fond, pas un mot ! Une semaine plus tard, le 14 juin, il signait cette fois-ci lui-même l’éditorial commentant la légalisation parlementaire de l’avortement en Argentine : moins scandaleux que celui de sa consœur, son texte n’en appelle pas moins au respect de la nouvelle loi en considérant l’avortement acceptable dès lors « que la possibilité de recourir à l’IVG reste l’exception ».
Mme de Gaulmyn et M. Goubert connaissent-ils le Magistère de l’Église sur le caractère sacré de toute vie humaine, depuis la conception jusqu’à la mort naturelle ? Assurément oui ! C’est donc sciemment qu’ils mettent le quotidien estampillé « catholique » en opposition avec ce Magistère qu’ils sont censés défendre. Qu’en pensent les Assomptionnistes, Ordre religieux de l’Église catholique, propriétaire du groupe Bayard qui édite la Croix ?
Journal « officieux » de l’épiscopat ?
Le scandale, je l’ai dit, est que la Croix n’est pas un titre catholique comme un autre, mais une publication qui bénéficie d’une sorte de « label » de l’Église comme le journal « officieux » de l’épiscopat. Vrai ou faux, la Croix n’a jamais cherché à lever l’ambiguïté et joue sur les deux tableaux : en profitant, d’une part, de la rente de situation que lui procure ce statut vis-à-vis de l’extérieur, notamment par les abonnements quasi automatiques d’institutions catholiques (diocèses, paroisses, séminaires, bibliothèques, maisons religieuses…) ; en s’octroyant, d’autre part, une grande autonomie à l’égard du Magistère et en se positionnant globalement du côté progressiste, alors qu’un tel statut devrait l’obliger à une fidélité de rigueur envers l’enseignement de l’Église et à une certaine neutralité, ou du moins à un réel pluralisme dans ses colonnes.
Bien évidemment, la direction de la Croix est libre de ses options, libre de s’éloigner du Magistère et de se situer au centre-gauche (position peu représentative des forces vives du catholicisme actuel qui confirme combien les chrétiens de gauche, bien que minoritaires, tiennent toujours d’inexpugnables bastions) : mais alors qu’il soit clair que ce journal n’engage que lui et qu’aucun lien spécifique n’existe avec l’Église de France, pas davantage que pour n’importe quel autre titre catholique. N’est-ce pas aussi à la Conférence des Évêques de France – totalement muette dans cette affaire – de clarifier une fois pour toutes une situation ambiguë qui ne sert assurément pas l’Église ?"