L’évènement liturgique de cette nouvelle année concerne les nouvelles traductions pour le missel réformé de 1969, avec notamment le retour du consubstantiel dans le Credo et la nouvelle traduction de l’Orate fratres. Dans L’Homme Nouveau, l’abbé Thierry Blot, prêtre du diocèse de Belley-Ars, ancien secrétaire de la Congrégation pour le Culte divin et la Discipline des sacrements, souligne toutefois certaines insuffisances :
la plus sérieuse, à mon avis, est la traduction, dans le confiteor (« Je confesse à Dieu ») de « Beatam Mariam semper Virginem » par « la Bienheureuse Vierge Marie ». Notons que, par rapport à l’ancienne traduction, l’adjectif « beatam » a été introduit, mais, hélas, on n’est pas allé jusqu’au bout : l’adverbe « semper » (« toujours ») a été omis. On aurait dû traduire par : « la Bienheureuse Marie toujours Vierge ». Ne pas mentionner la virginité perpétuelle de Notre-Dame nous éloigne gravement de la foi de l’Église. […] Voici un autre exemple de nature différente : pour l’introduction de la Prière sur les offrandes, Orate fratres, le célébrant aura la possibilité de choisir entre les deux formules, longue de la nouvelle traduction ou brève de l’ancienne traduction. Ce choix est aberrant pour les raisons suivantes : 1) L’absence de choix dans l’édition typique, puisque bien évidemment celle-ci n’en comporte qu’une seule qui correspond à la nouvelle formule longue. 2) Toutes les traductions dans les langues vernaculaires comportent la formule « longue » (traduction fidèle) et aucune n’a bien évidemment prévu une telle alternative. 3) Et aussi les conséquences prévisibles désastreuses de ce choix sur le plan pastoral (confusion, peut-être même choix de nature « idéologique »…) même si, dans le nouveau Missel, la formule brève est précédée d’un « f », qui signifie : « spécificité de la version française du Missel ».
Pour l’occasion, un missel Laudate, dont l’édition a été dirigée par D. Thomas Diradourian et D. Jean-Xavier Salefran, de la communauté Saint-Martin, et par Bruno Nougayrède, présente aux fidèles, en un volume unique, les textes liturgiques pour toute l’année. Ce missel a été composé en premier lieu à l’usage des fidèles et des communautés qui participent à la liturgie de la messe célébrée en chant grégorien, suivant le Missel romain de 2002. Il s’adresse à tous les catholiques de langue française, auxquels il offre les textes du Missel romain et du Lectionnaire romain (Dimanche A,B,C et Semaine paire et impaire) dans leur dernière traduction française approuvée, ainsi que de riches commentaires liturgiques, une introduction à la vie sacramentelle de l’Église, un guide de la prière personnelle et de la Liturgie des heures, et un choix de prières et de chants.
Toutefois, Yves Daoudal estime qu’
une bonne traduction d’un mauvais texte est pire que la mauvaise traduction d’un mauvais texte. Avec celle-ci on sait que c’est mauvais, avec celle-là on fait croire que c’est bon, alors que le texte est toujours aussi mauvais.
Sa critique porte notamment sur les nouvelles collectes, qui ont été fabriquées et imprégnées d’idéologie dominante, ou les psaumes défigurés et censurés, ou ces péricopes de la Sainte Ecriture modifiées et expurgées. Dans son étude, l’abbé Cekada soulignait que
Sur les 1182 oraisons que comporte le Missel traditionnel, environ 760 furent entièrement supprimées. Sur les 36% environ qui restaient, les réformateurs modifièrent plus de la moitié avant de les réintroduire dans le nouveau Missel. Par conséquent, seulement 17% des oraisons de l’ancien Missel parvinrent, intactes, dans le nouveau Missel.
Voici la postcommunion du 2e dimanche de l’Avent, dans le missel de 1962 :
Repléti cibo spirituális alimóniæ, súpplices te, Dómine, deprecámur: ut, hujus participatióne mystérii, dóceas nos terréna despícere et amáre cæléstia.
Rassasiés de cet aliment de nourriture spirituelle, suppliants, Seigneur, nous te prions de nous apprendre, par la participation à ce mystère, à mépriser les choses de la terre et à aimer les choses du ciel.
La fin a été ainsi modifiée dans le nouveau missel :
…terrena sapienter perpendere, et caelestibus inhaerere.
Le fabricant en chef des nouvelles oraisons, le bénédictin Antoine Dumas, a expliqué :
« Le besoin d’adaptation s’est révélé nécessaire dans le cas de nombreuses oraisons, par souci de vérité. Par exemple, plusieurs textes, depuis longtemps trop connus, mettaient en opposition radicale la terre et le ciel ; d’où le couple antithétique, souvent répété dans l’ancien Missel : terrrena despicere et amare caelestia qu’il est possible de bien comprendre mais très facile de mal traduire. Une adaptation s’imposait donc qui, sans nuire à la vérité, tenait compte de la mentalité moderne et des directives de Vatican II. Ainsi, la prière après la communion du 2me dimanche de l’Avent dit très justement : sapienter perpendere, au lieu du mot : despicere, si souvent mal compris. »
En bref, toujours selon Yves Daoudal, on a supprimé une expression qui parcourait toute l’année liturgique et qui était ancrée dans toute la tradition patristique et dans l’évangile et les épîtres, pour faire correspondre les oraisons à la « mentalité moderne ». Le mot « perpendere » ne se trouve nulle part dans la Vulgate ni dans la liturgie traditionnelle. (C’est ce qu’ils osent appeler « restaurer la liturgie »). Dom Dumas proposait comme traduction française :
… évaluer sagement les choses terrestres et adhérer aux choses célestes.
La traduction officielle jusqu’à maintenant disait :
… (apprends-nous) le vrai sens des choses de ce monde et l’amour des biens éternels.
La nouvelle traduction officielle est en effet « meilleure », c’est-à-dire plus proche du texte fabriqué par dom Dumas :
… (apprends-nous) à évaluer avec sagesse les réalités de ce monde et à nous attacher aux biens du ciel.
On a donc fini par prendre le mot « évaluer » de dom Dumas. On ne sait pas si le fidèle est censé chercher un bureau d’évaluation des réalités de ce monde, pour obtenir un audit. Toujours est-il que le mot latin inconnu de la liturgie n’avait pas ce sens chez les pères de l’Eglise, qui l’utilisent très peu. Le seul qui l’utilise vraiment est saint Grégoire le Grand, surtout dans sa Règle, et essentiellement pour dire qu’on doit considérer avec soin, avec attention, nos actions (et non les choses). Et surtout considérer attentivement à quel point telle action ou telle attitude est répréhensible. Et non pas « évaluer avec sagesse les réalités ».
Et ce n’est pas un cas isolé. Lauren Pristas, dans « The collects of the Roman Missals », a comparé les oraisons des dimanches de l’Avent selon l’ancien missel et le nouveau :
Les verbes de mouvement des deux ensembles décrivent des mouvements exactement opposés : dans les collectes de 1962, le Christ vient à notre rencontre ; dans celles de 1970, nous allons à la rencontre du Christ, nous arrivons, nous sommes amenés à, etc.
Les prières de 1970 ne contiennent aucune référence au péché ni à ses dangers ; aux ténèbres ou à l’impureté de l’esprit; à la faiblesse humaine ou au besoin de miséricorde, de pardon, de protection, de délivrance, de purification. En outre, l’idée que nous devons subir une transformation pour entrer au ciel n’est évoquée que par le mot eruditio, instruction ou formation, dans la collecte du deuxième dimanche. (…)
Ceux qui prient les collectes de 1970 ne cherchent pas l’assistance divine pour survivre aux périls ou pour commencer à faire du bien. En effet, ils n’expriment aucun besoin de telles aides. Ils demandent plutôt à entrer au paradis à la fin. En revanche, ceux qui prient les collectes de 1962 ne cherchent pas explicitement le ciel, mais exigent – les verbes à l’impératif – une aide quotidienne immédiate et personnelle sur le chemin. (…)
Par ces trois différences, nous arrivons à un constat très délicat. En termes simples, la foi catholique considère que toute bonne action qui nous fait progresser vers le salut dépend de la grâce divine. Cette doctrine est formellement définie et elle ne peut être modifiée de façon à en inverser la portée. Chaque nuance des collectes de l’Avent de 1962 exprime sans ambiguïté cette doctrine catholique de la grâce, à la manière assez subtile et non didactique propre aux oraisons. Bien que les collectes de l’Avent de 1970 ne contredisent pas explicitement l’enseignement catholique sur la grâce, elles ne l’expriment pas et, plus inquiétant, elles ne semblent pas l’assumer.