Marie-Catherine Ribeaud, psychologue, écrit dans Lyon Capitale :
"[…] Imaginons. Tu es une jeune fille
de 14 ans. Tu as été élevée par un couple dont tu portes le nom, mais
biologiquement, tu n’es pas leur enfant. Une inconnue a fait un don
d’ovocytes à un laboratoire, et le spermatozoïde qui t’a engendrée
provient d’un autre inconnu. Aujourd’hui, l’anonymat de cette femme et
de cet homme, tes parents biologiques, est strictement préservé. […] Après
un court passage en éprouvette, ou peut-être même un séjour au
congélateur, tu as logé environ 9 mois dans un ventre qui t’a expulsée,
ce qui est là, pour l’instant, notre lot à tous. Cette femme-là t’a
portée, et même si génétiquement elle ne t’est rien, 9 mois en
communication aussi étroite, ce n’est pas rien.Si je veux
compliquer les choses, (mais la vie n’est jamais simple), j’imagine que
la femme qui t’a désirée et accueillie dans son foyer dès ta naissance
est morte brutalement quand tu étais encore un bébé. Son époux, ton père
légal, s’est rapidement remarié ; peut-être en partie pour te donner
une mère ?Te voilà donc, jeune fille de 14 ans,
pourvue de quatre mères, à un âge où une seule est à la fois
indispensable et de trop. Mais laissons de coté la psychologie dans
cette question qui est la tienne mais te dépasse. Qu’est-ce qu’une mère,
demandes-tu, et quelle est la mienne ? Celle qui m’a désirée et dont il
me reste peut-être quelques photos, mais dont je n’ai aucun souvenir
conscient ? Celle qui m’a portée, dont on m’a parlée ou non, qui ne fait
pas partie de mon existence, mais dont j’ai probablement partagé, in
utero, des joies et des soucis ignorés aujourd’hui de moi et de mon
entourage ? Celle qui a fait ce que je suis, pour moitié, (n’oublions
pas le géniteur) génétiquement ? Celle qui m’élève depuis que j’ai
quelques mois, et que j’appelle maman ?[…] A
ton origine à toi, il y a toute une machinerie qu’on appelle le progrès
technique. Il y a aussi la tyrannie des envies devenues droits, envie
d’enfant, droit à l’enfant. Et il y a, me semble-t-il, à toutes les
étapes de ton début d’existence, l’absence de pensée qui accompagne
l’euphorie de la toute-puissance. […]Mais
peut-être ta réalité est-elle encore un peu plus complexe. Imaginons
que le père qui t’a élevée ne se soit pas remis en ménage avec une femme
mais avec un homme. Pacsés aujourd’hui, mariés demain, ces deux hommes
affirment t’élever avec amour et compétence, et il n’y a aucune raison
de ne pas les croire. Trois ou quatre mères, deux ou trois pères,
pourras-tu « faire avec » tout ça ? […]"