Article intéressant d’Aline Lizotte suite à un article paru dans la presse américaine mettant en évidence la partialité du rapport du Grand Jury sur un sujet douloureux d’actualité et qui n’a pas été (encore) traité par nos grands médias:
Il fallait lire intégralement le Rapport du Grand Jury de Pennsylvanie sur les abus sexuels dans l’Église catholique américaine pour en mesurer la teneur exacte. Peu de journalistes l’ont fait. L’ancien rédacteur en chef du New York Times, Peter Steinfels, s’y est attelé, et sa conclusion est sans appel : l’accusation portée dans ce Rapport est «exagérément trompeuse, irresponsable, inexacte et injuste». Quatre adjectifs qui changent considérablement la donne !
Ceux qui suivent l’actualité de l’Église catholique concernant les questions de pédophilie se rappelleront le tsunami causé par le Rapport du Grand Jury de Pennsylvanie, le 14 août dernier. Un autre tsunami, en sens inverse, risque de se produire. La revue Commonweal a publié hier un long document de Peter Steinfels qui, après avoir lu minutieusement le Rapport du Grand Jury, en fait une sévère critique. Contrairement à ce que l’on pourrait penser, il ne s’agit pas d’une réaction d’intégristes de droite. Steinfels, ancien professeur de la Fordham University, professeur invité de Notre-Dame University, a été rédacteur en chef des pages religieuses du New York Times. Les sujets religieux le passionnent, dans un sens qui s’accorde beaucoup plus avec Commonweal qu’avec le National Catholic Register. Il militerait volontiers pour l’ordination des femmes. Sa sensibilité religieuse va beaucoup plus dans le sens de celle du pape François que de celle de Benoît XVI ou de saint Jean-Paul II. Il a fondé un institut universitaire de recherche sur les sujets religieux, l’Institute for Advanced Catholic Studies. Quelles sont donc les sévères critiques que Steinfels adresse à ce document, qui a servi de «bible» à tous ceux qui attaquent à l’occasion d’une agression sexuelle l’inertie de l’Église ?
Le document est «injuste» parce qu’il vise un grand nombre de prêtres, dont les noms sont publiés sans qu’on dise exactement quelles étaient leurs fonctions dans l’Église, depuis quand ils ont été ordonnés et quels sont exactement les actes qu’ils ont commis. On veut y dresser un profil du clerc abuseur.
Quand on compare ce document à celui du Rapport Murphy, une étude faite sous la direction du juge Yolande Murphy et sous la responsabilité du Ministère de la Justice en Irlande, paru en 2009, on voit une très nette différence. Dans le rapport Murphy, les cas choisis sont longuement analysés, et les noms des «prédateurs» sont des noms d’emprunt. L’identité n’est pas révélée, et les actes de prédation sexuelle ne sont pas décrits avec autant de «fine» analyse qu’ils le sont dans le rapport du Grand Jury. À quoi cela sert-il, s’interroge Steinfels ?
Se référant au succès du film Spotlight et à ses dernières images, où l’on voit la salle de presse du Boston Globe au début de son premier article sur l’agression sexuelle, suivi de la lettre annonçant le départ du cardinal Law pour Rome, le montage cinématographique attribue toute la «victoire» de ce départ à l’acharnement du journaliste, c’est-à-dire à l’effort médiatique. On mesure alors l’importance du procès médiatique pour contraindre l’Église – et elle seule – à agir dans la lutte contre l’agression sexuelle.
La liste de noms publiés par le Rapport utilise le même procédé. La publication des noms vise un but : démontrer que seul l’acte de rendre publics les noms des supposés prédateurs permettra une lutte efficace contre la pédophilie. Mais on ne tient compte ni de l’histoire du clerc accusé, ni des efforts et des actes que les autorités ecclésiastiques ont posés envers lui, ni comment on a agi. On tient à peine compte de la Charte de Dallas, votée par l’épiscopat américain en 2002, qui introduisait dans la pratique du clergé américain la notion de tolérance zéro. On en reste à cette diffusion de Spotlight : un clerc médiatiquement dénoncé est un clerc coupable. C’est à lui à démontrer qu’il n’est pas coupable. On commence par une présomption de culpabilité pour finir, peut-être, par la présomption d’innocence.
Cela va contre le Droit pénal de n’importe quel pays civilisé en Occident. Mais c’est dans ce climat qu’a été rédigé ce rapport. C’est l’acharnement de l’injustice ! On pourrait ici faire la remarque que les articles que l’on a lus dans la plupart de nos journaux cette dernière semaine relevaient de la même «déontologie» : un évêque assigné à un procès médiatique est un évêque coupable. C’est la déchéance du Droit…
Steinfels va plus loin dans son argumentation sur l’injustice du Rapport de Pennsylvanie. Citant un juriste de grand renom, qui a été juge en chef de la Cour d’appel de New York, Stanley H. Fuld, il montre que, lorsqu’un prévenu est accusé (indictment) d’un délit, il fait normalement face à un procès qui peut prendre un certain temps, parfois long. L’accusation a été établie après une enquête ou une instruction gérée selon le Droit, et pas seulement par la rumeur publique. Au contraire, les enquêtes des Grands Jurys sont à la fois une accusation et une condamnation et, émanant d’un organisme public, on leur doit le respect. Ils ont de ce fait un potentiel de tort considérable.
Le Rapport du Grand Jury a le même sens qu’une condamnation autoritaire, comme le ferait une accusation sans procès, en éliminant toutefois la possibilité pour l’accusé de recourir aux aides prévues par la loi pour sa protection. C’est pourquoi s’appuyer sur les investigations du Grand Jury de Pennsylvanie pour juger du comportement des clercs pédophiles dans toute l’Église est un exercice extrêmement dangereux ! Mais c’est un exercice qui a plu à certains journalistes, surtout ceux travaillant dans des médias qui se disent catholiques !
Le Rapport a été presque oublié. Mais son impact est encore important. Au moins une douzaine d’États ont annoncé qu’ils suivraient les traces du Procureur général de Pennsylvanie ; le gouvernement fédéral des USA a annoncé une grande enquête, le Département de la Justice également. Et le pape François a programmé une grande réunion de tous les présidents des Conférences épiscopales pour la fin du mois de février.
Il est à espérer que l’on ne se référera pas à cet exhibit sans valeur qu’est le document fait sous la direction de Josh Shapiro. On l’espère, sans en être sûr ! Même Christine Pédotti, la directrice de Témoignage chrétien, l’a publiquement demandé. Demande heureusement bloquée par le Sénat !
L’accusation la plus importante à laquelle il s’attache est la prétendue indifférence de l’Église catholique envers les victimes : «All of these victims, the report declares, were brushed-aside, in every part of the state, by church leaders who preferred to protect the abusers and their institution above all” (Toutes ces victimes, déclare le Rapport, furent dans chaque partie de l’État, traitées d’un revers de main par ces hommes d’Église qui ont préféré, par-dessus tout, protéger les agresseurs et leur institution).
Les douze premières pages, écrites dans une langue incendiaire et au mépris de toute vérité, proclamaient l’intention de ce rapport utilisant une institution d’État pour détruire l’Église. On a accusé tous les évêques des six diocèses concernés de délaissement total du sort des victimes. Les journalistes qui n’ont lu que l’introduction – et encore, ce sont les meilleurs, la plupart des autres se sont contentés des notes fournies par les agences de presse -, ont été imbibés par ce langage incendiaire. C’est le langage qu’ont également utilisé la plupart des journalistes couvrant l’affaire Barbarin.
Autrement dit, le protocole du langage est lancé : parler de l’agression sexuelle des clercs dans une Église doit impérativement mettre en évidence le désintéressement des pasteurs envers des victimes et la pratique généralisée du cover-up. Or, Steinfels montre jusqu’à quel point c’est inexact et trompeur.
Les membres du Grand Jury ont totalement négligé la Charte de Dallas de 2002 ; surtout, ils n’ont absolument pas pris en compte les deux enquêtes demandées par l’épiscopat américain et réalisées par une entreprise de haute compétence, le John Jay College of Criminal Justice, qui a fait une analyse complète de l’état de la pédophilie dans toutes les instances sociétales des USA. Ils ont négligé complètement le fait que chaque année, chaque diocèse doit envoyer au secrétariat de la Conférence épiscopale un rapport détaillé des actes de vigilance, des actes de surveillance, des plaintes et de leur traitement quant à ces comportements douteux. Ils n’ont pas tenu compte de la baisse réelle du nombre des actes d’agression sexuelle commis sur mineur depuis 1990 – tous les actes étudiés se situent entre 1980 et 1990 –, jusqu’à une réduction de ce nombre à quelques cas par année. Comme l’ont dit certains évêques à la lecture du Rapport de Pennsylvanie, cela ne concerne plus l’Église d’aujourd’hui. Il n’y a plus de cercles du silence – expression attribuée faussement au cardinal Huerl, qui vient de démissionner de sa charge d’archevêque de Washington.
Pour bien montrer jusqu’à quel point le Rapport du Grand Jury est trompeur, Peter Steinfels étudie les faits et gestes de Mgr Donald W. Trauman, évêque du diocèse de Erie de 1990 à 2012. Trois évêques ont agi dans la situation difficile de ce diocèse depuis 1980, Mgr Michael J. Murphy, prédécesseur de Trauman, et Mgr Lawrence Persico, évêque depuis 2012. Sous l’épiscopat de Mgr Murphy fut lancée dans le diocèse, à l’aide de la société d’experts K&L Gates, une commission d’enquête qui examina plus de 100 000 documents. On y révéla 41 clercs ayant un profil de tendances pédophiles, dont 3 ayant un dossier personnel lourd. Leurs actes d’agressions furent connus après les années 1980, donc sous le gouvernement de Mgr Trauman. Comment l’évêque s’en occupa-t-il ?
Pour comprendre comment il a agi, il faut se rappeler que le Droit pénal, aux USA, est sous la juridiction de l’État local, et non sous la juridiction de l’État fédéral. Mgr Murphy avait envoyé ses trois clercs dans un centre de traitement aux USA et au Canada. À leur retour, il les traita différemment selon les recommandations des différents centres. Le premier cas était déjà limité à un ministère où il n’y avait aucun contact avec les enfants ; le second cas a été assigné à une paroisse selon la recommandation du centre de traitement, et Traumann l’a laissé en poste jusqu’en 2000. Après que certaines plaintes ont été faites contre lui, il ne prit que quelques semaines à l’évêque pour agir. Le troisième prêtre, après son retour d’une thérapie qui dura trois ans, fut assigné au service de gériatrie d’un établissement hospitalier et, finalement, on lui a enlevé l’état clérical en 2002, quand l’évêque reçut des plaintes des comportements de ce prêtre en 1960.
Ce furent les trois témoignages que Mgr Trauman déposa devant le Grand Jury de Pennsylvanie. Mais ce Grand Jury interpréta les actes du pasteur autrement. L’aide dans les institutions thérapeutiques et l’assignation dans un ministère qui ne comportait aucun contact avec les enfants furent interprétées non pas comme le souci de l’évêque d’aider ses prêtres, mais uniquement comme le souci d’employer des précautions légales pour couvrir ses actes de gouvernement diocésain. On ne tient aucunement compte du fait qu’aucune nouvelle plainte ne fut déposée de la part de ces anciens agresseurs. On ne tient pas compte qu’en trente-deux ans de ministère épiscopal, Mgr Trauman a rencontré toutes les victimes, qu’il les a aidées, qu’il les a conseillées et qu’il a payé leurs soins thérapeutiques ; on ne tient pas compte d’un rapport examinant tous les dossiers du diocèse et demandé par l’évêque au Erie County district Attorney, rapport qui avait conclu qu’«aucun agresseur n’est en position de présenter un réel danger pour qui que ce soit». On peut, à juste titre, soutenir que certaines décisions puissent faire l’objet d’un jugement différent. Mais il est malhonnête d’adopter la conclusion que Trauman «ait déplacé ses prêtres de paroisse en paroisse pour couvrir l’abus et mettre l’image du prêtre et de l’Église au-dessus de la protection des enfants».
À la fin de son long exposé, dont je ne donne qu’un bref aperçu, Peter Steinfels parle de la transparence. Si l’on entend par «cacher» le fait de soustraire à la justice quelqu’un qui est passible d’actes pervers ou criminels, il est évident que cet acte est mauvais et recèle une complicité secrète. Mais si l’on appelle «cacher» le fait de respecter la réputation de la personne, autant de la victime que de l’offenseur, l’acte de discrétion peut être bien meilleur que celui d’afficher une «transparence», qui souvent soustrait à la conscience des sentiments moins purs, d’orgueil, de haine, de vengeance ou de honte que l’exhibition excuse et qui causent le plus grand tort à la victime aussi bien qu’à l’offenseur.
Dans l’introduction du Rapport du Grand Jury, on lit ceci : «Des prêtres ont violé des petits garçons et des petites filles, et les hommes de Dieu non seulement ne firent rien contre eux, mais ils les ont cachés». Cette phrase à elle seule dit tout ce que prétendait faire le Grand Rapport de Pennsylvanie. Il fournit un langage-clé. On n’a nul besoin de connaître les faits, ni de les analyser objectivement, on a seulement besoin qu’il y ait quelque chose de sexuel qui se soit passé. Et l’on traite l’affaire pour mettre en évidence que «des hommes de Dieu» laissent faire leurs subordonnés pour préserver leurs avantages et trahir leur mission. C’est le langage protocolaire exigé. Chacun de ces mots dissimule la haine et la vengeance, et surtout le mensonge. Utiliser les souffrances de victimes pour en faire un outil pour détruire l’Église de Dieu et faire croire qu’on ne veut qu’aider Église est, à première vue, incompréhensible.
Pour comprendre, il faut peut-être ouvrir la Genèse : «Et il dit à la femme, “Pas du tout ! Vous ne mourrez pas ! Mais Dieu sait que, le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux, qui connaissent le bien et le mal”»(Gn 3, 5).
Classico
L’Eglise est accusé pour les horreurs de l’Inquisition alors qu’elle a inventé avec celle-ci la procédure de justice moderne
Aujourd’hui l’Eglise est accusée de tous les maux avec une pseudo justice qui revient sur le principe de la procédure inquisitoriale
Double mensonge donc, le signe du diable est là.