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France : Politique en France

Accord sur la Nouvelle-Calédonie à Bougival : une course contre la montre pour la démographie

Accord sur la Nouvelle-Calédonie à Bougival : une course contre la montre pour la démographie

Eric Descheemaeker, observateur du dossier calédonien, livre sur Conflits ses réactions après l’annonce de la conclusion d’un accord sur la Nouvelle-Calédonie à Bougival (Yvelines), samedi 12 juillet. Selon lui, cet accord ne se peut se défendre d’un point de vue pro-français que comme manière de gagner du temps pour « refranciser » l’archipel du Pacifique :

Comme l’accord de Nouméa, mais de manière bien pire encore, l’accord de Bougival repose sur une ambiguïté fondamentale destinée à satisfaire tout le monde, en fonction de la manière dont on le lit.

Il crée en effet, selon ses propres termes, un « État de la Nouvelle-Calédonie » qui « pourra être reconnu par la communauté internationale » (une version antérieure disait « aura vocation à »). Cet État sera doté de sa propre « nationalité », calédonienne. Mais il est censé rester « au sein de l’ensemble national » et son statut, toujours selon l’accord, être « inscrit dans la Constitution » française.

Globalement, les compétences régaliennes restent exercées par la France, mais la Nouvelle-Calédonie pourrait exiger leur rapatriement si une large majorité s’exprimait en ce sens.

On voit immédiatement la double lecture possible de l’accord (c’est évidemment le but) :

  • Les indépendantistes repartent avec leur « État » calédonien avec (logiquement, mais ce n’est pas acquis[1]) un passeport calédonien, et possiblement un statut d’observateur à l’ONU. Comme en plus c’est la Nouvelle-Calédonie qui – en théorie du moins – décide elle-même de ce qu’elle fait ou ne fait pas, elle peut se dire « pleinement souveraine ». Selon cette lecture, il y a deux États égaux en dignité, France et Nouvelle-Calédonie, liés entre eux par des conventions acceptées de part et d’autre. La Nouvelle-Calédonie est une sorte d’État associé, mais inhabituel : davantage séparé de la puissance « partenaire » par certains aspects (nationalité, reconnaissance internationale notamment), mais moins par d’autres (tant que les compétences régaliennes restent exercées par la France, il est difficile de dire que c’est par délégation de la Nouvelle-Calédonie, rien dans l’accord n’appuyant pareille interprétation).
  • La lecture loyaliste va être de dire que ces mots n’engagent pas à grand-chose, que l’État calédonien n’est pas un « vrai » État ni sa nationalité une « vraie » nationalité ; et que les compétences régaliennes ne seront jamais transférées, puisque les indépendantistes n’auront jamais de majorité qualifiée (36 sièges sur 56) – et ce d’autant moins que la répartition des sièges est rééquilibrée au profit de la province Sud (le bastion des loyalistes) et le corps électoral dégelé.

D’un côté, donc, une victoire symbolique écrasante (un nouvel « Etat » va voir le jour) ; de l’autre des considérations pragmatiques : le petit État calédonien reste français sans perspective d’indépendance (exeunt les référendums d’autodétermination) ; on va pouvoir relancer la machine économique pendant que ceux d’en face savourent des hochets qui ne sont, au fond, que des mots sur le papier.

Chacun va donc considérer avoir gagné : c’est le principe même d’un accord, pour qu’il puisse aboutir en l’absence de défaite militaire d’un des camps. […]

En dernière analyse, la démographie contrôle tout. Accord de Bougival, accord différent ou pas d’accord du tout, si les indépendantistes restent aussi nombreux et aussi prêts à recourir à la violence qu’aujourd’hui, l’indépendance est inévitable à terme. Les résultats du recensement à venir vont, hélas, être d’ores et déjà une douche froide pour les non-Kanaks. Si on ne repeuple pas la Nouvelle-Calédonie avec des populations non-indépendantistes, sa sortie de la France est inéluctable. Dans ces conditions, le pari des loyalistes peut se comprendre comme étant la seule solution possible (ou plus précisément la condition préalable à cette solution).

La réussite du pari fait toutefois face à deux obstacles considérables. D’une part, la logique de l’accord de Bougival, qui pourrait mener à une sortie de la Nouvelle-Calédonie du giron de la République : c’est possible, mais ce n’est pas inévitable. D’autre part, le fait que la paix et la stabilité tant désirées reposent sur la parole de gens dont nous savons qu’on ne peut pas leur faire confiance. C’est un problème considérable ; toutefois, étant donné cet accord, mais aussi les conséquences désastreuses de l’insurrection de 2024 pour les Kanaks, il semble peu probable qu’ils reprennent les armes avant cinq ou dix ans.

Telle que nous la voyons, la situation est donc très simple : c’est une course contre la montre. Si, dans 10 ans les Kanaks ne sont plus qu’un tiers de la population, voire moins, la potentialité d’indépendance (ou quasi-indépendance) contenue dans l’accord restera une simple potentialité, et les loyalistes auront gagné leur pari : concéder des symboles, puissants, mais dépourvus d’effets juridiques directs, en échange de la capacité à agir pour faire prospérer une Nouvelle-Calédonie qui pourrait ainsi, malgré tout, rester française. Sinon ? Eh bien, sinon, la prochaine étape sera la déclaration d’indépendance de l’État de Kanaky, suivie de sa reconnaissance effective par la communauté internationale et son entrée à l’ONU comme membre de plein droit. Tout reste donc à écrire ; cet accord est immensément risqué, mais l’espoir nous est permis.

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