Thibault van den Bossche, du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), exhorte, dans une tribune publiée par le JDD, l’Union européenne à faire preuve de vigilance dans ses relations avec le dirigeant syrien Ahmed al-Charaa :
[…] Le 8 décembre 2024, la chute du régime de Bachar al-Assad a ouvert un nouveau chapitre politique en Syrie, avec l’arrivée au pouvoir d’Ahmed al-Charaa. Son passé et ses liens avec des groupes islamistes, dont Hay’at Tahrir al-Sham (HTS), suscitent de vives préoccupations. HTS, un groupe rebelle islamiste, rival de l’Armée nationale syrienne soutenue par la Turquie, dérive tout droit du Front Al-Nosra, qui était à l’origine la branche syrienne officielle d’Al-Qaïda. Al-Qaïda est un réseau terroriste international fondé en 1988 par Oussama Ben Laden, dont l’objectif principal est d’établir un califat islamique mondial.
HTS affirme s’être éloigné d’Al-Qaïda en 2016, mais cet éloignement est avant tout stratégique et non idéologique. HTS tente de se présenter comme un acteur politique légitime et indépendant en Syrie, mais il reste classé comme organisation terroriste par l’ONU, les États-Unis, l’Union européenne, la Russie et la Turquie. Même s’il ne mène pas un djihad mondial, son objectif reste de dominer la Syrie et d’imposer un régime islamiste local.
Le 17 décembre 2024, Ahmed al-Charaa a annoncé la dissolution de HTS et l’intégration de ses combattants, ainsi que ceux d’autres factions rebelles, au sein d’une nouvelle armée nationale placée sous l’égide du ministère de la Défense. En réalité, HTS est devenu la nouvelle administration syrienne, et a renvoyé policiers, militaires et fonctionnaires de l’ancien régime, quitte à rappeler certains anciens cadres par la suite. Aujourd’hui, les Syriens attendent avec impatience la nomination d’un nouveau gouvernement, prévu pour le 1er mars 2025, et « inclusif » selon les mots du ministre des Affaires étrangères par intérim, Assaad al-Chaibani. Le gouvernement actuel est uniquement composé d’islamistes ou d’alliés d’al-Charaa.
Instauration en Syrie d’un État islamique régi par la charia
Il est difficilement concevable qu’un homme recherché par le FBI en 2017, avec une prime de 10 millions de dollars sur sa tête sous le nom d’Abou Mohammad al-Joulani, devienne aujourd’hui un interlocuteur légitime sous l’identité d’Ahmed al-Charaa. La communauté chrétienne syrienne n’est pas dupe de la barbe taillée et du costume-cravate du nouveau dirigeant autoproclamé de la Syrie. Mais elle est partagée entre crainte et incertitude d’une part, pragmatisme et appel au calme d’autre part.
Le 31 décembre 2024, Ahmed al-Charaa a rencontré à Damas les chefs religieux chrétiens du pays, affirmant son intention de bâtir une Syrie « inclusive » où toutes les confessions seraient respectées. Lors de cette rencontre, al-Charaa a exprimé son admiration pour le pape François et a affirmé son intention de faciliter le retour des chrétiens syriens ayant quitté le pays, leur garantissant la liberté de pratiquer leur foi.
Cependant, Ahmed al-Charaa reste indéniablement un islamiste qui souhaite mettre la Syrie sous le joug de la charia, et les chrétiens restent exposés. Le 18 décembre 2024, des hommes armés non identifiés ont ouvert le feu sur une église grecque-orthodoxe de la ville de Hama, pénétrant dans l’enceinte et tentant de détruire une croix et de briser des pierres tombales dans un cimetière. Les lieux de culte, mais aussi les sapins de Noël à Suqaylabiyah et à Alep ont été visés.
Sous le nouveau régime, les universités sont remodelées selon l’idéologie islamiste. Des mosquées sont érigées sur les campus universitaires, et une stricte ségrégation des sexes est imposée dans les espaces publics, y compris les transports en commun. Des villages chrétiens, tels que Maaloula, se retrouvent isolés et vulnérables face aux groupes extrémistes environnants, qui les accusent injustement de collusion avec l’ancien régime.
La nécessaire défense des communautés chrétiennes en Syrie
Les chrétiens syriens exigent plus que la simple liberté d’assister à la messe ou une reconnaissance superficielle de leurs traditions. Les chrétiens syriens réclament une reconnaissance pleine et entière de leur citoyenneté, aspirant à contribuer activement à la reconstruction et à l’avenir politique et social de leur pays, plutôt que d’être relégués au rôle de simples spectateurs ou de communauté sous tutelle.
Le respect du pluralisme et de l’équilibre communautaire conditionne la paix en Syrie, comme dans tout le Moyen-Orient. Les chiites sont soutenus par l’Iran, les sunnites par l’Arabie saoudite et la Turquie. Alors que les chrétiens appellent l’Europe à l’aide, celle-ci, au nom de l’universalité et par reniement de ses racines chrétiennes, affirme ne pas vouloir privilégier une communauté en particulier.
Pourtant, la défense des chrétiens ne relève pas seulement d’un enjeu communautaire, mais bien d’un enjeu universel. Les chrétiens sont au service de la société tout entière, à travers leur tissu associatif, leurs écoles, leurs hôpitaux, leurs dispensaires qui accueillent toute la population, sans distinction de religion. Ainsi les chrétiens sont-ils vecteurs de paix et de stabilité, même au cœur des guerres civiles.
L’Europe ne peut pas se permettre de rester passive
L’Union européenne est le premier bailleur de fonds de l’aide humanitaire en Syrie, avec plus de 33,3 milliards d’euros mobilisés depuis 2011. En janvier 2025, elle a annoncé 235 millions d’euros d’aide supplémentaire. Le Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ) a mobilisé les députés du Parlement européen, qui ont demandé à la Commission européenne d’exiger des garanties claires pour les chrétiens syriens dans toute discussion sur l’avenir du pays. Loin d’encourager le communautarisme, une aide spécifique pour les chrétiens favorisera leur ancrage local, leur dynamisme et leur service et, in fine, profitera à toute la société syrienne.
L’Europe a un levier diplomatique et financier majeur, mais elle doit l’utiliser avec discernement, il en va de sa responsabilité morale. Si nous restons silencieux aujourd’hui, dans dix ans, nous assisterons à une disparition quasi totale des chrétiens de Syrie, comme cela s’est produit en Irak. Nous devons exiger que la Syrie soit une nation pour tous ses citoyens, et non un pays où les chrétiens sont contraints à l’exil ou à la soumission.
Montalte
Bien dit.