Vincent Badré, professeur d’histoire-géographie au collège Stanislas, signe une tribune dans La Croix à propos de l’action pédagogique adaptée à des adolescents :
Des élèves seraient victimes de sexisme et d’homophobie à Stanislas, lycée sélectif parisien et catholique. Après des alertes médiatiques et un rapport d’enquête administrative, une réflexion plus large est possible. En prenant un peu de distance, l’action pédagogique peut tenir compte de l’adolescence comme temps des questions, qui méritent une information sur les choix possibles de futurs citoyens.
Partir du point de vue des élèves peut nourrir cette démarche. Le rapport administratif sur Stanislas révèle une attitude adolescente méconnue, mais réelle. Ne pas dire grand-chose, mais écouter, vouloir des informations, et ne pas encore choisir entre les valeurs qui leur sont proposées. « La plupart des élèves auditionnés » ont dit avoir été intéressés par l’instruction religieuse et avoir aimé pouvoir dire ce qu’ils ou elles « en pensent ».
On peut aussi retrouver ce désir de savoir sans conclure dans les témoignages négatifs du même rapport, quand des élèves ou des parents ont été blessés ou mis mal à l’aise par les mêmes formations de « catéchèse » ou de « vie affective ». Les uns et les autres témoignent d’une demande d’ajustement des attitudes qui peut concerner tous les éducateurs et passer par une pédagogie de la distance.
Une pudeur pédagogique
Les éducateurs peuvent s’inspirer d’Hergé. Avec Tintin, il décalait dans l’imaginaire les questions les plus actuelles, du trafic d’esclaves à la dictature ou à l’amitié dans l’éloignement et les épreuves. Par ces détours, il pouvait rejoindre la quête d’autonomie des enfants qui grandissent et leur faire toucher les questions du monde des adultes.
Un même mouvement de mise à distance et d’évocation peut se retrouver en classe. Le pédagogue s’y inscrit dans un principe généalogique de continuité avec les intentions des parents pour aborder les questions essentielles, mais il le fait en passant par le détour de l’étude, en particulier à propos de la nature, de l’histoire ou de la littérature. Et son travail peut s’accompagner d’une certaine pudeur pédagogique à propos de ses propres idées. Laurence de Cock, très engagée par ailleurs, l’exprime juste après les attentats de 2015. Elle veut « écouter les questions, ne pas traquer les “dérapages”… aider à comprendre et à poser des mots sur le drame ».
Exposer sans imposer
Pour trouver la juste distance, l’enseignant se fait aussi explorateur du réel et praticien de la prudence scientifique. Il désigne les choses d’une main qui ressemble à celle de saint Jean Baptiste dans le tableau du retable d’Issenheim de Colmar. Celle-ci est tournée vers la réalité du corps de Jésus, mort, qu’elle désigne, mais elle ne peut le toucher directement. Cette image symbolise le mouvement de la connaissance scientifique, qui observe, produit des hypothèses plus ou moins assurées et des théories explicatives.
En montrant ainsi le réel dans la distance, l’enseignant construit le savoir comme un troisième lieu, celui de la référence dont parlait Pierre Legendre. Il présente les travaux des sciences et rend possible une représentation intérieure de l’altérité, qui distingue les points de vue et permet leur dialogue. Il montre que les connaissances humaines sont une représentation, qu’on peut déconstruire mais qui n’existe pas sans recherche de la vérité.
Les connaissances ainsi partagées nous font rentrer dans la vie en société. Elles sont en effet une éducation à la démocratie. Selon Jürgen Habermas, la liberté politique naît de la confrontation des idées et des argumentations des hommes à propos de leurs valeurs. Elle a besoin des faits et de leurs interprétations, des théories, des catéchismes et des idées politiques. Et cela ne réduit pas la liberté de conscience si l’enseignant a le courage de faire savoir sans vouloir faire croire et quand l’élève sait qu’il peut comprendre une idée sans être obligé de l’approuver.
Éduquer au pluralisme
L’éducation au pluralisme des idées peut cependant produire une inquiétude : celle de voir les élèves choisir une lecture du monde et refuser des principes communs. Des « paniques morales » opposées imaginent aussi que les jeunes pourraient ne pas assez aimer la République, la France ou le « vivre ensemble ». Elles oublient cependant que la jeunesse « désireuse des lois » est un âge pré-politique. Collégiens et lycéens ne sont pas au temps des conclusions mais à celui des questions. Secrètement curieux, ils cherchent, peuvent se taire, critiquer ou admettre ce qu’ils reçoivent.
Les élèves vivent le temps où les professeurs les aident à construire leurs réponses futures par les pratiques de l’argumentation puis de la dissertation ; en élaborant des conclusions, y compris sur des sujets politiques. L’éducation au commun passe aussi par les bornes qui construisent la vie sociale. Elle fait respecter des codes vestimentaires d’école qui annoncent ceux des métiers. Elle ne nie pas la liberté intérieure des élèves, mais leur montre les espaces où il est possible de porter le manteau de fourrure rose ou l’uniforme de ses rêves.
Une culture du respect des uns envers les autres peut alors naître de l’éducation au civisme. Placée à la bonne distance des connaissances et des normes sociales, elle peut apprendre à associer la liberté de l’individu et le droit d’avoir une famille, un métier et un pays, dans l’esprit de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. En acceptant les détours des connaissances et le pluralisme des analyses, elle renonce aux illusions de la manipulation et peut aider les élèves à construire leur liberté.
Australe
les critiques envers Stalnislas viennent de censeurs, ils préfèrent le formatage à l’esprit critique positif qui libère.
Les jeunes ont besoin de repères, le vivre ensemble nécessite des règles donc des devoirs. On doit les leurs enseigner.
Tout n’est certainement pas parfait à Stanislas mais le gouvernement devrait prendre exemple sur les Lycées Catholiques qui accompagnent les lycéens dans leur réussite. Dans le public c’est trop souvent l’anarchie.
VIVANT
Vive Courtade, Badré, Chaunu, Emmanuel, … qui se nourrissent de l’eucharistie, nourriture qui aide à libérer la liberté de leurs élèves et leur permet de suivre Romains 12,1-2. Merci à ces profs renés au quotidien.