Mise au point historique de Vincent Tournier, maître de conférence de science politique à l’Institut d’études politiques de Grenoble.
"Le nationalisme, c’est la guerre", ne cesse de répéter François Hollande, maintenant suivi par Emmanuel Macron. Cette convergence dans la condamnation du nationalisme n’est pas surprenante en ces temps d’intégration européenne et de montée du FN. Mais elle est malgré tout inquiétante tant elle témoigne d’une vision simpliste de l’histoire. Associer le nationalisme à la guerre est terriblement réducteur, et même totalement faux. La guerre est un phénomène ancien, sans doute éternel dans l’histoire humaine, alors que le nationalisme est très moderne puisqu’il émerge avec les Lumières et la Révolution française.
Le terme même de « nationalisme » date de 1798. A cette époque, les guerres sont d’ailleurs surtout attribuées à l’ambition des Princes et aux intérêts des castes dirigeantes, alors que les peuples sont vus comme sages et pacifiques. Aujourd’hui, le raisonnement a basculé : les élites sont vues comme une source de paix alors que les peuples sont considérés comme un problème. C’est un signe supplémentaire de la crise que connaît l’idée démocratique dans l’Europe contemporaine.
Mais réduire la guerre au nationalisme revient à ignorer que les guerres ont des causes multiples, variables selon les époques. Ces causes mêlent le pouvoir, l’économie, les intérêts, la religion. Le nationalisme n’est pas en lui-même un facteur de guerre : la Suisse ou la Finlande, pourtant très nationalistes, ne menacent personne. En fait, le nationalisme ne devient un facteur de guerre que lorsqu’il s’est accompagné d’une logique impérialiste d’expansion territoriale ou, surtout, sur une volonté de regroupement des minorités nationales éparpillées, comme ce fut le cas pour la guerre de 1914, laquelle avait davantage à voir avec l’impérialisme allemand qu’avec le nationalisme français.
Et puis, tout de même : comment peut-on sérieusement soutenir que le nationalisme c’est la guerre, alors que la France est aujourd’hui menacée par un phénomène (l’islamisme) qui se caractérise justement par la négation des nations au nom d’un projet d’unification universelle autour d’une communauté religieuse ? (…)
Les « nationalistes » remplacent les « fascistes » dans la détestation sociale. Le nationalisme, voilà l’ennemi. Or, le nationalisme n’a pas du tout les mêmes caractéristiques que le fasciste, notamment dans son rapport à la démocratie. Faire du nationalisme le mal absolu, c’est justement oublier que celui-ci a été la condition d’émergence de la démocratie moderne.
La démocratie ne peut en effet exister sans un demos, sans un peuple qui partage une langue, des valeurs, une volonté commune. Aujourd’hui, certains pensent qu’il est possible de créer une démocratie post-nationale. Or, c’est un pari pour le moins audacieux car rien dans l’histoire ne permet de justifier cette thèse. Les philosophes des Lumières en étaient même arrivés à la conclusion inverse, à savoir que les empires plurinationaux ne sont pas compatibles avec la démocratie car la coexistence de plusieurs peuples nécessite d’avoir un pouvoir central autoritaire. Le « Printemps des peuples » a précisément marqué la volonté d’émancipation des nations contre la prison impériale.
Faire du mot nationalisme le point de polarisation des clivages fait donc courir un risque majeur : celui de renier tout un pan de notre héritage démocratique. En somme, en voulant se débarrasser de ce qu’on tient pour la source de tous nos maux, on risque de jeter le bébé avec l’eau du bain.