Franck Abed a lu cet ouvrage du spécialiste de l’Afrique :
Bernard Lugan a écrit plus de 30 ouvrages consacrés à l’Afrique. Il est universitaire et expert auprès du TPIR (ONU). Il fut professeur à l’Ecole de Guerre et aux Ecoles de Saint-Cyr-Coëtquidan. Par ailleurs, il dirige la revue numérique l’Afrique Réelle.
Avec la publication de cet atlas, Lugan dresse un bilan des connaissances historiques au sujet du continent africain. Il y décrit les permanences et les ruptures qui expliquent en grande partie les crises actuelles. Elles permettent également de prévoir celles de demain. Concrètement, des origines de l’Homme aux conflits tribaux d’aujourd’hui, nous pouvons suivre l’histoire de l’Afrique en parcourant les 250 cartes parfaitement légendées.
Au sujet de la cartographie, rappelons ce qu’écrit le professeur Hubert Deschamps en 1971 :
« Les nouvelles frontières tracées en Europe sur des cartes à petite échelle, parfois fausses, étaient le plus souvent des lignes droites ou des cercles, toute une abstraction géométrique ne tenant pas compte des peuples, le plus souvent ignorés. De là, des découpages à la hache, une boucherie diplomatique ».
Ce constat est sans appel. Deschamps ajoute :
« Une Gambie anglaise taillée dans les peuples wolof et mandingue accordés à la France. Les Evhé coupés en deux tronçons, anglais et allemand (Ghana et Togo). La création artificielle de grands ensembles comme le Nigéria, le Tchad, le Soudan, groupait dans les mêmes frontières des peuples du Nord, anciens esclavagistes et les peuples du Sud qu’ils avaient rançonnés ; les premiers, musulmans, n’avaient eu aucun scrupule à lancer des raids des chez les seconds païens. De là, des souvenirs qui les portaient assez peu à vivre ensemble. »
C’est une longue citation, mais nous nous estimons nécessaire de la produire pour comprendre « le péché originel » de l’Afrique, comme l’analysait Deschamps il y a presque 50 ans.
Lugan estime, et nous le rejoignons, que « ce constat est licite dans ses grandes lignes ». Toutefois, il apporte une précision fondamentale :
« Cependant, à y regarder de plus près, les réunions de nombreux peuples au sein de la même entité administrative posèrent peu de problèmes tant qu’ils furent soumis à un même maître étranger. Les difficultés apparurent lors des indépendances, quand l’ethno-mathématique démocratique donna la victoire aux plus nombreux. D’où les problèmes qui se posèrent avec les peuples minoritaires. »
Nous l’avons compris, les logiques politiques européennes et le découpage arbitraire de l’Afrique qui ne prenaient pas en compte les spécificités ethniques, linguistiques et religieuses donnèrent naissance à de véritables bombes à retardement. En définitive, tant que l’Européen était là pour administrer des peuples différents sous une même autorité, les complications et clivages ne se montrèrent pas si importants. Mais une fois l’indépendance obtenue, les différents groupes ethniques se livrèrent à des conflits impitoyables dont l’écho se fait encore entendre aujourd’hui. En même temps, il nous faut tout de même reconnaître que vouloir faire vivre des esclavagistes et des esclaves au sein de la même entité politique et territoriale, étaient aussi intelligent que de travailler à la cohabitation des animistes, des païens et des musulmans…
L’auteur rappelle à juste titre que
« la brève parenthèse de moins d’un siècle que fut la colonisation, et qui s’ouvrit dans les années 1880 pour s’achever dans les années 1950, perturba en profondeur les équilibres continentaux. La conquête coloniale se fit en effet généralement à l’avantage des pôles littoraux avec lesquels les Européens avaient noué de séculaires relations et qui, dans bien des cas, avaient été leurs partenaires durant l’époque de la traite esclavagiste. »
Il précise également que « les Empires qui résistèrent à la colonisation, furent défaits au profit des populations qu’ils dominaient. » Le dominé devenait le dominateur et il n’entendait pas faire table rase du passé.
Comme l’explique très bien Lugan :
« Sur les décombres de ces empires ou sur les mosaïques ethniques régionales, les tracés coloniaux ont plaqué un artificiel maillage à l’intérieur duquel les Etats post-coloniaux ne sont le plus souvent que des coquilles juridiques vides ne coïncidant pas avec les patries charnelles qui fondent les véritables enracinements humains. »
Il s’agit d’une analyse imparable.
Pour saisir l’Afrique dans ses particularités humaines et sociales, il convient de ne pas oublier sa géographie. A ce titre nous lisons avec intérêt que
« sur la carte, le continent africain apparaît comme un bloc de 30 millions de kilomètres carrés. A la différence de l’Asie, de l’Amérique du Nord ou de l’Europe, il ne présente ni vastes échancrures, ni péninsules digitées, ni chapelets d’îles. »
L’auteur souligne d’autres spécificités du continent africain :
« Cet aspect massif est d’ailleurs le seul trait unitaire d’un continent aux milieux profondément individualisés, souvent isolés les uns des autres par des barrières naturelles. »
Lugan détaille son propos de la meilleure des manières :
« Les pluies et les climats permettent de mettre en évidence au moins cinq Afriques : les Afriques des déserts, les Afriques des savanes, les Afriques des forêts, les Afriques des hautes terres et les Afriques tempérées. Chacun de ces grands ensembles est divisés en une infinité de sous-ensembles régionaux. »
A l’aune de ces démonstrations, nous comprenons encore mieux le désastre des découpages opérés en dépit du bon sens par les colonisateurs.
En ce qui concerne les religions, voici le propos que nous tenons à relever :
« En dehors de survivances animistes minoritaires et difficile à quantifier, les Africains sont chrétiens ou musulmans. Islam et christianisme sont deux religions importées introduites en Afrique depuis l’extérieur et à des moments historiques différents. »
Lugan explique de manière claire et précise le contexte de ces implantations. Là aussi, les différentes cartes proposées permettent de bien comprendre les analyses produites par l’auteur.
En plus d’aborder les religions, les ethnies, les langues, la géographie, le climat, Bernard Lugan n’esquive pas le sujet vital de la démographie. Il écrit à ce propos :
« Avec un taux de croissance voisin de 4%, la population africaine double tous les 20 ans. Dans les années 1950-1960, la population du continent était d’environ 275 millions d’habitants, soit 9% de la population mondiale. Dans les années 1990 les Africains étaient 650 millions, soit 12% de la population mondiale. En 2050, 40% des naissances mondiales seront africaines et en 2100 avec plus de 3 milliards d’habitants, le continent abritera 1/3 de la population mondiale, dont les trois quarts au sud du Sahara. »
Ces chiffres donnent le tournis et montrent l’urgence du problème. Bien évidemment il s’agit de projections, et rien ne dit que les courbes des naissances continueront à se maintenir à ce rythme au cours des prochaines décennies.
A ce jour, comme l’énonce avec pertinence et clarté Lugan,
« cette démographie galopante menace les équilibres politiques et produit des masses de pauvres. Elle constitue donc une bombe sociale et politique, car 850 millions d’Africains vivent actuellement dans la pauvreté, des millions d’entre eux ne survivent que par l’assistanat et 150 millions sont à la limite supérieure de la pauvreté. »
La situation se montre donc extrêmement préoccupante.
Pour prétendre résoudre les problèmes de l’Afrique, il faut déjà commencer par maîtriser les différents aspects de ce vaste continent et ne pas reproduire les erreurs du passé. L’auteur développe avec ampleur et brio une idée que nous approuvons sans réserve :
« Le développement de l’Afrique demeurera […] une chimère tant que la démographie n’y sera pas contrôlée. En dépit des sommes colossales qui y ont été déversées par les pays riches, au lieu de se développer, le continent africain s’est au contraire appauvri, puisque la croissance économique (entre 1,4% et 1,6% en 2017), y est inférieure à la croissance démographique (3-4%). »
Comme souvent, l’argent ne résout pas tout…
Bernard Lugan source et référence précisément chaque analyse. Nonobstant la masse considérable d’informations, le chapitrage précis permet de s’y retrouver sans difficulté. La bibliographie présentée en fin d’ouvrages s’avère précieuse pour approfondir nos études. Cet atlas, que nous avons grandement apprécié, peut être considéré comme un outil de référence pour ceux qui désirent connaître, apprendre, étudier les constantes historiques et ethniques qui caractérisent la géopolitique des Afriques.
Note de Michel Janva :
Ce n’est pas en contrôlant la démographie (et nous aimerions savoir comment) que le développement de l’Afrique sera nécessairement résolu. Or l’Afrique est un continent sous-peuplé. Contrairement à cette idée malthusienne encore répandue, il est nécessaire d’atteindre une masse critique de population pour développer une industrie et de nombreuses autres activités économiques, qui ne peuvent voir le jour qu’avec l’existence d’un bassin démographique conséquent. Par ailleurs, l’Afrique subsaharienne francophone connaît un véritable dynamisme économique, tiré par sa croissance démographique…
Ce développement ne pourra également croître que lorsque l’Occident commencera par cesser de piller les richesses de l’Afrique, à commencer par les cerveaux : l’élite africaine est en effet tentée, voire incitée à rejoindre les pays de cocagne occidentaux, privant ainsi leurs pays de leurs compétences. Comme le déclarait un homme politique il y a quelques années, il y a plus de médecins béninois en France qu’au Bénin. Le cardinal Sarah en parle également dans son dernier ouvrage. Le cardinal guinéen dénonce le pillage des ressources naturelles avec la complicité des chefs politiques nationaux. Il dénonce l’hypocrisie de l’Occident et écrit aussi :
Je pense souvent à la phase abjecte du président Emmanuel Macron lors du sommet du G20 à Hambourg, en juillet 2017 : “Quand des pays ont encore sept à huit enfants par femme, vous pouvez décider d’y dépenser des milliards d’euros, vous ne stabiliserez rien”. Comment évoquer l’indépendance des pays africains quand on ose parler de la sorte ?