Editorial de Charles-Henri d'Andigné dans Famille chrétienne :
"Il aura donc fallu huit cents morts pour que l’Europe consente, enfin, à bouger. Qu’elle cesse de regarder ailleurs et de laisser l’Italie seule face cette question tragique des réfugiés. Une tragédie est un drame où tout le monde a raison. Qui ne comprend que les migrants cherchent à fuir une situation insupportable ? Qui ne conçoit que les pays européens, déjà aux prises avec une crise sévère et devant faire face aux problèmes liés à l’immigration, voient ces réfugiés arriver sans excès d’enthousiasme ?
Il y a là, à première vue, deux libertés qui s’affrontent. D’une part, rappelait le pape Benoît XVI en 2013, « chaque État a le droit de réguler les flux migratoires et de mettre en œuvre des politiques dictées par les exigences générales du bien commun ». D’autre part, ajoutait-il, « le droit de la personne à émigrer […] est inscrit au nombre des droits fondamentaux, avec la faculté pour chacun de s’établir là où il l’estime le plus opportun pour une meilleure réalisation de ses capacités, de ses aspirations et de ses projets ». Selon qu’on penche vers tel ou tel bord de l’échiquier politique (selon aussi le quartier où l’on habite), on sera plus sensible à l’une de ces deux libertés.
Réguler les flux migratoires : plus facile à dire qu’à faire. À Strasbourg, l’an dernier, le pape François insistait avec raison sur la nécessité, pour l’Europe, d’agir sur les causes qui poussent les migrants à tenter de rejoindre ce qu’ils croient être un eldorado. Principalement les guerres et la pauvreté économique, les deux phénomènes étant liés. Or, les Occidentaux, loin de promouvoir la paix en Libye, ont semé le trouble et la guerre, se contentant d’en chasser le dictateur (après l’avoir courtisé) sans se préoccuper de la suite. Résultat : les réfugiés de Libye affluent en Europe. Quant au développement économique, où en est la coopération de l’Occident avec les pays africains ? Il serait peut-être temps d’y songer sérieusement.
Et puis, il y a le droit des personnes à émigrer, que personne ne nie. Mais il n’est en rien contradictoire avec la régulation des flux migratoires. Si on ne régule pas ces flux, les migrants continueront de risquer leur peau dans des rafiots de fortune ; et parvenus en Europe, ils continueront de vivre dans des conditions souvent déplorables. Les premières victimes de l’immigration à tout-va, ce sont les immigrés eux-mêmes.
« Avant même le droit d’émigrer, disait encore Benoît XVI, il faut réaffirmer le droit de ne pas émigrer, c’est-à-dire d’être en condition de demeurer sur sa propre terre, répétant avec le bienheureux Jean-Paul II que “le droit primordial de l’homme est de vivre dans sa patrie”. »