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Culture de mort : Avortement

Avortement : la revue Prescrire s’en prend à l’objection de conscience des médecins

Avortement : la revue Prescrire s’en prend à l’objection de conscience des médecins

Prescrire est une revue scientifique française, visant à apporter aux professionnels de santé, et grâce à eux, aux patients, des informations sur les médicaments et les stratégies diagnostiques et thérapeutiques. Ses rédacteurs sont à une forte majorité des professionnels de santé. L’Association Mieux Prescrire, qui édite toutes les productions Prescrire, est une association de formation à but non lucratif organisée pour être affranchie des influences des firmes, comme de celles des organismes chargés de l’organisation des systèmes de soins. L’abonnement s’élève à plusieurs centaines d’euros par an, ce qui fait de Prescrire une publication entièrement autofinancée par les abonnés, sans revenu publicitaire et sans subvention. Elle a un impact important sur le plan scientifique auprès des médecins, et parfois des médias comme avec le Médiator (avis lors de sa sortie : “merci de ne pas prescrire ce médicament inutile et dangereux“).

Dans le numéro de septembre 2020, pages 690 à 695, la revue publie un dossier sur la situation pratique et légale de l’objection de conscience dans tous les cas et toutes les professions, qui se conclu par :

“Concernant l’IVG, dans les compromis nécessaires au vote de la loi Veil en 1975, les médecins ont obtenu une clause de conscience spécifique qui permet à ceux qui le veulent de ne pas en pratiquer, sous condition de continuité des soins. […] Le droit des femmes à un accès à l’IVG dans un délai et à un coût raisonnable est surtout menacé en 2020 par le recours de trop de médecins à la clause de conscience. Cela donne en pratique un pouvoir discrétionnaire aux médecins sur un droit des femmes. C’est à l’Etat, éventuellement par la loi, de corriger les inégalités d’accès à certains soins et de rappeler que les choix de société sont des choix collectifs, et sont à respecter aussi”

L’absence des autres causes explicatives des difficultés d’accès à l’avortement et l’absence de mention du % de médecins objecteurs de conscience, sont particulièrement étonnants dans une revue aussi sérieuse et objective. C’est en réaction à cette conclusion que l’un de nos lecteurs a envoyé ce long message à la revue Prescrire :

Bonjour,

J’ai lu avec un grand intérêt votre dossier sur l’objection de conscience, que j’ai trouvé complet et objectif sur le plan juridique ; par contre, j’estime que certains éléments objectifs pertinents sont manquant dans ce dossier, et je me permets de vous écrire pour vous les signaler.

Afin de donner d’entrée ma position philosophique et morale sur le sujet, je dirais clairement qu’à mes yeux on devient un être humain, c’est à dire un être vivant appartenant à l’espèce humaine, dès la fécondation, et que par conséquent tout avortement quel que soit le terme revient nécessairement à écourter la vie d’un être humain. Mais cette lettre n’a pas pour but de discuter des problèmes éthiques que peut poser ou sembler poser l’IVG, mais d’essayer de sortir des questionnements purement éthiques dont on nous rebat les oreilles lors de tout débat, article ou discussion sur le sujet, et de réfléchir sur les éléments médicaux du débat, au sens large : santé publique, relations entre la médecine et la société, éléments statistiques, relation médecin patient.

Premier élément : l’IVG n’est pas un problème médical, mais de façon conjointe à la contraception et à l’assistance médicale à la procréation, une réponse médicale à l’exigence sociale de maitrise totale de la fécondité.

Ce point me semble important, et systématiquement occulté du débat : dans ce cas, le refus de soin n’entraine pas de conséquences directes sur la santé du ou de la patiente, contrairement par exemple au refus de soigner un infarctus du myocarde ou un cancer sans aucune justification médicale ; mettre les deux sur le même plan de “refus de soins” avec ses implications inconsciente me pose déjà problème.

Deuxième élément : Est-ce que l’impact de l’objection de conscience est REELLLEMENT significatif sur l’accès à l’IVG ; quel est le pourcentage de médecins gynécologues ou généralistes objecteurs de conscience ? Et à supposer que 100% des médecins fassent les IVG lorsqu’on les demande, en supprimant totalement le droit à l’objection de conscience, et que malgré tout l’accès à l’avortement demeure difficile par manque de médecins pratiquant l’avortement, pourras t’on enfin se poser la question : le vrai problème est-il que quelques % de médecins refusent de pratiquer l’avortement… ou que le nombre de demandes d’avortement est devenu si élevé que le système de santé en est submergé, et aura de toute façon du mal à satisfaire toutes les demandes, objection de conscience ou pas ? Parce que si supprimer l’objection de conscience ne change rien au problème… pourquoi la supprimer, surtout sans chercher à agir sur les autres éléments du problème ?

Vu le nombre d’IVG actuelles (224300 en 2018, pour 758 000 naissances) peut sérieusement et objectivement parler d’une forte résistance du système de santé à pratiquer des avortements, ou d’un recours à l’avortement fortement entravé par l’objection de conscience, au moins en métropole ?

Il me semble évident que non, et que le vrai problème est que le système de santé ne peut plus suivre le nombre de demande d’avortement… Ce qui génère un ras le bol et un dégoût des gynécologues dont l’activité finit par se résumer à des avortements à la chaine, pour des raisons non médicales, et qui dans certains cas peuvent leur sembler abusives (pour ceux qui mettent cette affirmation en doute, présentez-moi un gynécologue ayant une activité d’IVG importante, et qui serait en désaccord avec cette phrase !)

Troisième élément : pourquoi lorsqu’on parle d’objection de conscience, ou d’IVG au sens large, n’évoque t’on jamais la possibilité d’une politique de santé publique visant à prévenir le recours à l’IVG ? Et pourquoi si une personne de ma tendance philosophique le fait, la renvoie-t-on systématiquement au respect de la liberté individuelle ? Il ne semble même pas possible de seulement discuter de la possibilité d’agir sur les principaux déterminants facilement modifiables de la demande de recours à l’IVG, ce qui n’implique absolument pas la moindre atteinte à la liberté individuelle.

En médecine, on le fait tout le temps : pratique d’activité sportive, alimentation équilibrée, arrêt ou diminution du tabac, action sur les facteurs de risque des cancers ou des principales maladies chroniques, addiction à l’alcool ou aux drogues, prévention de l’anémie ferriprive chez les patients végans, pratiques sexuelles à risque chez les patients HSH… Je vous laisse compléter la liste en fonction de votre spécialité !!

Dans aucun de ces cas, on ne nous parle ni de tentative de manipulation, ni d’entrave à la liberté individuelle, ni de risque de stigmatiser le patient, qui existent pourtant aussi, et avec des réprobations sociales parfois bien plus fortes que pour l’IVG !!

Pourtant, dès qu’on aborde l’IVG dans le débat, il est impossible de parler sur un plan simplement médical : on est systématiquement ramenés, qu’on le veuille ou non, à un débat purement éthique, comme si c’était le seul point qui mériterait d’être examiné…

Exemple : dans quels cas le rapport bénéfice risque du recours à l’IVG ou de la poursuite d’une grossesse non désirée ou inopportune est-il favorable ou non sur les plan physique, familiaux, psychologique et sociaux ? Evoquez cette question clairement médicale et uniquement médicale dans le débat public (alors que déontologiquement c’est un de nos devoirs de répondre aussi à cette question lors d’une consultation de demande d’IVG, et que les gynécologues ont clairement une expertise dans ce domaine) et vous voilà immédiatement classé “extrémiste religieux”, voire commando anti-IVG, alors que vous êtes un médecin qui parle de médecine !!!

Quatrième élément : il y a objectivement une ambivalence de la société sur l’IVG, par exemple : on dit sur tous les tons qu’il faut éviter à tout prix de stigmatiser la patiente… Et la consultation d’annonce de l’IVG de tout médecin objecteur de conscience doit se passer comme ça selon la loi : “bonjour docteur, je viens pour un avortement” “ah non désolé madame moi je ne les fais pas, mais allez donc voir le Dr Untel à tel endroit, lui il les fait” Difficile de faire plus stigmatisant, moins à l’écoute, et moins empathique…

Autre exemple : les réactions dans le débat public à toute demande de parler aussi des éléments constitutifs de l’information claire loyale et appropriée sur l’IVG : risques psycho-sociaux, alternatives à l’IVG… Les réactions proprement hystériques soulevées par toute évocation d’une information de ces points en consultation d’IVG alors que tout médecin a le devoir de les évoquer de façon appropriée dans une consultation d’IVG me semble poser question !

Dernier exemple : on affirme en permanence et avec force au niveau social que l’IVG ne pose aucun problème éthique, tout en retenant sans cesse le débat sur terrain éthique, signe d’un vrai malaise sur le sujet (si vous estimez que c’est faux, dites-moi pourquoi il faut que ce soit un médecin opposé à l’IVG qui soulève l’ensemble de ces points non évoqués dans un dossier spécial sur l’objection de conscience fait par une revue sérieuse, indépendante et indemne de tout soupçon de partis pris idéologique…).

A partir de ce constat et du premier point évoqué, à quel point la société est-elle éthiquement fondée à réclamer une suppression de l’objection de conscience pour les médecins ? Et sur quels fondements ? Poser la question ne préjuge pas de la réponse, et en effet même dans le cadre d’un système de santé saturé de demandes d’IVG, le fait que l’objection de conscience puisse entrainer, de façon même non significative, une diminution de l’accès à l’IVG est un élément pouvant plaider pour une restriction de la liberté de conscience ; mais ce qui me gêne vraiment, c’est que ce questionnement sur les fondements de la légitimité ou non de la société de forcer des médecins à pratiquer un acte médical pour une indication purement sociale (puisque je parle de l’IVG et pas de l’IMG) me semble absents même dans une revue aussi sérieuse que Prescrire et sur un dossier aussi complet par ailleurs…

Cinquième élément : Je trouve particulièrement insultant pour l’ensemble des médecins que tout médecin refusant de pratiquer l’avortement soit forcément considéré et traité comme un dangereux manipulateur sans aucune éthique professionnelle ; pourquoi dans ce cas un médecin cesserait il forcément de suivre les recommandations du Code de déontologie, à savoir : respect du choix de la patiente, écoute empathique, information claire, loyale et appropriée, etc, etc, etc…

Je trouve cette attitude sociale envers notre profession insultante et injuste : quelles que soient nos convictions, et malgré des exceptions à cette règle, nous agissons et nous efforçons tous d’agir dans notre pratique en médecins respectueux de nos patients, de leur histoire, de leurs convictions, et en nous interdisant la manipulation et la contrainte (hormis l’exception des cas d’hospitalisation sous contrainte en psychiatrie).

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