Lu dans Minute :
"A trois mois du XVe congrès du Front national, qui se tiendra les 29 et 30 novembre à Lyon et s’annonçait sans enjeu majeur, Aymeric Chauprade vient de frapper un grand coup qui a, entre autres mérites, celui de poser les véritables questions de fond, celles qui fâchent et que le Front national, qui rechignait à les traiter frontalement, va bien devoir trancher s’il veut accéder au pouvoir. […] Aymeric Chauprade, député au Parlement européen et conseiller de Marine Le Pen pour les affaires internationales, a publié un long manifeste. Certes, sa publication est intervenue sur son blog personnel et n’engage pas le Front national. Certes, le texte est simplement titré : « La France face à la question islamique : les choix crédibles pour un avenir français ». Mais il est déjà perçu comme un « Manifeste pour une nouvelle politique internationale de la France », en rupture totale avec la diplomatie de François Hollande, avec celle de son prédécesseur… et avec la ligne non dénuée d’arrière-pensées d’une partie du Front national, de ses compagnons de route et de certains conseillers occultes de sa présidente.
[…] En adepte du théoricien et philosophe catholique allemand Carl Schmitt, Chauprade fait sienne la notion d’ennemi prioritaire. « La France, écrit-il, n’a aujourd’hui qu’un véritable ennemi : le fondamentalisme islamique sunnite. » En vertu de quoi il affirme ceci, écrit en caractères gras : « A moins donc qu’il ne soit gouverné par un antisémitisme obsessionnel, un patriote français ne peut chercher à former, contre Israël, et avec l’extrême gauche pro-palestinienne, la racaille de banlieue et les islamistes une alliance à la fois contre-nature et sans issue politique. » Evidence pour l’électeur frontiste de base, direz-vous, mais pas pour une partie – en voie de réduction mais toujours influente – de l’appareil frontiste, qui persiste d’une part à croire à la possibilité, pour Marine Le Pen, de s’attirer le vote musulman, d’autre part à tenir le « sionisme » pour la source de tous les maux, camouflant (mal) derrière ce vocable au sens mystérieux un antisémitisme en effet « obsessionnel ».
Sur ce même thème, Chauprade va encore plus loin, rompant cette fois, sans prendre de gants, avec la ligne défendue, par exemple, par le vice-président du FN Florian Philippot, se démarquant aussi clairement avec la ligne de Jean-Yves Le Gallou, le très écouté président du laboratoire d’idées Polémia (lequel n’a pas encore réagi) : « Un vrai patriote français doit être capable de hiérarchiser les dangers qui menacent la France, de refuser l’idéologie et les constructions intellectuelles simplistes lui désignant un ennemi mondialiste imaginaire contre lequel il faudrait mener une révolution mondiale. » […]
Mais Chauprade va encore beaucoup plus loin. Il en appelle à l’élimination physique, par les services français, des djihadistes… français partis combattre en Syrie (ou ailleurs). […]
Marine Le Pen, qui prône encore l’assimilation des populations extraeuropéennes, croyant que l’échec de celle-ci est juste dû à l’absence d’autorité de l’Etat (qu’elle rétablira), s’est toujours refusée à entrer dans cette logique. Chauprade s’y engouffre : « La France a évidemment besoin de profondes réformes économiques, et d’une réforme morale sans doute, mais elle est, avant tout, menacée par le remplacement de sa population historique par une population en majorité africaine et musulmane. Il s’agit là d’une évidence qu’aucun déni de réalité ne saurait masquer. » Evidence peut-être pour lui, mais pas inscrite du tout dans les gènes du FN. […]
Et, comme un constat ne suffit pas, il avance des solutions qui ne sont pas plus celles qui figurent dans le programme du Front national, en ciblant ceux qui n’ont vocation « ni à être ni à rester français », ce qui implique l’application des textes permettant la déchéance de la nationalité française pour ceux qui le sont déjà et n’ont pas « vocation à le rester » : « Ceux des musulmans sunnites qui s’assimileront choisiront d’intégrer l’héritage d’une France chrétienne, laïque et d’accepter que leurs compatriotes juifs puissent aimer Israël comme eux-mêmes aiment la terre de leurs ancêtres, le Maroc, l’Algérie, la Tunisie. Les autres (ils sont nombreux) qui font le choix de l’oumma plutôt que de la France, qui voilent leur femme et leurs filles, qui adoptent la barbe salafiste, ceux-là n’ont vocation ni à être ni à rester français. Le refus énergique de l’islamisation (en refusant la construction de mosquées et l’intégration des règles islamiques dans nos coutumes) autant que la réforme profonde des conditions d’accès à l’Etat-Providence seront les deux choix politiques forts qui créeront les conditions du retour de ceux qui n’ont pas voulu choisir d’aimer la France. » […]
Il faut lire l’intégralité de ce manifeste, qui traite aussi, de façon moins étonnante, de la responsabilité écrasante des Etats-Unis, des relations avec la Russie, de celles avec le Qatar et avec l’Arabie saoudite (« En plus d’être achetés par le Qatar et l’Arabie Saoudite, nos gouvernants de l’UMP et du PS ont fait le choix cynique du poids démographique de la clientèle électorale musulmane ») et de la dérogation au principe de non-ingérence au nom de la « solidarité civilisationnelle » qui fait que le communiqué publié ce même 11 août sous la signature d’Aymeric Chauprade au nom du Front national était titré : « La France doit participer militairement à la destruction de l’Etat islamique en Irak ». […]
Pour Marine Le Pen, sortir de l’ambiguïté, c’est-à dire adopter ou rejeter ce Manifeste pour une nouvelle politique internationale de la France, et donc définir qui est l’ennemi prioritaire, le « fondamentalisme islamique sunnite » ou le « mondialisme » qui n’est bien souvent que l’autre nom que les antisémites donnent au « sionisme », serait au contraire un grand éclaircissement indispensable dans sa quête du pouvoir."