Hervé Rolland, président de la Fondation pour l’école, publie une tribune dans Le Figarovox :
En choisissant de soumettre les lycées des établissements indépendants, dits «hors contrat» à un bac spécifique, plus difficile et contraignant que celui qu’auront à passer les élèves du public ou du privé sous contrat, Jean-Michel Banquer ne rend pas justice au travail des enseignants et des élèves de ces lycées.
En outre, sa décision est contre-productive pour les établissements d’enseignement supérieurs qui savent la qualité académique de la très grande majorité des élèves qui sortent des lycées indépendants ; ils devront probablement patienter pour identifier ces élèves et leurs établissements d’origine (tant que cela est encore possible…) dans le cadre de Parcoursup.
Après un rendez-vous avec le Ministère le jeudi 18 février, les craintes de la Fondation pour l’école se confirment effectivement pour le bac 2021 de ces élèves.
Bien qu’ils soient, comme les autres, touchés de plein fouet par la crise sanitaire, le bénéfice du contrôle continu leur est refusé contrairement à leurs homologues de l’enseignement public ou privé sous contrat. Ils devraient apprendre seulement dans les prochains jours de manière officielle que les épreuves de spécialité, qu’ils devaient passer à la mi-mars, sont finalement annulées. Annulées? Oui et non, car elles seront en fait reportées pour la mi-juin!
Pour mémoire, ces mêmes épreuves de spécialité ont été annulées pour les élèves du public et du sous-contrat. Eux en ont été informés il y a plusieurs semaines. Mais surtout, pour eux et seulement pour eux, ces épreuves ne sont pas reportées mais remplacées par les moyennes de leurs bulletins scolaires !
Pourquoi? Pour «permettre aux élèves et aux professeurs de préparer sereinement les épreuves de juin et la suite de leurs études supérieures et de disposer d’une plus grande prévisibilité sur la deuxième moitié de l’année scolaire dans un contexte sanitaire incertain.»(extrait du site du Ministère de l’éducation nationale).
À ce jour les élèves du hors-contrat, scolarisés dans des établissements scolaires indépendants régulièrement déclarés et contrôlés, se sont inscrits en début d’année pour obtenir, comme les autres, le diplôme national du baccalauréat. Contrairement aux autres candidats qui sont scolarisés en établissements public ou privé sous contrat, ils n’auront cependant droit ni à la sérénité, ni à la prévisibilité. Le seul droit qu’on leur reconnaîtrait aujourd’hui serait-il celui de garder leurs incertitudes liées à la crise sanitaire?
Cette discrimination est-elle acceptable? Cette inégalité de traitement est-elle seulement audible? Pense-t-on réellement que les élèves des lycées indépendants bénéficieraient d’une immunité collective face au virus? Ou plutôt considère-t-on que la liberté de l’enseignement doit se payer au prix fort: au prix de la santé tant physique que morale d’une catégorie d’élèves qui semble oubliée voire méprisée en l’espèce?
Pendant que les élèves de terminale du public et du privé sous-contrat auront, pour obtenir leur baccalauréat général ou technologique, à réviser les seules épreuves du grand oral et de philosophie, qui seront donc leurs seuls examens de toute l’année scolaire 2020-2021, les élèves de terminale du privé hors-contrat auront, quant à eux, à réviser, en plus du grand oral et de la philosophie, l’histoire-géographie (programmes de première et terminale!), l’enseignement scientifique ou les mathématiques (programmes de première et terminale!), leurs deux langues vivantes (programmes de première et terminale!) ainsi que leurs deux épreuves de spécialité.
Et d’ailleurs, qui les corrigera? Des enseignants du public et du privé sous contrat qui apprécieront moyennement ce travail qui leur sera demandé en plus alors qu’ils n’auront pas été mobilisés pour leurs propres élèves…
Ces mêmes élèves du hors-contrat n’auront pas leurs matières optionnelles à réviser. Mais ce n’est pas une bonne nouvelle. En effet, là encore, pour ces seuls élèves, qu’ils suivent des cours de maths experts, de musique ou de langues anciennes, aucune de leurs options ne sera prise en compte pour l’obtention de leur bac: une discrimination de plus à leur égard.
Ainsi, pour obtenir leur baccalauréat cette année, les élèves de terminale du hors-contrat devront donc présenter 8 épreuves (dont la moitié recouvrent les programmes de première et de terminale) à passer entre mai et juin tandis que les élèves du sous contrat et du public n’en auront que 2! En termes de coefficients, le bac 2021 des uns s’obtiendra avec 85 % d’épreuves tandis que le bac des autres s’obtiendra quasi exclusivement sur la base de leurs bulletins scolaires de terminale avec 82 % de contrôle continu!
Ce diplôme du baccalauréat, pourtant national, tel qu’il se profile aujourd’hui aurait donc deux visages bien différents pour des candidats, pourtant tous issus d’établissements scolaires déclarés et reconnus.
Pour le ministre, ce choix d’un traitement discriminatoire serait motivé par des défaillances constatées dans une petite minorité de lycées hors contrat. Pourtant, tous les dossiers d’élèves issus des établissements indépendants sont analysés par les jurys académiques ; ne peut-on leur faire confiance pour apprécier le réel niveau académique des élèves à l’aune de l’établissement dont ils proviennent?
Pour le bac 2020 post confinement, le contrôle continu des lycées des établissements indépendants avait été pris en compte ; les choses s’étaient bien passées et les jurys avaient même rehaussé les notes (issues du contrôle continu) des élèves à l’aune des excellents résultats du bac de l’année précédente. Pourquoi donc revenir, cette année, sur une mesure qui a été appliquée de façon satisfaisante l’année dernière?
À l’heure où le respect des principes républicains est sur toutes les lèvres, qu’en est-il de l’égalité des chances devant un examen national? Comment ces élèves de la République pourront-ils comprendre et accepter une telle discrimination, qui plus est dans ce contexte sanitaire particulièrement hostile? Liberté, égalité, fraternité?