Lu sur Chiesa :
"Cela fait maintenant plus de deux siècles que la France a rejeté de fait son titre de "fille aînée" de l’Église, même si elle n’a pas encore renoncé, pour son chef de l’Etat, à la stalle de premier chanoine honoraire du chapitre de Saint-Jean-de-Latran. Mais, ces derniers temps, deux autres filles bien-aimées de la papauté semblent faire preuve de rébellion vis-à-vis de Rome. L’Irlande ouvertement, la Pologne avec plus de circonspection.
À Dublin, le geste de rupture – comme www.chiesa l’a déjà indiqué – a été de rabaisser l'ambassade d'Irlande près le Saint-Siège au rang de représentation non résidentielle, comme celles de l’Iran et du Timor-Oriental. Cette décision a été officiellement justifiée par des motifs budgétaires. Mais beaucoup de gens estiment qu’il s’agit d’une mesure de représailles pour l’absence présumée de collaboration du Vatican lors des enquêtes menées par le gouvernement irlandais à propos des abus sexuels sur mineurs qui ont été commis par des membres du clergé au cours des dernières décennies. Certaines personnalités politiques ont demandé que l’on revienne sur cette décision. On a pu lire dans l’"Irish Times" que l’ambassade près le Vatican était l’une des moins onéreuses, avec un coût annuel de 348 000 euros seulement. Mais le gouvernement évalue à 600 000 euros l’économie réalisée. En tout cas, aussi bien le premier ministre irlandais Enda Kenny, lors d’un récent voyage à Rome pendant lequel il s’est soigneusement tenu à bonne distance du Vatican, que le ministre des Affaires étrangères, le travailliste agnostique Eamon Gilmore, ont affirmé (y compris à Radio Vatican pour le second) que tant que l’état des finances ne le permettrait pas, on ne reviendrait pas en arrière. […]
Aussi longtemps qu’il a été résident, le représentant de Dublin près le Saint-Siège était l’un de ceux, très rares, qui bénéficiaient d’un circuit préférentiel pour être reçus très rapidement en audience personnelle par le pape. Mais ce qui se passe actuellement, c’est que le nouvel ambassadeur désigné, David Cooney, qui a obtenu l’agrément du Vatican avant Noël, est traité comme tous les autres diplomates. En fait, il est encore sur la liste d’attente pour être reçu par Benoît XVI afin de lui remettre ses lettres de créance, lors de l’une de ces audiences "cumulatives" que le pape accorde aux chefs de mission non résidents et dont la prochaine est prévue pour mai ou juin.
Par une curieuse coïncidence, presque une ironie de l’histoire, au moment même où le pays de saint Patrick, catholique per antonomase, relâche ses liens millénaires avec Rome, son voisin le Royaume-Uni – qui, notamment au nom de sa foi protestante, a opprimé l’Irlande pendant des siècles – ne cesse d’améliorer ses relations diplomatiques avec le Saint-Siège. […]
En ce qui concerne les difficultés croissantes que la diplomatie vaticane rencontre avec l'insoupçonnable Pologne, le nœud de l’affaire est la célèbre Radio Maryja, fondée par un religieux rédemptoriste, Tadeusz Rydzyk. Ou plus exactement, c’est la chaîne de télévision qui lui est associée, TV Trwam, qui a été exclue de l’attribution des fréquences sur la plateforme numérique terrestre qui arrivera dans tous les foyers en 2013. La décision d’exclure TV Trwam de la plateforme numérique a été prise, le 19 décembre dernier, par le Conseil national de la radio et de la télévision polonaises, KRRiTV. Les membres de ce Conseil sont nommés par le président de la république et par le parlement ; il est donc dominé par le parti de la Plateforme civique, PO, dont font partie à la fois le président Bronislaw Komorowski, en charge depuis 2010, et le premier ministre Donald Tusk, arrivé au pouvoir après les élections de 2007 et confirmé à son poste après celles de 2011, nettement remportées l’une et l’autre par la PO.
Le motif allégué est le peu de solidité financière de la fondation Lux Veritatis, propriétaire de TV Trwam. Un motif vigoureusement contesté par la chaîne de télévision catholique qui, au mois de janvier dernier, a déposé un recours devant les tribunaux locaux et mobilisé ses auditeurs, recueillant en quelques semaines plus de 1 700 000 signatures de soutien. Quelques parlementaires ont interpellé la Commission européenne à ce sujet. TV Trwam ne dissimule pas sa sympathie, tout à fait partagée, pour le principal parti d’opposition, le parti conservateur Droit et Justice, PiS, de l’ancien premier ministre Jaroslaw Kaczynski. Ce qui donne à penser que, derrière la décision du KRRiTV, il pourrait y avoir la volonté éminemment politique de bâillonner une chaîne d’opposition très suivie.
Mais TV Trwam est aussi, et peut-être surtout, la plus importante des chaînes de télévision catholiques du pays, aussi bien par son organisation que par ses programmes, et c’est la seule qui, quant au nombre de téléspectateurs, pouvait être admise au numérique. Par conséquent, si la décision n’est pas annulée, il n’y aura plus aucune voix ouvertement catholique sur la plateforme numérique, dans un pays comme la Pologne où l’Église, bien que la sécularisation soit arrivée jusque là, conserve encore un rôle très important. C’est pour cette raison que le conseil permanent de la conférence des évêques de Pologne est intervenu.
[…] Cette aversion, également culturelle, de l'actuel gouvernement de Varsovie pour Radio Maryja a amené ce gouvernement à aller jusqu’à exercer des pressions sur le Saint-Siège pour que celui-ci intervienne contre la radio et la télévision du père Tadeusz Rydzyk. Il l’a également fait de manière formelle, au mois de juin 2011, par le biais d’une note diplomatique qui a été suivie d’une intervention directe du ministre des Affaires étrangères Radoslaw Sikorski, lors d’un entretien que celui-ci a eu avec son homologue au Vatican, l’archevêque Dominique Mamberti. Mais ces pressions ne semblent pas avoir produit les effets espérés. Pour s’en rendre compte, il suffit de lire la lettre écrite au nom de Benoît XVI, le 1er décembre dernier, par le cardinal secrétaire d’état, Tarcisio Bertone, au supérieur des rédemptoristes de la province de Varsovie, le père Janusz Sok, pour le vingtième anniversaire de la radio. La lettre a un "incipit" au ton fortement élogieux : "Le Saint-Père Benoît XVI, en union spirituelle avec les personnes qui participent au XXe anniversaire de Radio Maryja, envoie par mon intermédiaire, par les mains du père provincial, son salut et sa Bénédiction apostolique au fondateur et directeur de la Radio, le père Tadeusz Rydzyk, à tous les collaborateurs ecclésiastiques et laïques, aux volontaires et à ceux qui trouvent dans cette radio catholique une aide dans la foi sur le chemin qui mène à la rencontre avec Dieu". La suite de la lettre est truffée de citations des nombreux éloges adressés à la Radio par le bienheureux Jean-Paul II au cours de son pontificat. En somme, la lettre du cardinal Bertone semble montrer que le Saint-Siège et les dirigeants de l’épiscopat polonais sont tout à fait d’accord pour voir en Radio Maryja une radio catholique qu’il n’est pas juste de marginaliser."