Dès sa nomination, le nouveau Premier Ministre François Bayrou s’est recommandé d’Henri IV. Mais si l’allusion historique est habile, elle est aussi exigeante. Décryptage du père Danziec dans Valeurs Actuelles :
« Bienfaisante dictature » : c’est ainsi que Jacques Bainville qualifiait, dans son Histoire des deux peuples, la conduite du royaume de France par le roi Henri IV. Le “bon roi Henri”, tout “vert-galant” qu’il fût, débuta en effet son règne « dans la cruelle nécessité de faire la guerre à des Français ». Dans sa merveilleuse Petite Histoire de France, le fondateur de la Revue universelle expliquait que c’est à peine si, au moment de son accession au trône, « un Français sur six était pour le roi ». Dit aujourd’hui, on parlerait d’une côte de popularité à 16,67%. Le niveau d’un François Hollande en fin de mandat, c’est dire !
En Béarnais, François Bayrou s’est logiquement pris d’admiration pour le roi Henri IV. Il lui a même consacré un livre en 1994 : Henri IV, le roi libre (Flammarion). On lit en quatrième de couverture ce passage qui prend une consonance toute particulière trente ans après : « Ce livre n’est pas seulement l’histoire d’une vie. Il est aussi une tentative pour comprendre l’entreprise de réconciliation nationale, et le plus spectaculaire redressement financier, économique, politique et moral, que notre pays ait connu ». Cependant, si Henri IV fut un « roi libre » aux dires de François Bayrou, une grave introspection s’impose à son européisme militant : la France de 2024 l’est-elle autant ? Quelle que soit l’éventuelle bonne volonté du nouveau Premier Ministre, les observateurs avisés, ainsi que les Français animés par le bon sens du réel, constatent que la France n’est plus tout à fait maîtresse de son destin et cela, sous deux aspects principaux. La récente signature du traité de libre-échange avec le Mercosur montre à tous combien l’Union Européenne se moque des intérêts nationaux. Bien que la France ne veuille pas de ce traité, a-t-elle vraiment le pouvoir de le refuser ? Le deuxième aspect concerne le poids politique et économique de la dette (dont on ignore d’ailleurs la nationalité des créanciers). Le deuxième président des Etats-Unis, Jefferson, avertissait déjà : « Il y a deux manières de conquérir et d’asservir une nation, l’une est par les armes, l’autre par la dette ».
L’art du pragmatisme
Le sixième Premier Ministre d’Emmanuel Macron n’ignore pas le mot de Konrad Adenauer : « L’histoire est la somme des tragédies qui auraient pu être évitées ». En invoquant le patronage du roi Henri IV, François Bayrou se rêve en grand réconciliateur national. Eviter les erreurs tragiques du passé en s’inspirant de son règne. « C’est une figure très importante. Il a fondé sa rencontre avec la France sur la nécessité de sortir des guerres secondaires pour se retrouver sur l’essentiel qui est l’avenir du pays. Si je peux à mon tour, j’essaierai de servir cette réconciliation nécessaire. Je pense que c’est là le seul chemin possible vers le succès » affirmait-il devant les micros, lors de la passation de pouvoir avec Michel Barnier.
Tous les petits écoliers qui ont la chance d’apprendre convenablement l’histoire de France connaissent la formule célèbre prêtée à Henri de Navarre le Huguenot. Comprenant l’obligation d’abjurer le protestantisme pour devenir Henri IV, il aurait lâché : « Paris vaut bien une messe ». S’il ne l’a pas dit, le subtil Béarnais était bien capable de le penser commentera Bainville… Or, cet art du pragmatisme relève sans doute de l’impératif catégorique en période d’instabilité. Si Paris valait bien une messe, d’autres, plus tard, furent tout à fait convaincus que l’avenir de la Monarchie valait bien un drapeau. Bainville – toujours lui – au détour d’un chapitre de son Histoire des trois générations, évoquait la fameuse affaire du drapeau de 1873. Si le pragmatisme avait dominé, le retour des Bourbons aux destinées du pays était, selon lui, tout tracé. Le persuasif député Chesnelong proposera précisément au comte de Chambord, Henri V, l’exemple de son aïeul Henri IV. Des patriotes comme le général Ducrot, gardien de Strasbourg, le supplièrent de revenir sur le symbole du drapeau blanc. Rien ne pourra faire fléchir l’obstination du comte de Chambord. Et Bainville de commenter : « On comprend la douleur, le dépit, l’amertume des monarchistes dont les efforts se trouvaient condamnés. “M. le comte de Chambord a jeté la couronne par la fenêtre”, dit l’un d’eux. Il avait dit avec sévérité le juste mot. »
Deux qualités françaises à retrouver : le courage et la bonne humeur
Bayrou le pragmatique sera-t-il un nouvel Henri IV, grand réconciliateur d’un pays divisé ? Il faudrait encore au maire de Pau, pour l’envisager, être armé du même double atout que possédait le roi Henri et souligné dans la Petite Histoire de France évoquée plus haut : « Heureusement, le Roi Henri avait deux qualités qui ont toujours plu à la France : le courage et la bonne humeur ».
Réconcilier la France, en effet. Mais autour de quoi ? Le courage serait de le faire autour de son passé millénaire. De défendre son histoire prestigieuse, ses racines chrétiennes et sa culture, immense et privilégiée. Le courage de l’ordre et de la discipline contre le wokisme. Le courage de s’affranchir de projets de loi mortifères comme celui de la fin de vie ou de rapports wokistes comme celui récemment publié sur le transgenrisme par la Haute Autorité de Santé (HAS). La bonne humeur qui redonne à la défense du vrai, du bien et du beau une véritable sérénité d’âme. La joie et l’entrain pour offrir de nouveau du panache et alimenter le désir de faire de grandes choses ensemble, en tant que peuple.
Comme souvent, ce qui est valable pour un pays tout entier s’articule avec la même nécessité pour ses cellules de base que sont les familles ou les paroisses. Courage de transmettre la vérité et bonne humeur pour faciliter son infusion. Tels sont les ingrédients pour pouvoir chanter demain, dans un pays réconcilié avec son âme : « Au diable guerre, rancunes et partis ! Comme nos pères, chantons en vrais amis, au choc des verres, des roses et des lys »