Stéphane Mercier, chargé de cours en philosophie à l’Université catholique de Louvain, a été suspendu à la suite de ses propos anti-avortement dans le cadre d’un cours. Il répond à La Libre Belgique :
Quelle est votre situation actuelle ?
Mes activités de cours sont suspendues; on me dit que mon discours est en opposition avec les valeurs de l’UCL. Je me demande ce que cela signifie : quelles sont les valeurs que mon discours a heurtées ?
Quel était votre objectif en prenant position contre l’avortement dans votre cours ?
Aborder une question importante, en conformité avec le cahier de charge du cours de philosophie, centré sur la question de l’homme; et proposer par le fait même un exemple d’argumentaire philosophique. Les étudiants sont invités à réfléchir par eux-mêmes, à discuter entre eux, à s’interroger, à faire preuve d’esprit critique. Ils ne doivent pas être de mon avis ! Ils doivent réfléchir, et ne pas recevoir simplement passivement l’enseignement qui leur est proposé. Je veux donner matière à penser et à débattre.
Votre posture n’était-elle pas davantage celle d’un militant que celle d’un académique stimulateur d’esprit critique ?
Je ne crois pas. Et il me semble que le très grand nombre des étudiants a compris que je n’imposais pas mon point de vue; je l’ai répété à de nombreuses reprises.
Pensez-vous avoir usé ou abusé de la liberté académique ?
J’ai usé de la liberté académique. Il n’y a aucun abus ! J’ai présenté un argumentaire philosophique en faveur du droit à la vie. C’est tout ce qu’il y a de plus normal. C’est même la moindre des choses, quand on y pense.
Comprenez-vous la position de l’UCL ?
Absolument pas ! En particulier, les propos tenus par Tania van Hemelryk (la conseillère du recteur pour la politique du genre – NdlR) sont incompréhensibles.
Qu’est-ce qui va se passer ensuite ?
Mystère. Je revois les gens de l’entourage du recteur demain. Ce sont eux qui prennent les décisions. Moi, je ferai ce qui convient en fonction de ce qu’ils décideront.
Vos propos ont choqué beaucoup de personnes qui ont réagi fortement. Qu’en pensez-vous ?
Je constate que beaucoup de gens ont été heureux de ma prise de parole. Je constate aussi que les étudiants ont très bien compris l’importance de la liberté d’expression – la leur et la mienne. Une mesure de censure n’aurait aucun sens, étant donné que j’ai fait mon travail de manière honnête, consciencieuse et respectueuse des personnes.
Sur le site de la RTBF et de la bouche des autorités de l’UCL, on apprend que plusieurs étudiants vous accusent d’avoir tenu des propos homophobes par le passé. Que répondez-vous ?
Je réponds que c’est une accusation sans fondement. Dans un cours, en effet, le propos était d’exposer une critique philosophique en règle de l’idéologie du gender (et en particulier du gender queer ou homosexualiste représenté par Judith Butler). Plus exactement, j’ai présenté un résumé synthétique du contenu des deux ouvrages suivants : "La loi du genre" de Drieu Godefridi (Les Belles Lettres, 2015) et "La théorie du genre ou Le monde rêvé des anges" de Bérénice Levet, préfacé par Michel Onfray (Livre de poche, 2016). Ces ouvrages, dont j’ai résumé le contenu au cours, ont été publiés par des auteurs qui sont tous des philosophes, et pas forcément des philosophes catholiques. Je crois n’avoir pas besoin de préciser qui est M. Onfray. Quant à M. Godefridi, il se dit libre-penseur. Sur la question du genre, je suis très largement d’accord avec les critiques sévères qu’ils expriment, et pour les motifs strictement philosophiques développés dans ces ouvrages. Je constate que ces textes ont été publiés dans des maisons parisiennes respectables (Les Belles Lettres, Le livre de poche, et, initialement, Grasset&Fasquelle pour l’essai de Mme Levet, et Le nouvel observateur pour la préface de M. Onfray); je ne crois donc pas que l’on puisse être taxé d’"homophobe" ou de "transphobe" en proposant une synthèse des vues philosophiques développées dans des ouvrages publiés de manière honnête, légale et légitime par des maisons d’édition bien connues. J’ai bien sûr aussi cité d’autres sources, à côté de celles que j’ai mentionnées ci-dessus. Notamment Tony Anatrella, mais je me réfère aussi à Pascal Bruckner, et j’ai bien sûr cité, pour la partie adverse, Judith Butler et Naomi Wolf. Tous des auteurs publiés, et dont les ouvrages, à ma connaissance, n’ont pas fait l’objet d’une censure. Mais si je suis mal informé, il faut me l’indiquer. Et l’indiquer également aux libraires qui proposent tous ces textes dans leur catalogue."
Néanmoins, il a aussi été abandonné par les évêques, qui ont notamment déclaré mardi :
"Même si l’Eglise est opposée à l’avortement, elle fait la distinction entre la personne et l’acte". "L’Eglise comprend que certaines femmes en arrivent à décider d’un avortement quand elles sont dans des situations pénibles, difficiles voire désespérées. […] Par compréhension pour ces situations dramatiques, les évêques tiennent à ce que l’on parle toujours avec nuance et tact des personnes et des couples qui font le choix de l’avortement".
Les évêques de Belgique francophone, membres du pouvoir organisateur de l'Université, par l'intermédiaire de leur porte-parole, ont déclaré s'en remettre à la décision de l'UCL ! L'Eglise condamne dans le code de droit canonique de 1983 tout avortement d'une peine d'excommunication latae sententiae. Ceux qui le pratiquent et ceux qui y coopèrent.
Une pétition aux autorités de l'Université Catholique de Louvain est disponible en 5 langues.
En Belgique, si le délai légal pour avorter est de 12 semaines, la loi permet l'avortement de tout enfant en cas de "risques", compris dans un sens très large, comme l'indique ce rapport du Sénat. Parmi les risques pour l'enfant, il y a les bien connues anomalies chromosomiques, mais aussi la "surdité congénitale" !
"En 2010, 125 interruptions de grossesse pratiquées au-delà du délai de 12 semaines ont été enregistrées : 4 pour cause de péril grave pour la santé de la femme, 120 en raison d'affections graves ou incurables de l'enfant, 1 en raison d'une combinaison de risques pour la mère et l'enfant. En 2011, 109 interruptions de grossesse pratiquées au-delà du délai de 12 semaines ont été enregistrées : 12 pour cause de péril grave pour la santé de la femme, 95 en raison d'affections graves ou incurables de l'enfant, 2 en raison d'une combinaison de risques pour la mère et l'enfant."