Dans Le Point, Daniel Salvatore Schiffer défend les religieuses belges qui accueillent la femme de Marc Dutroux, libérée par la Cour de cassation le 28 août :
"[…] Car, entre les déplorables carences de
la justice belge et la grandeur morale des parents de ces petites
martyres, il reste encore à comprendre – et je peux dire là, en âme et
conscience, justifier – ce qui motive, en toute logique, les soeurs du
couvent des Clarisses de Malonne, paisible bourgade située non loin de
la ville de Namur, à accueillir aussi généreusement, peut-être à leurs
risques et périls, une Michelle Martin, la femme la plus honnie du
royaume, qui, sans leur providentiel secours, ne saurait où aller ni à
quel saint (c'est le cas de le dire) se vouer, risquant même de se faire
lyncher par une foule assoiffée de vengeance, à partir du moment où,
soudain livrée ainsi à la rue, cette libération met sa vie,
paradoxalement, en danger.Heureusement, donc, que ces bonnes
soeurs sont là pour pallier les insuffisances de la justice ! Mais, en
cette Belgique encore traumatisée par le pire crime de son histoire
judiciaire, nombreux sont pourtant ceux qui s'insurgent, à grand renfort
de slogans à l'emporte-pièce, contre l'attitude de ces religieuses. Ils
ont tort, cependant ! Car ces miséricordieuses soeurs – et c'est un
athée qui parle ici – ne font jamais là, animées par ce que les croyants
nomment "l'esprit saint", qu'appliquer scrupuleusement les préceptes
bibliques, que mettre très concrètement en pratique l'enseignement de
l'évangile lui-même : aime ton prochain, fût-il un criminel, comme
toi-même ; tends la joue droite à ceux qui te frappent sur la joue
gauche ; ne t'endors pas le soir en n'ayant pas pardonné à ton ennemi !
Il y a en effet là, en cette pure et inconditionnelle charité
chrétienne, quelque chose de profondément christique, de magnifiquement
divin tant cet héroïque geste dépasse, quelle que soit notre difficulté à
l'admettre, l'entendement humain…N'est-ce pas d'ailleurs le Christ qui,
alors même qu'il était sur le point de rendre l'âme sur sa croix,
accueillit au paradis le larron qui, crucifié lui aussi, implorait alors
le pardon de ses péchés ? N'est-ce pas encore ce même Christ qui, empli
de compassion, empêcha la femme adultère, que les plus médisants
disaient prostituée, de se voir lapidée, sans pitié ni remords, par la
foule ? Ses paroles, à cette occasion-là, sont restées célèbres : "Que
celui qui n'a jamais péché jette la première pierre ; va, repens-toi et
ne pèche plus."C'est très exactement de cet esprit-là, pour
incompréhensible qu'il soit au commun des mortels, que soeur Christine,
abbesse du couvent des Clarisses, qui a une longue tradition d'accueil
des personnes les plus vulnérables, s'inspire lorsqu'elle énonce, pour
justifier la décision de son ordre, ces mots : "Madame Martin est un
être humain capable, comme pour nous tous, du pire et du meilleur. (…)
Nous croyons donc que tabler sur le meilleur d'elle-même n'est pas de
l'inconscience de notre part." Que vaudrait par ailleurs le sacrifice du
Christ en croix, descendu sur terre pour racheter les péchés du monde,
s'il n'y avait, afin de gagner la vie éternelle, la possibilité du
pardon ? C'est là l'essence même du christianisme, son fondement
théologique tout autant que sa raison d'être. Sans cela, autant fermer
les églises ! Ces catholiques qui protestent bruyamment en place
publique pour demander la peau de Michelle Martin, au prétexte qu'ils
n'oublient pas la gravité de son crime, devraient le savoir, eux qui
vont à confesse chaque dimanche et se gargarisent de catéchisme. D'autre
part, pardonner ne signifie pas oublier – bien au contraire, et c'est
même là que réside la grandeur du pardon – pas plus que le repentir d'un
individu n'équivaut, loin de là, à l'exonérer de son passé, ni la
pénitence à effacer le mal qu'il a fait.Oui, je le clame ici
haut et fort, quitte à choquer les bien-pensants ou à heurter l'opinion
publique : ces religieuses du couvent des Clarisses, en accueillant
cette grande pécheresse de façon aussi désintéressée, sans même exiger
auparavant d'elle une quelconque conversion à leurs propres convictions,
sont là, conformément à leur vocation première tout autant qu'en
parfaite cohérence avec la mission qu'elles se sont fixée, des
chrétiennes exemplaires et, tout à la fois, d'une humanité sans
pareille. Elles sont l'incarnation même, en leur généreuse humilité, de
la foi chrétienne en ce qu'elle a – et c'est encore là le même athée qui
parle – de plus noble et grand. […]"