Lors de l’Angélus, le Pape a déclaré :
"En réfléchissant sur ces textes bibliques [de la messe du jour, NDMJ], j’ai tout de suite pensé au Pape Jean-Paul I, dont justement aujourd’hui nous fêtons le trentième anniversaire de sa mort. Il choisit comme devise épiscopale, la même que saint Charles Borromée : Humilitas. Un seul mot qui synthétise l’essentiel de la vie chrétienne et nous montre la vertu indispensable de celui qui, dans l’Église, est appelé au service de l’autorité. Dans l’une des quatre Audiences générales tenues pendant son très bref pontificat, il dit entre autres, avec ce ton familial qui le distinguait :
"Je me limite à recommander une vertu, très chère au Seigneur : il a dit : apprenez de moi que je suis doux et humble de coeur… Même si vous avez fait de grandes choses, dites : nous sommes des serviteurs inutiles […] La tendance en revanche, en nous tous, est plutôt contraire : se mettre en avant".
L’humilité peut être considérée comme son testament spirituel. Grâce précisément à sa vertu, 33 jours suffirent pour que le Pape Luciani entre dans le coeur des gens. Dans ses discours, il utilisait des exemples extraits de faits de la vie concrète, de ses souvenirs de famille et de la sagesse populaire. Sa simplicité était faite d’un enseignement solide et riche, qu’il enrichissait, grâce au don d’une mémoire exceptionnelle et d’une très grande culture, par de nombreuses citations d’écrivains ecclésiastiques et profanes. Il a été aussi un incomparable catéchiste, sur les traces de saint Pie X, son prédécesseur d’abord sur le bureau de saint Marc et ensuite sur celle de saint Pierre. «Nous devons nous sentir petits devant Dieu», avait-il dit dans cette même Audience. Et il ajouta :
"Je n’ai pas honte de me sentir comme un enfant devant sa maman : on croit en sa maman, je crois en le Seigneur, à ce qu’Il m’a révélé".
Ces paroles montrent toute l’épaisseur de sa foi. Alors que nous remercions Dieu pour l’avoir offert à l’Église et au monde, faisons trésor de son exemple, en nous engageant à cultiver sa même humilité, qui le rendit capable de parler à tous, tout particulièrement aux petits et à ceux que l’on appelle les éloignés. Invoquons pour cela Marie Très sainte, humble Servante du Seigneur."
Eloi
Serait-il à l’honneur du Salon Beige que ce dernier prie le Saint Père de porter son prédécesseur sur les Autels ??
Pierre Bérubé
Consternation et surprise, il y a trente ans : trois papes devaient se succéder en moins de dix semaines, dont un ne régna que 33 jours. En ordre : Paul VI (décédé le 6 août 1978), Jean-Paul 1er (26 août au 28 septembre 1978) et Jean-Paul II (élu le 16 octobre 1978). L’acharnement dans le monde catholique à ne pas vouloir oublier le si court pontificat de Jean-Paul 1er, «le temps d’un sourire», dit-on, constitue en soi une énigme que cet abrégé souhaite aborder. Juste un bref regard sur le Web sur le site You Tube sous le dénominatif de «Albino Luciani» (Jean-Paul 1er) et le nombre de liens dédiés à sa mémoire jusqu’en 2008 surprennent éloquemment.
Une personnalité singulière
Ce qu’il faut savoir de même, c’est qu’avant son bref pontificat, Jean-Paul 1er était une personnalité marquante. Patriarche de Venise et docteur en théologie, il publia plusieurs ouvrages dont l’originalité ne manquait pas de frapper l’esprit. Mais, c’est avant tout le style frais, le caractère et les traits épatants du personnage qui définissent singulièrement sa personnalité.
La vitalité des idées et des propos, «qui en fait un progressiste», feutré par l’attitude simple, voire humble, et naturellement joviale, forgent agréablement le bien-aimé pasteur dont on parle encore. C’est d’abord lui et son oeuvre qui l’ont désigné dans un des conclaves les plus courts de l’histoire (quatre tours de scrutin seulement). Il avoua dès lors «qu’une grande tempête était tombée sur lui».
D’un seul trait, dans les premières secondes de son élection, il choisit un nom unique (Jean-Paul), le premier à le faire depuis des siècles, car il faut remonter au Xe siècle pour trouver un pape inaugurant un nouveau nom de règne et il est le seul nom composé de toute l’histoire de l’Église; ce qui donna déjà le ton sur «qui» il était et ce qu’il entendait être.
Ainsi, en un mois, il effectua officiellement quatre audiences générales, cinq angélus, deux homélies et neuf discours officiels d’autorité pontificale. Il accomplit aussi des gestes d’une grande portée. Ainsi, le 20 septembre, il écrivit une lettre aux épiscopats du Chili et d’Argentine, concernant ces deux pays au bord d’un conflit territorial armé majeur en Terre de Feu. Il suivit pareillement les négociations de paix au Moyen-Orient, en cours à Camp David, en encourageant les protagonistes à fortifier la voie du dialogue.
Enfin, le mort subite du pape dans des circonstances que l’on a qualifié à l’époque de «cachées», sans autopsie et d’une grande brièveté dans les procédures d’inhumation, ont suscité exégèses, articles, ouvrages, déclarations assourdissants qui nous rejoignent encore de nos jours. Ajoutons que toute cette trame s’est érigée par la suite en même temps qu’une crise financière et bancaire qui a affecté les institutions de la péninsule italique (et même au plan international, notamment aux États-Unis).
Autant de circonstances pour enflammer les intrigues les plus extravagantes possibles, dont la portée négative a affecté malheureusement un nombre important de bonnes âmes. Jean-Paul 1er s’en serait bien passé, mais la destinée, comme on le sait, ne nous demande pas notre avis.
Une énigme : le passage que l’on ne veut pas oublier
Un passage aussi bref au sein d’une quelque organisation que ce soit devrait se traduire dans les faits par l’effacement du souvenir que le temps effrite si minutieusement. L’avènement et l’événement Jean-Paul 1er a de quoi nous surprendre et suscite le questionnement. Notons par surcroît que ce n’est pas son successeur Jean-Paul II, en 27 ans de pontificat, qui a suscité l’attention sur le sujet. Les communiqués et les références vaticanes durant cette période furent rarissimes.
Malgré tout, le début des années 2000 a vu naître encore une multitude de publications (articles et livres) sur le sujet, d’un bout à l’autre du globe. Des sites Web en Italie, en Belgique, en Argentine, en France, en Russie, etc., dont celui de son patelin et de son diocèse d’origine (Belluno-Feltre), rappellent sa mémoire et les dernières actualités relativement à sa cause de béatification/canonisation qui est actuellement en procès depuis cinq ans.
Les blogues à son sujet pullulent et marquent maintenant l’intérêt des plus jeunes à cet égard. Les derniers vidéos informatifs, commémoratifs ou historiques prennent l’affiche de plus en plus sur le Web, notamment aux sites de You Tube et de Google, dont les derniers ne datent de quelques semaines à peine. Encore récemment, le mystère Jean-Paul 1er a frappé l’imagination. Le film intitulé Le pape Luciani ? le sourire de Dieu et transmis à la fin octobre 2006 par la télévision italienne et vu par plus de dix millions de téléspectateurs, avait suscité un vif intérêt.
Un homme spontané
Dès les premiers moments de son pontificat, quand il affirma « qu’il aurait jamais cru la journée d’avant que cela lui arriverait lorsqu’il votait bien paisiblement », c’est en fait l’originalité et la spontanéité même du personnage qui a frappé et attiré d’abord l’opinion publique. Il en fut de même pour toutes ses audiences publiques. Outre sa manière chaleureuse de s’exprimer, «sa façon de bouger» quoi, il y a les messages et les gestes concrets, voire surprenants, qu’il a gravés dans les mémoires.
Quelques jours après son élection, il affirma en parlant de Dieu : «qu’il est un papa; plus encore, il est mère». Ses lettres publiques juste avant son élection à Charles Dickens, Marie-Thérèse d’Autriche, Goethe, Figaro le barbier, au roi David, Pinocchio, entre autres, ont frappé l’imagination. Son choix d’un nom original dans la succession de ses prédécesseurs associé au changement de l’appellation du titre même du pape, de Souverain Pontife à Souverain pasteur ont été des facteurs supplétifs de l’attrait qu’il a exercé auprès de la population.
Silence et frustration
Ainsi, l’on peut affirmer qu’il s’est installé un clivage et une frustration entre «le désir de pouvoir estimer l’oeuvre de l’attachant progressiste» et la confusion qui s’en est suivi à la suite du décès abrupt et controversé du «Souverain pasteur». Ce silence, qui a presque duré 30 ans, a laissé place aux spéculations et aux divagations de tout genre. Malheureusement, cette disposition a surtout freiné la vulgarisation positive et éducative de l’illustre catéchète.
C’est donc en quelque sorte les patients et fervents attentifs de l’oeuvre moderne de Jean-Paul 1er qui font «que l’on ne veut pas oublier» le bref passage singulier et marqué du successeur de Pierre. Le mystère peut s’expliquer ainsi en comparant les parutions médiatiques relativement à Jean-Paul 1er et ses prédécesseurs et successeurs.
Benoît XVI le théologien
Le pape actuel ? qui avait été accueilli avec réserve dès son élection à cause de son conservatisme avoué ? avait aussi à son actif d’être considéré comme un théologien avéré. Pape depuis trois ans, il ne s’est jamais privé de se référer à la mémoire de son «inoubliable prédécesseur» tel que déclaré en audience publique dès le début de son pontificat, le 25 septembre 2005. Soulignons que Joseph Ratzinger (Benoît XVI), seul cardinal privilégié nominé de Jean-Paul 1er au cours de son court pontificat, avait été délégué par ce dernier à titre de légat pontifical au 3e Congrès marial en Équateur (il était dès lors archevêque de Munich). Le courant passait déjà.
Soulignons que lors de la présentation du film sur Jean-Paul 1er, le pape Benoît XVI avait déclaré et officialisé sur le site du Vatican, qu’il avait été un «maître de vérité et un catéchète passionné» dont la «simplicité fascinante» s’alliait à «la joie de l’évangélisation». De plus, durant ses vacances d’été 2007, c’est dans la patrie de Jean-Paul 1er (Belluno – dans les Dolomites) que Benoît XVI a passé ses vacances en rencontrant son frère (Edoardo Luciani), le clergé et la population locale dont la cause de béatification/canonisation est suivie de très près.
Au décès de ce dernier, en mars 2008, Benoît XVI fit parvenir ses condoléances officielles en rappelant l’occasion à laquelle ils s’étaient connus. Plus récemment, le 26 août dernier, à l’occasion du 30e anniversaire de l’élection de Jean-Paul 1er, Radio-Vatican a rappelé que Benoît XVI a rendu hommage à l’inoubliable pape Luciani. Plusieurs s’attendent à un dénouement d’une étape dans la cause en cours devant la Congrégation des Saints, ce 28 septembre, jour du décès de Jean-Paul 1er il y a 30 ans précisément.
Ainsi, à une époque où l’on a besoin plus que jamais de modèles de vie, l’action de Benoît XVI permettant de redonner l’exemple de Jean-Paul 1er, arrive à point. D’autant plus que l’attitude positive du pape actuel donne l’impression que les censures ou les embarras quelconque tombent en redonnant à l’illustre personnage, sa juste place que la politique et la tactique du ragot éclipsaient.
Éprouvant encore beaucoup de peine d’avoir perdu cette attachante personnalité trois décennies plus tard, le fait de dénouer la situation en parlant tout simplement, met en évidence l’oeuvre même du disparu, ce qui remet donc les choses à leur place et élude les spéculations qui passeront aux tablettes de l’histoire. Est-ce là enfin l’oeuvre concret d’un véritable théologien comme on l’attendait de Benoît XVI? Probablement.