Première partie de notre trilogie : Saint Jean-Paul II, le pape de l’Apocalypse
Par Antoine Bordier
Le 13 mai 1981, le jour anniversaire de la première apparition de Notre-Dame à Fatima, à 17h17, plusieurs coups de feu retentissent sur la place saint-Pierre de Rome. A cet instant, la foule en liesse à l’arrivée du pape Jean-Paul II se mure dans un silence expectatif. Des colombes s’envolent. L’homme en blanc s’écroule atteint par deux des trois balles tirées à bout portant par le terroriste ultra-nationaliste turc Mehmet Ali Ağca. Le miraculé survivra à cet attentat et finira sa course 24 ans plus tard, le 2 avril 2005. Il est fêté le 22 octobre. Retour sur le parcours hors-du-commun du saint qui a libéré une partie du monde du communisme, évangélisé la famille et réveillé la jeunesse du monde entier. Il serait le pape de l’Apocalypse, tel que décrit dans le secret de Fatima.
Karol Józef Wojtyła est né le 18 mai 1920, au numéro 7 de la rue Kościelna à Wadowice, une petite ville de moins de 10 000 habitants. Cette ville se situe à 50 km de Cracovie, dans le sud-est de la Pologne. Une fois élu pape, il y est retourné 3 fois. La dernière fois, c’était le 16 juin 1999. Du haut du balcon familial, il avait déclaré : « C’est ici, dans cette ville de Wadowice, que tout a commencé : la vie, l’école, les études, le théâtre… et le sacerdoce. » Dans sa maison natale, où il vivra une grande partie de sa jeunesse, il mène une vie normale avec son père, Karol, militaire de carrière, sa mère Emilia, et, son frère Edmund. La souffrance entre dans sa vie, par effraction, après le décès de sa mère en 1929. Suivra celle de son frère, 3 ans plus tard. La maladie les a terrassés. C’est, peut-être, pour cela qu’il se plonge dans la littérature et dans le théâtre. Il a besoin de « sortir de lui-même et de sa souffrance ». En même temps qu’il amplifie sa passion pour le théâtre et qu’il multiplie les pièces où il tient souvent le rôle principal, il approfondit sa vie de foi. A 15 ans, il devient président d’une association de jeunes qui se consacre à la Vierge Marie. Puis, à 18 ans, il part à Cracovie commencer ses études supérieures. L’année d’après, l’Allemagne nazie a déployé ses armées et son idéologie de haine. Elle commence ses conquêtes infernales. La Pologne tombe entre ses griffes. Les Juifs y sont exterminés. Karol doit arrêter ses études. Il continue sa vie d’artiste. Il écrit, aussi, des pièces : David, Job, et Jérémie. Les représentations deviennent clandestines. Il entre en résistance. Obligé de travailler, il travaille, d’abord, dans une carrière, puis, dans une industrie de produits chimiques, Solvay. Spirituellement, il fait une très belle rencontre : celle de Jan Tyranowski, qui est son aîné de 20 ans. Il l’initie aux saints du Carmel et à la pratique de l’oraison. Jan est à l’origine de la grande dévotion du futur pape à saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Le 16 février 1941, à la suite d’une longue maladie, son père décède à 63 ans. Il avait des problèmes cardiaques. A 20 ans, le jeune Wojtyla se retrouve seul. Presque tout seul.
Un orphelin-prêtre
Alors que la guerre se prépare entre l’URSS de Staline et l’Allemagne nazie d’Hitler, que pouvait, donc, penser et vivre ce jeune homme devenu si tôt orphelin ? Être orphelin et se retrouver seul dans le petit appartement familial, est, déjà, en soi terrible. Mais, là, à cette époque où les ténèbres et la folie meurtrière l’emportent sur la lumière et la dignité humaine, que vivre ? Le 22 juin 1941, alors que l’Eglise fête le 1510è anniversaire du concile d’Ephèse, Hitler, sans déclaration de guerre, envahit son allié, l’URSS, au petit matin. L’opération Barbarossa (en allemand, Unternehmen Barbarossa) sera la guerre aux superlatifs les plus terribles de la Seconde Guerre Mondiale, avant Hiroshima et Nagasaki. Alors que le 23 août 1939, Hitler et Staline avaient signé un pacte de non-agression, la folie du Führer emporte tout sur son passage. Cette invasion surprise fera des millions de morts de part-et-d’autre. Elle embrasera le reste du monde. Et, permettra à l’URSS d’étendre son idéologie sur une grande partie du monde. Hitler aurait dû lire l’Evangile de saint Marc : « Tout royaume divisé contre lui-même périra. » Et, lire le message de la Vierge Marie à Fatima, dans lequel Elle demande la consécration de la Russie à Son Cœur Immaculé. Et, si cette consécration n’est pas faite, elle annonce une nouvelle guerre « plus terrible encore » que la première.
C’est dans ce contexte que Karol décide de devenir prêtre. En automne 1942, il entre clandestinement au séminaire de Cracovie. Il continue à travailler comme ouvrier chez Solvay et étudie le soir. Il se rend en toute illégalité dans les églises et chez des particuliers pour poursuivre ses études. Il devient très marial et tombe littéralement amoureux du Traité de la dévotion à la très sainte Vierge Marie. Il devient un disciple de saint Louis-Marie Grignion de Montfort. Quelques mois avant sa mort, le 13 janvier 2004, le pape Jean-Paul II se tournait une nouvelle fois vers ce saint à l’occasion du 160è anniversaire de la publication de son traité.
Padre Pio et ‶Totus Tuus″
Oui, il est tout à Marie celui qui se prépare à la prêtrise. Alors que la guerre s’étend à l’est, Karol suit scrupuleusement ses cours presque sans dommage. Le 29 février 1944, il passe à deux doigts de la mort. Il est renversé par une voiture. Le 6 août, de nouveau, il échappe, par miracle, à une rafle. Enfin, il faut attendre le 17 janvier 1945, pour que Cracovie soit libérée du joug nazi. Mais, un autre va s’abattre sur ce pays et toute l’Europe de l’Est : celui du communisme. L’année d’après, le jeune séminariste est envoyé à Rome pour parfaire sa formation. Puis, le 1er novembre 1946, Mgr Sapieha l’ordonne prêtre dans sa chapelle privée de Cracovie. Il est envoyé de nouveau à Rome. Le 6 avril 1947, il rencontre le célèbre Padre Pio. Gino Testa, qui est le responsable du groupe de prières de Padre Pio à Paris, se souvient très bien de cette rencontre : « On dit que Padre Pio lui aurait prédit qu’il deviendrait pape, Jean-Paul II n’a jamais confirmé. Par contre, le professeur Enrico Medi, qui l’accompagnait, l’aurait confirmé. » À son retour de voyage, le professeur raconte : « Dès que Padre Pio l’a vu, il l’a regardé dans les yeux et lui a dit : “Tu seras pape, mais il y aura du sang et de la violence” ». Le jeune prêtre, en rentrant, revient sur cette entrevue avec son ami Medi : « Professeur, Padre Pio a voulu plaisanter. Je suis polonais, je ne pourrai jamais devenir Pape ». Par la suite, il s’est rendu après la mort de Padre Pio, deux fois à San Giovanni Rotondo. Il était très proche de lui. Il l’a béatifié en 1999 et canonisé en 2002.
L’orphelin, comme s’il avait été prédestiné, au cours de ses études, plonge dans la vie mystique de saint Jean de la Croix. Dont, il écrira une thèse de doctorat en théologie. Sur place, à Rome, il apprend le français. Il améliore son italien. A la demande du cardinal Sapieha, il fait plusieurs tournées en Europe et s’imprègne de la vie ecclésiale et des différentes oeuvres pastorales. Il fait des rencontres incroyables, comme celle avec le père de Lubac. Entre 1945 et 1949, il s’essaie à l’écriture. En 1949, il termine sa première pièce de théâtre ‶ Frère de notre Dieu ″. Karol Wojtyla ne le sait pas encore, mais cette pièce sera jouée dans des séminaires du monde entier. Au début des années 50, de retour en Pologne, il exerce plusieurs ministères en tant que vicaire. Il est surtout l’aumônier des étudiants de Cracovie où il enseigne la doctrine familiale et sociale de l’Eglise. Il enseigne l’amour humain, le respect du corps, et l’appel à la sainteté. Avec eux, il continue ses représentations théâtrales, et, ses escapades sportives dans les montagnes de Zakopane, où il aime skier. Le 28 septembre 1958, le pape Pie XII le nomme évêque auxiliaire de Cracovie. C’est l’un des plus jeunes de son époque. Il prend pour devise : ‶Totus Tuus″ (Tout à Toi), en hommage à saint Louis-Marie Grignion de Montfort.
Du concile Vatican II aux répressions de 1968
La journée type du nouvel évêque est impressionnante. Avec sa nouvelle mission au service des étudiants, il continue à avoir une vie de piété incroyable, se levant même la nuit pour prier. Il s’est lancé, de nouveau, dans l’écriture de sa nouvelle pièce de théâtre, qu’il termine en 1960 : La boutique de l’orfèvre. Le sous-titre est très explicite : ‶ Méditation sur le sacrement de mariage qui, de temps en temps, se transforme en drame. ″ Le couple, la famille, le mariage, la personne humaine, sa transcendance, sa filiation avec Dieu, sa jeunesse, sa sexualité, sa sainteté sont et seront ses sujets majeurs qu’il enseigne et qu’il joue. Lui, l’orphelin est devenu père et frère d’une multitude, à commencer par son peuple. La Pologne, dans ces années 60 vit des moments très difficiles avec le renforcement de l’athéisme et des politiques anti-religieuses. Dans les années 50, le pays avait vécu un certain dégel très relatif. Alors que le pape Jean XXIII vient d’ouvrir le 11 octobre 1962 le IIè concile œcuménique du Vatican, auquel participe le nouvel évêque, la Pologne vit une nouvelle vague de persécutions religieuses plus ou moins « soft ». L’enseignement religieux dans les écoles publiques est interdit, depuis 3 ans, et, toutes les célébrations culturelles et religieuses sont surveillées de très près par la police d’Etat du gouvernement de Władysław Gomułk, qui est pourtant réputé pour être un modéré. Il faut dire que depuis la victoire communiste sur le nazisme, la Pologne est dirigée par des gouvernants qui persécutent son clergé, emprisonnent ses prêtres, et, persécutent le premier d’entre-eux : le cardinal et primat de Pologne Stefan Wyszyński. Pour l’instant, Karol Wojtyla est en partie épargné par ces persécutions.
Lui qui est polyglotte participe au concile Vatican II, en sortant de plus en plus de l’ombre. Car c’est l’un des plus jeunes évêques. Sur le sujet de l’athéisme, il déclare, notamment : « L’athée croit fermement à son ultime solitude, parce qu’il croit que Dieu n’existe pas. D’où son désir de se rendre d’une certaine manière immortel, à travers la vie de la collectivité. Nous devons nous demander pourquoi le collectivisme favorise l’athéisme et vice-versa ». Puis, il prend une part plus active sur le rôle des laïcs en militant pour « le droit et le devoir d’être un agent actif de l’apostolat, en vertu de son baptême, et non en raison d’un mandat particulier ». Le 30 décembre 1963, le jeune évêque devient archevêque de Cracovie. Le pape clôt le concile le 8 décembre 1965. Le 26 juin 1967, il le nomme cardinal. A 47 ans, il est le plus jeune cardinal du monde entier. Cette ascension est un appel d’air encourageant pour de nouvelles manifestations populaires en faveur d’une certaine émancipation. Lors de l’année 1968, qui rappelle celle de 1956, des manifestations d’étudiants contre le pouvoir communiste se répandent comme une traînée de poudre à travers tout le pays, et, au-delà, en Tchécoslovaquie. C’est dans cette période-là que le futur pape Jean-Paul II, le cardinal Karol Joseph Wojtyla devient de plus en plus un résistant.
La prière de saint Jean-Paul II
A la fin de sa vie, cette prière qu’il portait sur lui depuis l’âge de 11 ans serait devenue illisible. Son papier, un véritable parchemin. Son père avant qu’il ne meure, lui avait montré le chemin de la foi et de la prière. Jeune enfant, il avait vu son père prier le chapelet, se mettre à genoux, se rendre à l’Eglise dans la semaine. Et, faire du dimanche le Jour du Seigneur par excellence. Il lui a gardé un vrai amour. A l’occasion du 50è anniversaire de son ordination sacerdotale, en 1996, il écrivait dans son livre, ‶Ma vocation, don et mystère ″ : « Ma gratitude va surtout à mon père, resté prématurément veuf. Je n’avais pas encore fait ma première communion quand je perdis ma mère. Après sa mort, et par la suite, après la disparition de mon frère aîné, je suis resté seul avec mon père. Je pouvais l’observer dans sa vie quotidienne, qui était austère. Il était militaire de profession et, lorsqu’il fut veuf, sa vie devint une vie de prière constante. Il m’arrivait de me réveiller la nuit et de trouver mon père à genoux, de même que je le voyais toujours à genoux dans l’église paroissiale. Entre nous, nous ne parlions pas de vocation au sacerdoce, mais son exemple fut pour moi, en quelque sorte, le premier séminaire, une sorte de séminaire domestique. »
Son père l’encourageait à prier tous les jours l’Esprit Saint. Voici la prière qu’il portait sur lui :
Esprit Saint,
Je vous demande le don de Sagesse,
pour une meilleure compréhension,
de vous et de vos divines perfections.
Je vous demande le don d’Intelligence,
pour une meilleure compréhension
de l’esprit des mystères de la Sainte Foi.
Donnez-moi le don de Science,
pour que je sache orienter ma vie
selon les principes de cette foi.
Donnez-moi le don de Conseil,
afin qu’en toute chose je puisse
chercher conseil auprès de vous
et le trouver toujours auprès de vous.
Donnez-moi le don de Force
pour qu’aucune peur ou considération
terrestre ne puisse m’arracher à vous.
Donnez-moi le don de Piété,
afin que je puisse toujours servir
votre Majesté divine avec amour filial.
Donnez- moi le don de Crainte de Dieu
pour qu’aucune peur ou considération
terrestre ne puisse m’arracher à vous.
Le jeune priant est devenu orphelin, puis, prêtre, puis, évêque, puis, archevêque, puis, cardinal, et, enfin, pape. Il est saint. C’est sa fête. Qu’il intercède pour nous !
Saint Jean-Paul II, le pape de Fatima, à suivre, dans la seconde partie de notre trilogie.
Reportage réalisé par Antoine Bordier, auteur, consultant et journaliste
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