On me transmet cette nouvelle Lettre ouverte aux mères prieure et sous-prieure de l’institut des Dominicaines du Saint-Esprit, transmise le 28 août, faisant suite à celle du 20 juillet et au communiqué de la communauté du 25 juillet :
Très révérendes mères,
Votre communiqué du 25 juillet dernier est venu apporter une pénible confirmation aux inquiétudes que nous formulions dans notre lettre du dimanche précédent. Dans un article du 27 juillet, l’union « Lex Orandi » a formulé une analyse très pertinente des mesures et dispositions annoncées, dont nous partageons les conclusions. Depuis, nous avons reçu votre réponse, en date du 12 août, par laquelle vous souhaitez sans doute mettre un point final à la controverse, et retourner à votre projet, le greffon du nouveau calendrier liturgique sur le rite vénérable.
Après mûre réflexion, il nous a cependant paru nécessaire de prendre à nouveau la plume : non pas tant en espérant vous faire dévier de votre agenda, objectif humainement hors de portée, que pour lancer un appel pressant à tous les fidèles légitimement attachés à la liturgie traditionnelle, afin qu’ils ne considèrent pas l’évolution en cours dans votre communauté comme un épiphénomène anecdotique qui ne les concernerait pas. Au-delà des simples fidèles, enfin, c’est à destination des instituts et congrégations qui nous sont chers – parce qu’ils constituent l’indispensable substrat sur lequel croît et se maintient ce Bien Commun de la Sainte Église qu’est l’Usus Antiquior – et de leurs supérieurs, pères abbés et prieurs, que nous adressons ce signal d’alarme, afin qu’ils voient, s’il en était besoin, quelle menace vos projets font peser sur eux. Pour cette raison, cette lettre est ouverte, et vous la verrez donc très certainement circuler sur internet et les réseaux sociaux.
Dans notre lettre du 20 juillet, nous avions rappelé notre attachement indéfectible à la liturgie traditionnelle, refusant de discuter ce point que nous considérions comme acquis. Vous écrivez dans votre réponse avoir « le ferme propos que continue à être célébrée à Pontcalec une liturgie digne et belle, qui porte à l’intériorité et au recueillement devant le mystère ». À la lecture de cette intention, il nous paraît nécessaire de clarifier à nouveau deux choses, que vous voudrez bien considérer ensemble, parce qu’elles sont indissociables.
La première, c’est que nous tenons le Novus Ordo pour assurément valide mais déficient, voire équivoque. Les mots ayant un sens, vous comprendrez que tous les efforts déployés pour le rendre plus beau et plus digne n’y changeront rien.
La deuxième, c’est que, ayant pleinement et humblement conscience de la crise doctrinale et liturgique sans précédent que traverse l’Église, et du danger auquel notre foi est exposée par elle, nous tenons à nous référer au magistère infaillible ou constant de l’Église, et à la liturgie traditionnelle, écho certain de la Révélation (Cf. Le traditionalisme : une réaction catholique à l’Église en crise ? Collectif, ISBN 9798871552704). Vous approuverez ou comprendrez, à défaut, notre prudence.
Ces clarifications étant faites, permettez-nous d’abord de reprendre à notre compte cette question si pertinente posée par Lex Orandi : comment une « invitation » est-elle devenue une décision du Siège Apostolique ? Vous rappelez dans votre communiqué du 25 juillet dernier que « le Saint-Siège, sans [vous] demander de renoncer au Vetus Ordo, [vous] invitait à réfléchir à la manière de manifester, dans [votre] vie conventuelle aussi, et non seulement lors de quelques occasions extérieures, que [vous n’excluiez] pas le missel selon le Novus Ordo. » Le père Henry Donneaud, o.p., sur le plateau de KTO, expliquait lui-même (a/c minute 21:35’’) que le Saint Père vous voulait beaucoup de bien, et qu’il n’était absolument pas question que vous renonciez au rite latin multiséculaire. Qui donc a poussé les feux pour faire avancer votre réflexion au cours de l’année écoulée ?
Si nous comprenons bien, ce qui sera mis en place à compter du 1er décembre est le fruit de votre réflexion, et correspond aux propositions que vous avez faites au Saint-Siège. La deuxième question que nous voudrions donc vous poser concerne la pérennité de ce qui ressemble, quoi que vous en ayez, à un « bricolage », selon le terme employé par Lex Orandi (voir lien plus-haut). Avez-vous donné avec celui-ci les gages attendus à Rome, ou bien s’agit-il d’une phase transitoire, avant l’abandon complet du Vetus Ordo – auquel le Souverain Pontife lui-même ne vous demandait pas de renoncer ?
Enfin, vous voudrez bien, une fois encore, permettre que nous insistions sur un point que nous avions déjà soulevé dans notre lettre du 20 juillet. Nous demandions qui donc est Rome, nous renouvelons cette demande : qui est cette plus haute autorité de l’Église que vous évoquez dans votre lettre ? Ce point est essentiel, parce qu’il commande l’obéissance, cette obéissance que vous invoquez avec insistance dans vos lettres et vos communiqués, cette obéissance dont la compréhension, bonne ou mauvaise, peut déterminer l’attitude de beaucoup face à l’arbitraire et à l’abus de pouvoir.
Dans votre réponse du 12 août, vous nous écrivez : « aujourd’hui, dans cette question liturgique, nous avons à vivre très concrètement l’obéissance que nous avons toutes promise le jour de notre profession comme Dominicaines du Saint-Esprit. »
Cette question de l’obéissance si centrale, surtout en temps de crise émanant de l’autorité, Jean-Pierre Maugendre l’a traitée de manière très pertinente il y a quelques années. Elle est, pour nous laïcs, très importante – mais elle est bien plus épineuse pour vous, nous le concédons aisément. Dès le titre de sa tribune, Maugendre oppose obéissance aveugle et obéissance clairvoyante – la véritable obéissance chrétienne : ce n’est pas à nous de vous apprendre que celle-ci exige la conformation de la volonté, pas de l’intelligence, et qu’il n’est pas nécessaire d’assentir pour obéir. Autrement dit, l’exigence catholique de la soumission aux pasteurs légitimes n’implique pas l’adhésion inconditionnelle à leurs opinions, à leur magistère non-infaillible ou à leurs innovations liturgiques et ce d’autant plus lorsqu’ils s’éloignent du magistère constant ou infaillible qui l’a précédé ou encore de la tradition liturgique multiséculaire.
De plus, est-il nécessaire de rappeler que l’exigence de l’obéissance véritablement vertueuse implique de résister aux abus de pouvoirs, au moins lorsque ceux-ci ne sont pas conformes à la loi divine ou aux exigences du bien commun, ici la Foi et son expression et sa Transmission claire et intégrale tant dans l’enseignement que par la liturgie ? C’est bien d’une telle conception de l’obéissance vertueuse qu’ont surgi les mouvements traditionnels, et leur courte histoire comme leur spécificité actuelle sont bien les fruits de celle-ci. Ainsi, votre maison est née sous le régime de la bulle « Quo Primum » :
« Nous concédons et accordons que ce même missel [tridentin, ndA] pourra être suivi en totalité dans la messe chantée ou lue, dans quelque église que ce soit, sans aucun scrupule de conscience et sans encourir aucune punition, condamnation ou censure, et qu’on pourra valablement l’utiliser librement et licitement, et cela à perpétuité. »
Et vos anciennes sont restées coites lorsqu’un autre pape prit le risque de contredire son illustre et lointain prédécesseur – étaient-elles moins romaines et moins obéissantes que vous ? :
« L’adoption du nouvel Ordo Missae n’est pas du tout laissée au libre arbitre des prêtres ou des fidèles. […] Le nouvel Ordo a été promulgué pour être substitué à l’ancien, après une mûre réflexion, et à la suite des instances du Concile Vatican II. Ce n’est pas autrement que notre saint prédécesseur Pie V avait rendu obligatoire le missel réformé sous son autorité, à la suite du Concile de Trente. »
Puis un autre pape est venu consoler et restaurer ce qui avait été interdit – avez-vous alors admis l’injustice de l’interdit, et la juste prudence de vos anciennes ?
Ce qui était sacré pour les générations précédentes reste grand et sacré pour nous, et ne peut à l’improviste se retrouver totalement interdit, voire considéré comme néfaste. Il est bon pour nous tous, de conserver les richesses qui ont grandi dans la foi et dans la prière de l’Eglise, et de leur donner leur juste place.
Relisons Maugendre, citant un dominicain non traditionaliste et dont la romanité n’est pas suspecte :
« Saint Thomas traite de l’obéissance comme d’une vertu de bien commun, qui trouve son fondement dans l’autorité. Le Père Labourdette (o.p.) – 1935–1990 –, dans son commentaire sur l’obéissance, montre bien que le bien commun est déterminant dans la perception de ce qu’est vraiment l’obéissance, au risque de tomber sinon dans une conception volontariste de cette vertu. […] Pour saint Thomas, si l’obéissance a son fondement dans l’autorité (légitime), il ressort que le refus d’obéissance tient à l’abus de pouvoir de la part de l’autorité. Le Père Labourdette commente : ‘’Devant un abus de pouvoir, il ne saurait évidemment y avoir aucun devoir d’obéissance. L’ordre reçu n’a que l’apparence du précepte. À considérer les choses en soi, il n’appelle pas la soumission, mais la résistance.’’ »
Cette obéissance que vous avez promise, est-elle une fin en elle-même, telle la pratique des vertus théologales, ou bien une vertu morale ? En l’espèce, avez-vous analysé toutes les conséquences, bonnes ou mauvaises, que la mise en œuvre des ordres reçus pourrait produire ? Êtes-vous parvenues à exclure d’éventuelles contradictions avec des principes qui leur seraient supérieurs ?
Ceci nous amène à remetre sur le métier la liste des griefs que nous formulions dans notre lettre du 20 juillet, afin, malheureusement, d’y ajouter quelques motifs particulièrement lourds. Abandonner le Vetus Ordo, passer au Novus Ordo chez les dominicaines du Saint-Esprit, ce sera :
– Rejeter hors de la communion ecclésiale les lutteurs courageux de la Tradition qui se sont illustrés dans les années de l’après-concile et jusqu’à aujourd’hui, ceux-là même qui, en cela strictement obéissants, ont appliqué leur intelligence à passer au crible du magistère infaillible ou constant de l’Église les textes conciliaires et leurs dérivés,
– Jeter l’opprobre – pardonnez ici la dureté de l’expression, qui traduit seulement la violence du traitement qui leur est infligé – avec une suffisance très cléricale et peu charitable sur les fidèles (il s’agit bien ici de tous les fidèles qui restent attachés à l’Usus Antiquior, pas seulement du petit nombre de ceux qui fréquentent vos chapelles) qui, depuis ces pénibles années, se sont efforcés de tenir la ligne de crête, sans abandonner ni tomber dans le sédévacantisme – attitude courageuse s’il en est, si l’on veut bien comprendre ce qu’il y a de commun entre leur situation et celle d’enfants battus par leur mère …
Enfin, avec l’aggiornamento que vous mettrez en place à compter du 1er décembre prochain, vous offrez à tous ceux qui, au nom de l’unité, veulent renvoyer pour l’éternité la liturgie tridentine dans les combles et remises des musées, un puissant dissolvant.
Ce modus operandi, en effet, pourrait être infligé, moyennant quelques adaptations, à d’autres maisons, instituts, abbayes, prieurés et congrégations. Ils y seront d’autant plus vulnérables que nous vivons, vous le savez bien, sous le régime de la grâce, c’est-à-dire du bon vouloir et de l’arbitraire, et non de la justice. C’est donc avec gravité et inquiétude – ne parlez pas de désarroi, le socle sur lequel nous nous dressons est solide, il a passé les siècles – que nous, simples fidèles, nous adressons à vous, une fois encore.
Croyez en l’assurance de nos prières pour vous-mêmes et toute la communauté.