Lors de l'édition 2017 du Forum de la dissidence, Bruno Mégret a développé un discours novateur sur la politique européenne en essayant de proposer une troisième voie entre l'européisme fédéraliste ambiant et le souverainisme intégral. Une position qu'il avait déjà défendue en 2005 au MNR (La civilisation, nouvel enjeu, L'Europe, première puissance). Extrait :
"(…) Si la droite, que dis-je, si les droites françaises sont en ruine, alors un grand travail de refondation est maintenant à réaliser. Et ce travail voyez-vous, il ne passe pas d’abord par la rénovation des appareils, par des manœuvres de personnes ou des regroupements de circonstances. Il passe par les idées. C’est par les idées que les uns et les autres ont échoué. Et c’est par les idées que la droite se relèvera. Car il est aujourd’hui nécessaire de sortir des habitudes idéologiques et programmatiques qui ont été celles des partis de droite au cours des dernières années. Non pas bien sûr pour mettre en cause nos valeurs et nos convictions, mais pour les adapter au monde d’aujourd’hui, pour montrer qu’elles sont plus que jamais d’actualité et que, si nous les défendons depuis longtemps, elles sont plus neuves que jamais (…)
La position des Républicains était de soutenir l’Europe de Bruxelles, conformément aux injonctions du système. La position du Front National était d’en sortir conformément à ses principes souverainistes. Or, ces deux options sont des impasses et l’électorat l’a senti confusément qui les a rejetées l’une comme l’autre. Et ce double refus, celui de l’Europe bruxelloise comme celui de la sortie de l’Europe, nous amène, me semble-t-il au cœur des enjeux d’aujourd’hui. Car je suis convaincu que la question européenne est désormais la pierre angulaire du renouveau de la droite. Pourquoi ? Pour une raison fondamentale. Parce que la question identitaire et la question européenne sont désormais liées. Aujourd’hui on ne peut plus les séparer. Et quand on les sépare, ça ne marche pas ! Bruxelles qui prétend unir l’Europe mais qui refuse de défendre nos identités, ça ne marche pas. Le FN, qui prétend défendre nos identités et qui tourne le dos à l’Europe, ça ne marche pas non plus. Et il y a à ceci une explication simple : notre identité est nationale mais aussi civilisationnelle et notre civilisation est européenne ! (…)
Une réalité que l’on côtoie tous les jours avec l’immigration par exemple. Car cette immigration massive et incontrôlée qui déferle sur notre sol et qui compromet notre identité, c’est à un antagonisme de civilisation qu’elle conduit. Le problème ne vient pas de la nationalité des migrants ou de celle des populations chez qui ils s’installent. Peu importe que ce soient des Tunisiens, des Turcs ou des Soudanais ! Peu importe qu’ils se rendent en France, en Allemagne ou en Italie ! Le problème vient de ce qu’ils appartiennent à la civilisation islamique ou africaine et qu’ils s’implantent dans des pays de civilisation européenne et chrétienne !
Et cette réalité, chacun la vit au quotidien. Car ces migrants qui nous imposent leur présence quasiment de force, nous sont totalement étrangers. Avec eux, nous ne partageons rien, nous n’avons pas la même religion, ni les mêmes racines, ni les mêmes valeurs, ni le même mode de vie. Une configuration qui crée sur notre sol un antagonisme civilisationnel, un choc des civilisations entre la nôtre et la leur (…)
Qu’est-ce que le terrorisme islamique, sinon l’une des formes les plus violentes du choc des civilisations ? Et qu’est-ce que la concurrence sauvage que nous impose la Chine si ce n’est une guerre économique sans merci et une autre forme également agressive du choc de civilisation ? (…) La plupart des maux que nous endurons viennent de l’agression que subit notre civilisation sur notre sol comme à l’échelle du monde. Une agression d’autant plus dommageable que nos dirigeants semblent l’ignorer complètement. Ils l’ignorent s’agissant de l’immigration. Ils l’ignorent s’agissant du terrorisme islamique. Ils l’ignorent s’agissant de la guerre économique. Ils l’ignorent s’agissant des antagonismes géopolitiques. Résultat : dans ce monde multipolaire et dangereux, l’Europe reste là, faible, décadente et divisée. Politiquement éparpillée, sans force armée conséquente, progressivement dépossédée de son appareil industriel, rongée par la haine d’elle-même et la repentance, elle ne se préoccupe que de moralisme et de bien-pensance. Et comment en serait-il autrement, avec des dirigeants qui réduisent l’identité de l’Europe à de prétendues valeurs comme le refus des discriminations ou le vivre ensemble ? (…)
Et pour ouvrir cette voie, il faut répondre à deux impératifs.
Le premier est d’ordre idéologique et concerne notre identité.Avec cette affirmation fondamentale que notre identité n’est pas seulement nationale, elle est civilisationnelle. Elle n’est pas seulement française, elle est européenne (…) Dans cet esprit il faut maintenant militer, au-delà de la préférence nationale, pour une préférence civilisationnelle qui donne la priorité aux nationaux mais aussi aux Européens. Il faut également, au-delà du patriotisme français, œuvrer à l’émergence d’un patriotisme européen qui en plus de la fierté nationale exalte aussi celle d’appartenir à notre civilisation européenne et chrétienne (…)
Il faut ériger l’Europe en un pôle de puissance ! (…) Cela veut dire qu’il faut créer une Union nouvelle, radicalement différente de l’organisation bruxelloise. Une Europe qui rendrait aux États l’essentiel de leurs prérogatives ordinaires et qui se libérerait de toutes les structures bureaucratiques de Bruxelles. Une nouvelle Europe qui serait dirigée, selon le principe confédéral, par les seuls États membres et qui, forte de cette direction allégée, transparente et respectueuse des nations, se consacrerait exclusivement à l’essentiel, c’est-à-dire à l’identité, à l’indépendance et à la puissance collective des peuples européens.
Cette Europe-là aurait pour mission de protéger ses frontières et de stopper l’immigration, de réguler les échanges économiques avec le reste du monde et de réindustrialiser le continent, de faire de l’euro une monnaie de change et de réserve qui serve l’Europe comme le dollar sert les États-Unis. Cette nouvelle Union serait aussi dotée d’une Alliance militaire européenne qui libèrerait l’Europe de l’Otan et de la tutelle américaine. Car il s’agirait dorénavant de traiter d’égal à égal avec les États-Unis et de nouer une alliance stratégique avec la Russie. Bref, il s’agirait de rendre à notre civilisation son autonomie, sa force et son rayonnement (…)
Avec cette ligne politique la droite réconcilierait construction européenne et défense de notre identité. Pour la première fois elle aurait un projet qui s’enracinerait dans la fidélité à nos valeurs mais qui, dans le même temps, répondrait aux réalités du monde aujourd’hui. Le projet d’Europe puissance, c’est pour la droite la synthèse féconde entre tradition et modernité (…) Avec cette ligne civilisationnelle et européenne, la droite trouverait la crédibilité gouvernementale et le positionnement à la fois moderne et antisystème qui lui sont nécessaires pour répondre aux défis du siècle. Elle pourrait alors retrouver une dynamique de succès et assurer enfin sa mission au service de notre peuple et de notre civilisation (…)
Cela étant dit, j’entends déjà l’objection : tout ça c’est bien beau mais ce projet, c’est impossible. Eh bien non, ce n’est pas impossible, c’est nécessaire ! Et si c’est nécessaire, il y a une voie pour le rendre possible et, je vous l’affirme, cette voie existe. D’abord si ce projet paraît impossible, c’est uniquement parce que tout le monde le considère comme tel. Et cette unanimité n’est pas un hasard, elle a été forgée par le Système. Le Système qui naturellement est foncièrement hostile à l’Europe puissance. Et il a si bien réussi à l’occulter que personne ne le propose. Selon la pensée unique, il n’y aurait en effet qu’une seule alternative : ou on soutient l’Europe de Bruxelles ou on milite pour la sortie de l’Union.
Mais la réalité c’est précisément qu’il y a une autre voie qu’il nous faut maintenant faire connaître. Et telle devrait être la démarche de la droite : il faut qu’elle se fasse le héraut de cette Europe puissance. En politique, avant de se concrétiser, un projet doit d’abord exister par le verbe. La droite doit donc porter cette ligne politique nouvelle et en assurer la promotion.
Aujourd’hui la droite, qu’elle soit républicaine ou nationale, est en plein désarroi et s’enlise dans les questions du quotidien et les débats politiciens. Si elle veut se relever, elle doit entreprendre une grande rénovation idéologique et, dans la fidélité à nos valeurs, elle doit porter une vision d’avenir pour notre civilisation. En clair, le moment est venu pour elle de faire bouger les lignes et d’incarner ce projet identitaire européen (…) nous sommes à la croisée des chemins : ce sera le déclin ou le renouveau. Et le renouveau c’est le projet d’Europe puissance, celui qui sauvera notre identité et nos valeurs, celui qui redonnera à notre civilisation sa place dans l’histoire et dans le monde."