Il y a 70 ans le 24 janvier 1949 s’ouvrait à Paris le procès Kravchenko.
Victor Kravchenko, ingénieur et ancien directeur d’usine russe, membre de la commission d’achats soviétique à Washington pendant la deuxième guerre mondiale, avait demandé l’asile politique aux USA en avril 1944. En 1946, il y publie un livre « I chose freedom » », traduit en de nombreuses langues (J’ai choisi la liberté en français). Son objectif : « Dire la vérité sur la vie du peuple soviétique sous la dictature soviétique et convaincre que ce régime n’est pas un régime de progrès mais un régime de barbarie ». La publication « Les Lettres françaises », organe intellectuel du parti communiste français, avait fait paraître plusieurs articles très violents accusant M.Kravchenko d’être un traitre, un menteur et un faussaire : V. Kravchenko aurait tout inventé (pour nuire à l’URSS et à la paix) et, au surplus, n’aurait même pas été capable d’écrire ce livre.
M.Kravchenko attaqua le périodique en diffamation devant le tribunal correctionnel de la Seine. Les audiences, du 24 janvier jusqu’aux jugements du 4 avril 1949, sont fidèlement retranscrites sur plus de 1300 pages (Le procès Kravchenko. Compte-rendu sténographique. 1949). Leur lecture est recommandée à quiconque voudrait comprendre ce qu’aura été la propagande communiste en France.
Morceaux choisis des dépositions des témoins cités par la défense communiste. Rappelons, auparavant, qu’en 1949, cela fait 12 ans qu’André Gide, après être allé en URSS, a publié Retouches à mon « retour de l’URSS » (1937). Extrait :
« Que le peuple des travailleurs comprenne qu’il est dupé par les communistes, comme ceux-ci le sont aujourd’hui par Moscou… Du haut en bas de l’échelle sociale reformée, les mieux notés sont les plus serviles, les plus lâches, les plus inclinés, les plus vils. Tous ceux dont le front se redresse sont fauchés ou déportés l’un après l’autre. Peut-être l’armée rouge reste-t-elle un peu à l’abri ? Espérons-le ; car bientôt, de cet héroïque et admirable peuple qui méritait si bien notre amour, il ne restera plus que des bourreaux, des profiteurs et des victimes. »,
et 3 ans que Winston Churchill a prononcé son célèbre discours à Fulton (Missouri, USA, 1946), disant qu’
« un rideau de fer est descendu à travers le continent… Les partis communistes qui étaient très faibles dans tous ces Etats de l’Est européen se sont vu élevés à une prédominance et un pouvoir bien au-delà de leur importance numérique et cherchent partout à accéder à un contrôle totalitaire. Des gouvernements policiers dominent dans presque tous les cas. ».
Jean Bruller, dit « Vercors », célèbre pour la publication, en 1941 du Silence de la mer, vient brièvement comme témoin de moralité pour soutenir les communistes et Les Lettres françaises (« J’y trouve cette liberté de pensée qui est ce que nous avons défendu ensemble »).
Jean Baby, professeur à l’Institut d’Etudes Politiques et historien :
« Etant donné que M.Kravchenko ou celui qui signe sous son nom présente la Russie comme étant un immense champ de bataille jonché de cadavres ; que Gengis-Khan, à côté de Staline, est un apprenti et un amateur ; qu’il déclare qu’il y a une guerre sanglante menée contre le peuple soviétique depuis la révolution, comment peut-il expliquer que la population soviétique ait grandi à une vitesse telle qu’elle n’avait jamais connue jusqu’ici ? Comment est-elle passée de 117 M en 1917 à 180 M en 1939 ? ».
Et M.Baby d’ajouter à propos de M.Kravchenko :
« Cet homme est évidemment un imposteur car il sait bien qu’il n’a pas écrit cela. C’est un traître parce qu’il a dirigé les coups contre ceux qui luttaient pour la démocratie et la liberté du monde. C’est aussi un homme qui a vendu sa liberté, un homme qui est un esclave. … un homme qui est vraiment une abjection humaine. ».
(N.D.L.R. : selon les recensements disponibles de 1926, 1937 et 1939, la population de l’URSS à ces dates était de 146M en 1926, 162M en 1937 168M en 1939).
M.Emmanuel d’Astier de la Vigerie, grande figure de la Résistance française et Compagnon de la Libération :
« La première question sera celle de l’attitude de M. Kravchenko en 1944. Je crois que c’est le 1er, le 2 ou 3 avril que M.Kravchenko a choisi la liberté. Le premier usage qu’il en a fait est la trahison. Il a d’abord porté des accusations graves contre le gouvernement soviétique… Pour son action de 1944, je considère qu’il était un ennemi de son pays, de son peuple et un ennemi de la victoire. Et pour son livre de 1946 et de 1947, il est un ennemi de la France et un ennemi de la paix. ».
(N.D.L.R. : M. d’Astier de la Vigerie, parlant de trahison à propos de M.Kravchenko en 1944 aux USA, avait sans doute opportunément oublié que Maurice Thorez, premier secrétaire du PCF, appelé sous les drapeaux en septembre 1939, avait déserté sur ordre de Moscou et était passé en Belgique en octobre 1939 avant de gagner l’URSS, qui était alors l’alliée de l’Allemagne nazie contre laquelle la France était en guerre).
M.Zilliacus, député travailliste (Royaume-Uni) ayant fait de nombreux voyages en URSS, dont le dernier en octobre 1947 :
« Nous étions un groupe de huit députés travaillistes. Nous avons eu un long entretien de deux heures avec M.Staline. Avant, nous avions eu un long entretien de trois heures avec M.Molotov. Le point principal qui ressortissait de ces entreprises, c’était le désir très net, très marqué des chefs soviétiques de vivre en bonne entente avec les pays de l’Europe occidentale et les Etats-Unis. »
Jacques Nicolle, assistant au collège de France, allé plusieurs fois en URSS avant et après-guerre (invité entre autres par l’Académie des Sciences de l’URSS) :
« Je dois dire que tous les rapports que j’ai eus avec les citoyens soviétiques de toutes les catégories m’ont montré qu’ils étaient extrêmement évolués et instruits… J’ai lu le livre de M. Kravchenko. Il est dit dans ce livre qu’en 1938, 20 millions de citoyens soviétiques se trouvaient dans des camps de concentration. Si vous comptez les 17 millions de gens qui sont morts pendant la grande guerre, si vous comptez les gens qui sont infirmes, les mutilés, les malades, je me demande comment, en enlevant toutes ces personnes, on verrait dans les rues de Moscou et de Léningrad, jour et nuit, une foule aussi considérable. D’autre part, tous les gens que j’ai vus appartenaient à des milieux différents, et s’ils avaient subi des purges successives, qu’ils aient été internés dans des camps, je pense qu’il en aurait manqué… En 1945, j’ai assisté à Moscou à un procès. Je dois dire que les accusés étaient parfaitement bien habillés. On leur apportait très fréquemment du thé, quand ils le demandaient. Ils pouvaient consulter toutes les notes qu’ils voulaient consulter et ils n’avaient pas du tout l’air de gens sur lesquels on a exercé une pression quelle qu’elle soit. D’ailleurs, à l’interrogatoire, ils se sont dénoncés les uns les autres, et comme la plupart avaient été pris pratiquement sur le fait, il leur était très difficile de nier. »
Général Ernest Petit, chef de la mission militaire française en URSS pendant la guerre.
« Je voudrais revenir sur le fond du livre qui tend à démontrer qu’en Union soviétique, le régime de Staline n’est pas admis par une grande partie de la population et à démontrer que le régime soviétique est quelque chose d’absolument odieux, dont la responsabilité incombe à Staline. L’auteur du livre déclare même, à certain moment, que les soviétiques se sont battus pour la patrie malgré Staline. Eh bien ! Après mes trois ans et cinq ou six mois en Union soviétique, je déclare que c’est absolument faux… Par conséquent, là encore, la tendance de l’ouvrage signé Kravchenko ne correspond pas du tout à ce qui se passe en Union soviétique. De ceci, je peux dire que j’ai eu des preuves, des témoignages directs avec les personnalités ou les gens les plus humbles avec qui j’ai eu des contacts ; car je peux vous dire que j’ai été reçu par le maréchal Staline, j’ai été d’ailleurs le premier Français reçu par le maréchal Staline après M.Laval et au cours de l’entretien il m’a témoigné beaucoup d’amitié pour la France. »
M.Albert Bayet, sociologue, professeur honoraire à la Sorbonne, journaliste, fondateur du mouvement de résistance Franc-Tireur vient comme témoin de moralité pour la qualité du journal Les Lettres françaises et de son directeur.
« Un historien absolument impartial –et c’est mon cas car malheureusement je connais très mal la Russie soviétique, parce que je ne sais pas la langue russe et que je ne parle pas à la légère de ce que je ne connais pas– je dis qu’un historien impartial ne peut pas songer une minute à retenir ce témoignage. Qu’on le retienne dans ce qu’on appelle « le grand public », je veux bien, mais je dis que nos amis intellectuels des Lettres françaises ne pouvaient pas songer une minute à le prendre au sérieux. Ils ont émis l’hypothèse, obligeante, que le livre ne serait pas de la main de l’auteur. C’est une hypothèse aimable ; c’est une hypothèse dont il doit remercier ceux qui l’ont formulée. Je ne conçois pas, pour ma part, qu’on ait réussi à dramatiser ce débat. Il y a là untémoignage qui, historiquement, est de valeur zéro. »
Roger Garaudy, philosophe et membre (à l’époque) du PCF :
« Nous pouvons dire à M.Kravchenko : qu’il aille dire à ses maîtres que le peuple français a fait son choix. Il a choisi la tradition jacobine de Valmy contre les émigrés de Coblentz, il a choisi, contre les Versaillais, le patriotisme de la Commune, il a choisi contre les Vichyssois la voie de la Libération qui était celle de la Résistance avec les pures disciplines qu’elle imposait à chacun et il n’appartient pas à d’aussi petits homme de renverser ce cours de l’histoire. ».
M.Hewlett Johnson, doyen de Canterbury, spécialiste de l’Union soviétique :
« J’ai lu le livre de Kravchenko. Dans certaines de ses pages, j’y ai trouvé notamment un portrait physique de Staline et j’ai été étonné en le lisant. Je me suis trouvé en face de Staline, lors d’une entrevue privée, assis en face de lui pendant une heure, plus près de lui que je ne le suis de ces dames. J’ai été ainsi en mesure d’étudier son visage et son attitude. Je dis que le portrait qu’en trace Kravchenko est une caricature grotesque. J’ai été très frappé par la dignité de l’attitude de Staline, par la régularité de ses traits. »
Frédéric Joliot-Curie, Haut-commissaire à l’énergie atomique, professeur au Collège de France, a fait quelques voyages en URSS.
« L’ensemble du livre donne une impression –excusez-moi l’expression- une impression sale. Il y a tellement de belles choses, il y a des choses qui ne sont pas bien comme dans tous les pays du monde, bien entendu, mais il faut faire le bilan, l’intégral. »
Et enfin, déposition de Jean Bruhat, professeur d’histoire au Lycée Lakanal et présenté ainsi par Me Matarasso, avocat des accusés :
« Deux mots pour présenter le témoin. Ancien élève de l’Ecole normale supérieure, agrégé de l’Université, il est professeur de première supérieure. Il est l’auteur de nombreuses études et de nombreux ouvrages sur l’Union soviétique et notamment une histoire de l’Union soviétique et d’un ouvrage important qui s’intitule : « Présentation de l’Union soviétique ». Sa connaissance des questions soviétiques lui a valu d’être chargé de conférences sur les problèmes soviétiques à l’Institut d’Etudes Politiques. »
Jean Bruhat commence sa déposition ainsi :
« Monsieur le Président, pour qu’il n’y ait aucun malentendu au cours de mon témoignage, je précise d’abord que je ne connais pas personnellement M. Kravchenko et qu’ensuite je n’ai jamais été en Union soviétique. »
Et Jean Bruhat d’indiquer :
« En ce qui concerne la famine, c’est un fait incontestable qui a dominé en Russie entre 1931 et 1932, c’est exact, mais ce qu’il faut noter et ce qui n’est pas dit dans l’ouvrage, c’est qu’il apparaît à tout historien des problèmes soviétiques, c’est que la famine de 1931 a été précisément la dernière famine dans l’histoire de la Russie et qu’on peut conclure historiquement et scientifiquement que la famine a été dans cet immense pays un phénomène russe, mais qu’elle n’est pas un phénomène soviétique ».
A propos des koulaks :
« Oui, il y a eu des koulaks qui ont été mis à mal ; il y a eu des koulaks qui ont été déportés. Mais il y a eu de la part des koulaks des violences extrêmes, il y a eu des assassinats ; il y a eu des incendies de ferme, il y a eu une pression sur les paysans pauvres et les paysans moyens pour qu’ils détruisent leur cheptel ».
Enfin, à propos des purges :
« Les purges dans le parti bolchevique ne présentent absolument rien de mystérieux. Tout citoyen soviétique qui entre dans le parti bolchevique sait, en y entrant, qu’il prend un certain nombre d’engagements. Et personne ne l’oblige à être membre du parti bolchevique. Entre autres engagements, il a pris celui de rendre compte à chaque instant, publiquement, de son activité, et c’est cela qu’on appelle une purge ».
Sommes-nous aujourd’hui mieux protégés contre des capacités à l’aveuglement individuel ou collectif qui semblent sans limites ? Sommes-nous aujourd’hui mieux protégés contre les refus obstinés de voir la réalité ? Sommes-nous aujourd’hui mieux protégés contre l’inutilité de la connaissance (Jean-François Revel : La connaissance inutile) ?
Certaines élites devraient cultiver a minima la capacité à l’humilité et au doute.
Enfin, il ne faut pas forcément douter de la justice française : le 4 avril 1949, les accusés communistes ont été condamnés pour diffamation et injures publiques.
F. JACQUEL
Il est intéressant de comparer l’attitude de Pierre Daix à l’époque et celle de Pierre Daix presque 30 ans plus tard, écrivant “J’ai cru au matin”.
Admirateur béat du Petit père des peuples’ allant jusqu’à nier l’existence de l’univers concentrationnaire soviétique, il lui fallut presque 30 ans pour ouvrir les yeux…
2018
Le vrai communisme est une religion d’amour. Tous les crimes qui ont été commis en son nom l’ont été par des radicalisés qui n’ont rien compris au communisme. Ceux qui caricaturent Staline sont des populistes qui doivent être poursuivis pour incitation à la haine. Bien sûr que le communisme est compatible avec la république. Ceux qui décident d’appliquer ses lois en France le font sans contraintes et librement. Ces lois ne s’imposeront jamais à tout le territoire. En Europe de l’Est, les populations étaient libres et avaient choisies les purges librement (cf dernière citation dans le post).
O brave new world!!