L’archevêque de Québec, le cardinal Gérald Cyprien Lacroix, fait partie des six évêques canadiens qui participent au Synode. Il a été interrogé par Le Verbe, publication canadienne, avant son départ pour la Ville éternelle, afin de mieux connaitre dans quel état d’esprit il se rend à cette rencontre pour une Église qui souhaite apprendre à mieux « marcher ensemble ». Extrait :
Le pape François a plus d’une fois répété que « le synode n’est pas un parlement ». Comment la synodalité se distingue-t-elle de la démocratie, selon vous ?
Un parlement, c’est un lieu de discussions, où chacun apporte ses idées et cherche à faire passer son point de vue, en prétendant qu’elles sont les meilleures. Dans un système parlementaire tel que nous le connaissons, nous notons souvent qu’il y a peu d’écoute des autres. On cherche à imposer son point de vue, les options de son parti politique. Finalement, on vote et les plus forts l’emportent.
La synodalité est tout autre chose. On ne cherche pas à gagner à partir de son point de vue, de ses idées personnelles, mais on cherche ensemble, en nous mettant à l’écoute de toutes les personnes, pour discerner quelle est la meilleure décision à prendre. Il est fort possible qu’en écoutant véritablement en profondeur nous découvrions un meilleur chemin que celui que nous avions envisagé.
En cherchant à vivre en mode synodal, ce n’est pas une personne qui gagne, un groupe, mais l’ensemble, la communauté.
Nous remarquons souvent que les débats produisent des divisions, de la polarisation, des jeux de pouvoir et de force. Il y a des gagnants et des perdants, et cela produit parfois des divisions profondes.
La synodalité permet à toute la communauté de se rassembler pour chercher ensemble et d’en sortir gagnante.
Certaines personnes craignent que ce Synode devienne un lieu de débats politiques ou de combats idéologiques. Partagez-vous ces inquiétudes ? Comment éviter une telle dérive ?
La dérive est toujours possible si nous nous écartons de ce qu’est un Synode : un lieu non pas de débat, mais de discernement communautaire. Si nous arrivons tous et toutes avec des idées fixes, arrêtées, et prêts à les défendre coute que coute, c’est évident que nous allons passer à côté d’une occasion de laisser le Seigneur nous parler et d’accueillir ce qu’il veut pour notre Église, pour sa mission aujourd’hui.
Le programme du Synode sur la synodalité, l’horaire et le processus qui sont proposés nous offrent les moyens de vivre cette étape de l’assemblée synodale dans un esprit d’écoute profonde et d’en arriver à faire un discernement en Église.
Nous débuterons par trois jours de retraite. C’est une première fois, à ma connaissance, que cela se fait au début d’un synode.
Chaque rencontre se vivra en petits groupes de 10 à 12 personnes où il sera possible de partager, de prier et d’écouter les uns et les autres dans le but de nous mettre tous et toutes à l’écoute de l’Esprit Saint. L’Esprit de Dieu peut parler à travers qui il veut.
Je dirais qu’un des meilleurs moyens de ne pas dévier de l’esprit synodal en tombant dans des débats politiques ou des combats idéologiques, c’est d’apprendre à écouter véritablement et en profondeur chaque personne. Nous en avons fait l’expérience dans notre diocèse et nous voyons comment cela rassemble, unit et ouvre à un discernement fécond.
Parmi tous les sujets qui seront abordés lors des assemblées synodales, lesquels vous semblent les plus urgents ou importants pour le monde et pour l’Église du Québec ?
Je dirais que l’écoute est un élément que plusieurs personnes réclament. Plusieurs personnes ne se sentent pas écoutées ou n’ont pas de lieux où l’écoute se vit véritablement.
Les baptisés qui ont participé aux premières phases du processus synodal ont également mentionné leur souffrance quant à des attitudes de cléricalisme qui ne facilitent pas la pleine participation de tous. On note les jeux de pouvoir ou d’autoritarisme qui ne favorisent pas la communion et la participation à la vie de la communauté.
Parmi les thèmes qui ont été mentionnés, on note aussi que la place des femmes dans la vie de l’Église et dans sa mission est un sujet qui préoccupe plusieurs personnes et qui aurait besoin d’être regardé de près.
Plusieurs personnes se demandent comment nous allons envisager l’avenir de nos communautés chrétiennes, de nos paroisses avec un nombre limité de ministres ordonnés.
Une autre préoccupation est le fait que de nombreuses personnes ne se sentent pas membres à part entière ou accueillies dans la communauté chrétienne. Que ce soit à cause de leurs choix de vie ou de leurs histoires, l’accueil de toute personne préoccupe et fait en sorte que des gens s’éloignent de la communauté.
Il me semble qu’ici au Québec, en Occident de façon spéciale, nous avons besoin de discerner ensemble comment nous pouvons entrer dans une conversion pastorale et missionnaire qui nous aidera à amorcer une nouvelle évangélisation par l’annonce de la Parole de Dieu et le témoignage lumineux de tous les baptisés et des communautés chrétiennes.
Sur quels enjeux avez-vous personnellement prévu prendre la parole ?
La beauté de ce Synode sur la synodalité réside dans le fait que nous n’avons pas à arriver avec nos interventions préparées d’avance, nos idées bien structurées pour les présenter et les défendre en assemblée synodale.
Nous entrons dans un processus d’écoute, et à partir de cette expérience d’écoute de l’Esprit Saint, de la Parole de Dieu et des personnes avec lesquelles nous vivrons ce Synode, nous serons en mesure de prendre la parole.
Donc, je suis préparé à me mettre en mode écoute.
Je suis convaincu qu’il s’agit d’un grand cadeau que le Seigneur fait à notre Église en ce moment de son histoire. Nous ne pouvons pas compter seulement sur nos idées, aussi brillantes qu’elles puissent être ! Nous avons besoin de nous mettre ensemble à l’écoute de Dieu. C’est lui le Maître. C’est Jésus le Sauveur, il est le chemin, la vérité et la vie. C’est l’Esprit Saint la lumière qui éclaire notre cœur et notre intelligence afin que nous puissions avancer en cherchant et en accueillant la volonté de Dieu.
Faut-il attendre de ce Synode de grand changement dans la doctrine ou dans la structure de l’Église ?
Ce Synode n’a pas pour but de produire des changements dans la doctrine de l’Église.
Mais en devenant de plus en plus une Église synodale, une Église qui écoute et qui cherche ensemble à accomplir la volonté de Dieu, notre façon de vivre ensemble sera surement différente. Cela pourrait fort bien changer notre structure de communication, de relations entre nous, la structure de nos équipes pastorales et de leadership en Église.
Les premières phases dans ce processus synodal ont révélé que des changements en profondeur doivent se produire pour que nous avancions ensemble sur les chemins de la mission que le Christ nous a confiés. Je prie pour que nous soyons dociles et disponibles pour nous laisser convertir.
Si nos attitudes, nos façons de vivre ensemble notre mission et notre vie quotidienne changent, ce seront des changements profonds qui auront un impact très positif dans le témoignage de la vie chrétienne que nous portons au monde.
Quels fruits aimeriez-vous personnellement voir surgir de ce Synode ?
Le thème de ce Synode, tel qu’il est voulu par le Saint-Père, le pape François, se décline en trois mots : communion, mission et participation.
Nous ne pouvons pas arriver à vivre cela sans une conversion profonde et sans l’aide et le soutien du Saint-Esprit.
Je rêve d’une Église qui vit et témoigne de la communion avec Dieu et entre tous ses membres. Je rêve d’une communion qui est le fruit de l’unité et qui en témoigne. Notre monde en a tellement besoin. En plus, c’est un commandement que nous a laissé Jésus : «Que tous soient un.»
Je rêve d’une Église centrée sur la mission, celle de l’annonce de la Bonne Nouvelle qu’est le Christ et son Évangile. L’an dernier, le pape François a publié la constitution apostolique sur la réforme de la Curie romaine. Ça s’intitule Prêchez l’Évangile. L’Église n’existe pas pour elle-même, mais pour cette mission.
Nous ne pouvons pas dire en ce moment que toutes nos communautés sont préoccupées de cette mission fondamentale, notre raison d’être. On se préoccupe beaucoup trop de notre patrimoine bâti et de notre passé plutôt que de ce mandat missionnaire qui nous est confié. Je crois sincèrement et j’espère que ce processus synodal que nous vivons produise des baptisés de plus en plus missionnaires et audacieux pour l’annonce de l’Évangile. Je rêve d’une Église où, ensemble, nous nous sentirons concernés et engagés dans cette mission.
Et finalement, tout cela portera des fruits si la participation de toute la communauté, de tous les baptisés se vit. Ça ne suffit pas et surtout il n’est pas fécond que chacun œuvre à la mission de façon isolée, sans être en communion et sans vivre la mission avec les autres membres de l’Église.
Voilà les fruits que j’espère et que j’attends. Je demande à Dieu que j’en sois le premier habité et que ma vie se convertisse à ce que Dieu veut faire de moi et de notre communauté diocésaine.
Évidemment, tout cela n’arrivera pas par magie, mais à la suite d’un engagement voulu et accepté par nous tous et toutes en Église. Et cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais en prenant la route ensemble et en marchant ensemble dans la direction que l’Esprit nous indiquera.
Que ce Synode nous mette résolument en marche ensemble !