Les analyses sur le dernier rescrit du pape restreignant le pouvoir des évêques sur la messe traditionnelle fleurissent sur internet. Voici des extraits. L’Union Lex Orandi estime que ce nouveau texte vient contredire les analyses formulées par des canonistes :
[…] Les canonistes avaient quasi unanimement considéré que ce Motu Proprio dérogeait à la tradition juridique de l’Eglise et que, surtout, les Responsa ad Dubia publiées le 18 décembre 2021 par le dicastère pour le Culte divin et la discipline des sacrements ne comportaient aucune valeur d’obligation. Le Père Reginald-Marie Rivoire, de la Fraternité Saint Vincent Ferrier, a ainsi décompté que les Responsa violaient le canons 87.1 sur le droit de l’évêque à dispenser d’une loi universelle de l’Eglise pour des raisons pastorales, le canon 902 sur le droit d’un prêtre de ne pas concélébrer, le canon 905.2 sur la possibilité de tout prêtre de célébrer deux messes par jour (« biner ») avec l’autorisation de l’évêque du lieu, et les canons 213 et 214 qui garantissent les droits des fidèles à recevoir de leurs pasteurs les biens spirituels que sont la parole de Dieu et les sacrements, ou de rendre le culte à Dieu selon leur rite propre et à suivre leur propre forme de vie spirituelle (Le Motu Proprio Traditionis Custodes à l’épreuve de la rationalité juridique, in Mélanges offerts en l’honneur de l’Abbé Bernard Lucien, DMM 2022).
Le Père Réginald-Marie observait que la consultation du Siège apostolique renvoyée au dicastère pour le Culte divin attribuait abusivement à cette congrégation un pouvoir législatif (énoncer une loi) sans qu’il dispose d’une délégation du législateur (le Pape). Par ailleurs, les évêques ne pouvaient pas être canoniquement privés de la dispense d’une demande d’autorisation à Rome, en vertu du canon 87.1 :
« Chaque fois qu’il le jugera profitable pour leur bien spirituel, l’évêque diocésain a le pouvoir de dispenser les fidèles des lois disciplinaires tant universelles que particulières… ».
Ce sont ces deux failles de Traditionis Custodes que le Rescrit du Pape viennent de verrouiller. L’Evêque diocésain ne peut plus concéder l’usage d’une église paroissiale pour la célébration de la liturgie traditionnelle sans autorisation du Culte Divin. Il ne peut pas non plus autoriser un prêtre ordonné depuis le 16 juillet 2021 à célébrer selon l’ancien Ordo sans l’autorisation express du Cardinal Roche, dont on connait l’hostilité à la tradition. […]
En revanche, un article du Wanderer, traduit par Benoît-et-moi, juge que ce texte est une claque pour le cardinal Roche qui en voulait beaucoup plus :
[…] En bref, il s’agit du document de rang le plus bas dans l’arsenal complexe dont dispose le Pontife Romain, qui peut être modifié demain par lui-même ou par son successeur. […]
Ma reconstitution est la suivante : hier, 20 février, le cardinal Roche a eu une audience avec François, comme le rapporte le Saint-Siège lui-même. Il venait chercher une constitution apostolique et en est sorti avec un rescrit. Le Saint Père lui a dit qu’il ne signerait aucun nouveau document restreignant la liturgie traditionnelle et lui a accordé un petit ajustement supplémentaire aux dispositions de TC qui ne changera rien ou presque à ce qui a déjà été légiféré. […]
Il serait très étrange que, comme certains le pensent, en l’espace de quelques semaines – le 3 avril, dit-on – le document féroce apparaisse enfin et que le rescript ne soit qu’un amuse-gueule. Bergoglio est peut-être très moderniste, ou ce qu’on veut d’autre, mais c’est un bon politicien, et pour cette raison même, il est impensable, à mon avis, qu’il publie continuellement des documents restrictifs sur le même sujet. Ce serait un signe évident de faiblesse qu’il ne se permettra jamais, encore moins sur un sujet qui ne l’intéresse pas du tout, et encore moins si la personne qui le lui propose est Roche, dont tout le monde dit qu’il le déteste, et il ne serait pas étrange qu’à tout moment il finisse comme premier archevêque de l’île de Sainte-Hélène. […]
Et cette autre analyse, moins optimiste :
[…] Le rescriptum révèle également, en marge, une hypocrisie considérable des milieux ecclésiastiques progressistes qui, sous Jean-Paul II et Benoît XVI, s’insurgeaient de manière infondée contre un prétendu « centralisme romain ». Ce n’est que sous le pape François que ce centralisme a connu une radicalisation et concentre aujourd’hui à Rome des compétences exclusives d’une ampleur jusqu’ici insoupçonnée. Il suffit de penser à l’érection canonique de nouvelles communautés et de nouveaux ordres, et en particulier, bien sûr, en rapport avec le rite traditionnel. Il ne faut pas s’attendre à ce que ces milieux, qui ont polémiqué pendant des décennies contre les papes polonais et allemand, qui ont sapé l’autorité de ces deux successeurs de Pierre et qui les ont parfois discrédités personnellement, expriment un mot de critique contre les nouveaux excès centralisateurs.
Le rescrit d’aujourd’hui fournit une preuve supplémentaire que le pape François est mû par un profond élan idéologique lorsqu’il s’agit du rite traditionnel. Dans les nombreuses interventions et gestes de son pontificat de bientôt dix ans en rapport avec la liturgie, le rite traditionnel et la tradition, on ne trouve aucune indication d’une quelconque appréciation.
Une prétendue « générosité », telle qu’il l’a montrée au début de l’année 2022 envers les communautés Ecclesia Dei (concrètement la Fraternité Saint-Pierre), devrait plutôt être lue comme une mesure tactique, car François, comme on le sait déjà depuis son époque à Buenos Aires, ne veut si possible pas se créer trop d’ennemis, car il y voit une limitation de sa marge de manœuvre.
Un chasseur ne peut pas abattre un troupeau entier d’un seul coup. En revanche, il peut le décimer jour après jour.