Pourquoi ce livre d’“entretiens impertinents” ?
Sous ce titre provocateur, j’ai recueilli et compilé les propos plus ou moins oubliés d’une dizaine de personnalités historiques de notre famille de pensée au début du quotidien Présent quand j’y collaborais comme jeune journaliste (dans les années 80-90 au siècle dernier !).
Figures intellectuelles diverses, religieuses, littéraires, scientifiques ou politiques… puisque cela va du professeur Jérôme Lejeune à Jean-Marie Le Pen en passant par Mgr Marcel Lefebvre, Michel de Saint Pierre, Jean-Marie Paupert, Pierre Debray-Ritzen, le P. Bruckberger, Gustave Thibon, Louis Salleron, Jean de Viguerie. Sans oublier Dom Gérard pour la conclusion.
Malgré leur état de vie varié et leur diversité littéraire, il y a une certaine similitude entre eux. Ils nous parlent encore aujourd’hui pour demain ! Dans leur domaine respectif, ce sont ce qu’on appellerait aujourd’hui des lanceurs d’alerte, dans l’incrédulité générale de leurs contemporains.
Et relire leurs propos prémonitoires, voire prophétiques, a non seulement un intérêt historique mais aussi une valeur pédagogique pour notre combat d’aujourd’hui. Nonobstant leurs différences et parfois même leurs antagonismes, ils sont l’ADN de notre résistance intellectuelle : des repères pour nos nouveaux influenceurs, comme on dit maintenant, les veilleurs ou éveilleurs qui émergent. Il est toujours bon de revenir aux précurseurs…
C’est ce que souligne très bien la belle préface du P. Danziec : en dépit de leurs défauts inévitables, ils impressionnent tous et chacun par leur authentique liberté intérieure et leur recherche courageuse de la vérité : « Aux plus jeunes de tendre désormais l’oreille en vue des défis futurs. »
Au-delà de leur diversité, quel est le point commun de ces entretiens ?
Entretiens impertinents donc parce que politiquement ou religieusement incorrects. Mais paradoxalement pertinents par leur « vertu d’insolence » (comme disait Brasillach à propos de Jeanne d’Arc) à l’égard des nouveaux (évêques) Cauchons ou des nouveaux Créon (politiciens) au pouvoir. Vertu d’insolence à l’égard du faux respect des fausses vénérations, des grandeurs illusoires.
Ces témoins sont en effet du côté d’Antigone (appelant à ne pas transgresser les lois supérieures) et non de Créon (préférant l’opportunisme). Ils sont nés pour l’amour et la concorde et non pour la haine et le désordre, contrairement à ce qu’on voudrait nous faire croire dans une dialectique inversion accusatoire, plus que jamais à l’œuvre de nos jours avec le funeste wokisme.
Loin d’être des « extrémistes », comme on a voulu et on veut toujours les faire passer, ils sont au cœur, au centre de la civilisation française. Ce sont des héritiers et des passeurs de culture, des transmetteurs créatifs, parfois inventeurs, mais aussi souvent des prophètes, du côté de Cassandre également, très peu entendus. Car les vrais prophètes, à cause de la réalité du péché originel, sont rarement des prophètes de bonheur faits pour complaire aux oreilles du monde comme on en a trop vu depuis le dernier Concile. C’est la raison pour laquelle on cherche à les lapider médiatiquement : on les « extrémise » selon la technique nouvelle du terrorisme intellectuel issue de la dialectique communiste…
Ce sont enfin des réalistes (en religion, en philosophie, en science…) pour une une véritable “méthode expérimentale” de l’épreuve au contraire des idéologues. Quand Mgr Lefebvre, ancien missionnaire, demande par exemple : « Laissez-nous faire l’expérience de la Tradition », il réclame simplement, empiriquement, un espace de vie et de liberté. Comme Jean Madiran quand il demande : – Rendez-nous l’Ecriture, le catéchisme et la messe ! Ils ne font pas de longues théories, systématiques et abstraites, sur les textes novateurs imposés, par exemple sur la liberté religieuse. Sans verbalisme idéologique, ils réclament avant tout le B-A BA, les fondamentaux de la foi et de la philosophie, avec bon sens. Laissez-nous prier, laissez-nous vivre ! “Laissez-les vivre” : c’est du reste aussi le mot d’ordre du Pr. Lejeune pour le mouvement provie qu’il initie avec d’autres…
Lesquels de ces interlocuteurs vous ont le plus marqué ?
Deux plus particulièrement :
Le professeur Jérôme Lejeune dont la cause de béatification est en cours, parce que, précisément, il alliait le génie avec la sainteté, la cohérence de l’intelligence et du cœur. Avec son ami le pape Jean-Paul II (appuyé par le cardinal Ratzinger), il aura dénoncé la dictature du relativisme dans la science. Je me souviens quand il citait pour s’en désoler le premier président du Comité d’éthique Jean Bernard : « Les sciences nouvelles, proférait ce dernier, suscitent des essais thérapeutiques moralement nécessaires et nécessairement immoraux » C’est l’affirmation revendiquée, assumée, de la transgression de la loi morale naturelle en science – « Science sans conscience… » – . Dans un autre registre (politique) cela rappelle ce qu’avait dit (à la même époque) le député socialiste André Laignel : « Vous avez juridiquement tort parce que vous êtes politiquement minoritaires ! » Foin de la loi naturelle et du principe de non-contradiction ! C’est le primat accordé à l’arbitraire individuel ou collectif. Nous sommes en plein dedans.
L’autre personnalité qui m’a marqué par son altitude intellectuelle et spirituelle est Gustave Thibon. Un aphorisme célèbre le résume : « Deux sortes d’être que je ne peux supporter : ceux qui ne recherchent jamais Dieu, ceux qui s’imaginent l’avoir trouvé. » Tout est dit.
Dans un autre genre, Bruckberger et Paupert m’ont frappé par leur aspect franc-tireur assez ressemblant du reste. Ce côté “mauvais élève” perturbateur (comme disait Péguy) qui peut plaire à Dieu, ce côté provocateur non dénué de grand talent. Tandis que Mgr Lefebvre et Michel de Saint Pierre m’ont impressionné par la détermination de leur foi, une foi fidèle à celle de leur enfance.
Tous demeurent pour moi des gentilhommes de l’intelligence.
