Extrait ‘une tribune de l’abbé Guillaume de Tanouärn dans La Croix :
Il y a beaucoup d’idées préconçues sur la relation que les traditionalistes aujourd’hui entretiennent avec le pape François. On nous voit souvent comme étant théologiquement « à couteaux tirés » avec le Saint-Père. Et pourtant, pour nous comme pour tout autre, il reste le Saint-Père. Si éloignés que puissent nous apparaître certains de ses combats, nous devons essayer d’aimer cette grande figure de la gauche mondiale qui s’en est allé, en pleine conscience, rejoindre la droite du Père dans l’Éternité. […]
Cette communion viscérale avec le pape, justement parce qu’elle est profondément ancrée dans l’inconscient spirituel des catholiques, n’a jamais empêché que nous posions des questions respectueuses à l’autorité ecclésiastique. Pour moi qui suis membre de l’Institut du Bon-Pasteur, créé en 2006 grâce au pape Benoît XVI, avec pour charisme propre la critique constructive des textes du concile Vatican II, cette critique, encouragée d’en haut, n’empêche pas l’esprit de communion, mais, dans la mesure où elle est sincère (in azimis sinceritatis répète-t-on dans la liturgie pascale) renforce cet esprit de communion.
Faut-il avoir peur de la vérité dans l’Église ? Faut-il craindre d’être sincère ? Le concile Vatican II, quoi qu’on en pense, a introduit la liberté de pensée dans la Maison de Dieu et, par conséquent, un pluralisme dont les traditionalistes doivent aussi pouvoir profiter. La première image de ce pluralisme théologique est la liberté liturgique, tant qu’elle ne s’oppose pas au dogme. Il faut bien reconnaître que François, condamnant en quelques lignes le rite traditionnel, dans son motu proprio, a fait preuve de dureté en défendant vis-à-vis des tradis une politique d’exclusion. Mais au fond peu importe !
Ce que nous ne devons supporter nulle part entre frères chrétiens, c’est l’idéologie. Le pape François utilisait fréquemment ce mot, par exemple pour disqualifier des discours conservateurs dans l’Église. Bien des conservateurs, comme s’ils étaient lassés de produire un discours approprié aux circonstances, se sont réfugiés de fait dans un psittacisme idéologique. Mais il n’y a pas qu’eux qui oublient le réel.
Combien, dans le mainstream ecclésial, n’ont pas su évoluer depuis la fin du Concile et n’ont pas vu que les classes populaires auxquelles ils entendent s’adresser – c’est ce que l’on appelle l’option préférentielle pour les pauvres – sont plus proches aujourd’hui (horresco referens) des identitaires de droite que d’une gauche, qui, en France tout au moins, est couturée de partout après trente ans de combat politique approximatif.
Le monde change et Vatican II était un concile adapté à l’optimisme des années 1960, mais qui, dans Gaudium et spes par exemple, contraste avec le pessimisme de nos sociétés européennes, qui sont conscientes de traverser une crise existentielle. Ce faisant, les sociétés occidentales et la société française en particulier, dans laquelle la créolisation est peut-être plus avancée qu’ailleurs, posent à l’Église des questions gênantes, loin des perspectives euphoriques ouvertes par le dernier concile.
Il me semble que le pape François, qui n’était pas un idéologue, avait compris ce risque existentiel dès son voyage à Strasbourg, où il avait traité l’Europe de « vieille femme stérile ». Il avait préféré s’en tenir à l’optimisme conciliaire et aux principes humanistes pourtant fortement mis à mal dans les sociétés occidentales. Cela incluait une politique de respect de la vie, à laquelle il s’est tenu durant tout son pontificat, jusqu’à comparer un avortement à l’œuvre d’un tueur à gages.
Dans ses deux derniers voyages en France, à Marseille et en Corse, il ouvre une autre piste : celle de la religion populaire, de la dévotion à Marie et au Sacré Cœur, à saint Joseph aussi. Ces dévotions, cette religion de la proximité de Dieu, ce catholicisme du « saint peuple chrétien », François le connaît par cœur. Il ne faut pas oublier qu’il avait été élevé par sa grand-mère, Rosa, une vieille femme sans doute plus importante dans sa vocation pastorale universelle que n’ont pu l’être ses formateurs jésuites, les théoriciens de la théologie du peuple ou le père Pedro Arrupe, charismatique supérieur des jésuites après le Concile.