Dans une note parue vendredi 2 février, le Dicastère pour la Doctrine de la foi revient sur la validité des sacrements et rappelle que les ministres ne sont pas autorisés à modifier les rites de leur propre chef. Sur les punitions exemplaires qui seront infligés aux ministres qui modifieraient la forme ou la matière d’un sacrement, il est permis d’être sceptique… Voici la texte traduit par nos soins :
Déjà lors de l’Assemblée plénière du Dicastère en janvier 2022, les cardinaux et les évêques membres avaient exprimé leur préoccupation face à la multiplication des situations dans lesquelles l’invalidité des sacrements célébrés avait été constatée. Les graves modifications apportées à la matière ou à la forme des Sacrements, rendant leur célébration nulle et non avenue, avaient alors conduit à la nécessité de retrouver les personnes concernées pour répéter le rite du Baptême ou de la Confirmation, et un nombre important de fidèles avaient à juste titre exprimé leur mécontentement. Par exemple, au lieu d’utiliser la formule établie pour le baptême, des formules telles que : “Je te baptise au nom du Créateur…” et “Au nom de ton père et de ta mère… nous te baptisons” ont été utilisées. Les prêtres se trouvaient également dans une situation aussi grave. Ces derniers, ayant été baptisés avec des formules de ce type, ont douloureusement découvert l’invalidité de leur ordination et des sacrements célébrés jusqu’alors.
Alors que dans d’autres domaines de l’action pastorale de l’Église il y a une large place pour la créativité, une telle inventivité dans le domaine de la célébration des Sacrements se transforme plutôt en une “volonté manipulatrice” et ne peut donc pas être invoquée[1]. Changer la forme d’un Sacrement ou sa matière est donc toujours un acte gravement illicite et mérite une punition exemplaire, précisément parce que de tels gestes arbitraires sont en mesure de produire un grave préjudice pour le peuple fidèle de Dieu.
Dans le discours qu’il a adressé à notre dicastère lors de la récente Assemblée plénière du 26 janvier 2024, le Saint-Père a rappelé que “grâce aux sacrements, les croyants deviennent capables de prophétie et de témoignage. Et notre époque a un besoin particulièrement urgent de prophètes de la vie nouvelle et de témoins de la charité : aimons donc et faisons aimer la beauté et la force salvatrice des Sacrements ! Dans ce contexte, il a également souligné que “les ministres doivent faire preuve d’un soin particulier dans leur administration et dans la divulgation aux fidèles des trésors de grâce qu’ils communiquent”[2].
Ainsi, d’une part, le Saint-Père nous invite à agir de manière à ce que les fidèles puissent s’approcher avec fruit des sacrements et, d’autre part, il insiste fortement sur l’appel à un “soin particulier” dans leur administration.
Nous, ministres, devons donc surmonter la tentation de nous sentir propriétaires de l’Église. Nous devons au contraire devenir très réceptifs à un don qui se présente à nous : non seulement le don de la vie ou de la grâce, mais aussi les trésors des sacrements qui nous sont confiés par notre Mère l’Église. Ils ne nous appartiennent pas ! Et les fidèles ont le droit, à leur tour, de les recevoir comme l’Église en dispose : c’est ainsi que leur célébration correspond à l’intention de Jésus et rend l’événement pascal pertinent et efficace.
En respectant religieusement, en tant que ministres, ce que l’Église a établi concernant la matière et la forme de chaque sacrement, nous manifestons devant la communauté la vérité selon laquelle ” la Tête de l’Église, et donc le véritable président de la célébration, est le Christ seul “[3] La Note que nous présentons ici ne traite pas du sujet de la célébration.
La Note que nous présentons ici ne traite donc pas d’une question purement technique ou même “rigoriste”. En la publiant, le Dicastère entend avant tout exprimer lumineusement la priorité de l’action de Dieu et sauvegarder humblement l’unité du Corps du Christ qu’est l’Église dans ses gestes les plus sacrés.
Puisse ce Document, approuvé à l’unanimité le 25 janvier 2024 par les membres du Dicastère réunis en Assemblée plénière, puis par le Saint-Père François lui-même, renouveler chez tous les ministres de l’Église la pleine conscience de ce que le Christ nous a dit : “Ce n’est pas vous qui m’avez choisi, c’est moi qui vous ai choisis” (Jn 15, 16).
Víctor Manuel Card. FERNÁNDEZ
Préfet
Introduction
1. Par des événements et des paroles intimement liés, Dieu révèle et met en œuvre son projet de salut pour tout homme et toute femme destinés à la communion avec lui[4] ; cette relation salvifique se réalise effectivement dans l’action liturgique, où l’annonce du salut, qui résonne dans la Parole proclamée, trouve son accomplissement dans les gestes sacramentels. Ceux-ci, en effet, rendent présente dans l’histoire humaine l’action salvifique de Dieu, qui culmine dans la Pâque du Christ. La force rédemptrice de ces gestes donne une continuité à l’histoire du salut que Dieu accomplit dans le temps.
Institués par le Christ, les sacrements sont donc des actions qui réalisent, par des signes sensibles, l’expérience vivante du mystère du salut, permettant à l’homme de participer à la vie divine. Ils sont les “chefs-d’œuvre de Dieu” dans l’Alliance nouvelle et éternelle, des forces qui sortent du corps du Christ, des actions de l’Esprit à l’œuvre dans son corps qui est l’Église[5].
C’est pourquoi l’Église, dans la liturgie, célèbre avec un amour et une vénération fidèles les sacrements que le Christ lui-même lui a confiés, afin qu’elle les garde comme un héritage précieux et comme la source de sa vie et de sa mission.
2. Malheureusement, il faut constater que les célébrations liturgiques, en particulier celles des Sacrements, ne se déroulent pas toujours dans la pleine fidélité aux rites prescrits par l’Église. Ce Dicastère est intervenu à plusieurs reprises pour dissiper des doutes sur la validité de Sacrements célébrés, au sein du Rite romain, dans la non-observance des normes liturgiques, devant parfois conclure par une pénible réponse négative, constatant, dans ces cas, que les fidèles ont été privés de ce qui leur est dû, “c’est-à-dire du Mystère pascal célébré selon le mode rituel que l’Église établit”. [À titre d’exemple, on peut citer les célébrations baptismales au cours desquelles la formule sacramentelle a été modifiée dans l’un de ses éléments essentiels, rendant le sacrement caduc et compromettant ainsi le futur parcours sacramentel des fidèles pour lesquels, avec de graves inconvénients, il a fallu répéter la célébration non seulement du Baptême, mais aussi des sacrements reçus par la suite[7].
3. Dans certaines circonstances, on peut observer la bonne foi de certains ministres qui, par inadvertance ou poussés par des motivations pastorales sincères, célèbrent les sacrements en modifiant les formules et les rites essentiels établis par l’Église, peut-être pour les rendre, à leur avis, plus adaptés et plus compréhensibles. Souvent, cependant, “le recours à la motivation pastorale masque, même inconsciemment, une dérive subjectiviste et une volonté manipulatrice”[8] De cette manière, un vide formatif se manifeste également, surtout en ce qui concerne la prise de conscience de la valeur de l’action symbolique, trait essentiel de l’acte liturgico-sacramentel.
4. Afin d’aider les évêques dans leur tâche de promoteurs et de gardiens de la vie liturgique des Églises particulières qui leur sont confiées, le Dicastère pour la Doctrine de la Foi entend offrir dans cette Note quelques éléments de caractère doctrinal pour discerner la validité de la célébration des sacrements, en prêtant également attention à certains aspects disciplinaires et pastoraux.
5. L’objectif de ce document s’applique également à l’Église catholique dans son ensemble. Cependant, les arguments théologiques qui l’inspirent recourent parfois à des catégories propres à la tradition latine. Il est donc confié au Synode ou à l’assemblée des Hiérarques de chaque Église catholique orientale d’adapter dûment les indications de ce document, en utilisant leur propre langage théologique, là où il diffère de celui qui est utilisé dans le texte. Le résultat sera ensuite soumis, avant la publication, à l’approbation du Dicastère pour la Doctrine de la Foi.
I. L’Église est reçue et exprimée dans les sacrements
6. Le Concile Vatican II renvoie analogiquement la notion de sacrement à l’Église tout entière. En particulier, lorsqu’il affirme dans la Constitution sur la sainte liturgie que ” du côté du Christ endormi sur la croix a jailli l’admirable Sacrement de toute l’Église ” (9), il renvoie à la lecture typologique, chère aux Pères, du rapport entre le Christ et Adam (10) ; le texte conciliaire évoque l’affirmation bien connue de saint Augustin (11), qui explique : ” Adam dort pour qu’Ève soit formée ; le Christ meurt pour que l’Église soit formée “. Du côté d’Adam endormi se forme Ève ; du côté du Christ mort sur la croix, frappé par la lance, jaillissent les sacrements par lesquels se forme l’Église”[12].
7. La Constitution dogmatique sur l’Église réaffirme que l’Église est ” dans le Christ sacrement, c’est-à-dire signe et instrument de l’union intime avec Dieu et de l’unité de tout le genre humain ” (13) et que cela se réalise avant tout à travers les sacrements, dans chacun desquels la nature sacramentelle de l’Église, Corps du Christ, se réalise à sa manière. La connotation de l’Église comme sacrement universel du salut “montre comment l’économie sacramentelle détermine en définitive la manière dont le Christ, unique Sauveur, par l’Esprit, rejoint notre existence dans la spécificité de ses circonstances. L’Église reçoit et en même temps s’exprime dans les sept sacrements, par lesquels la grâce de Dieu influence concrètement l’existence des fidèles, de sorte que toute vie, rachetée par le Christ, devienne un culte agréable à Dieu”[14].
8. C’est précisément en constituant l’Église comme son Corps mystique que le Christ fait participer les croyants à sa propre vie, en les unissant à sa mort et à sa résurrection d’une manière réelle et obscure à travers les sacrements[15] La puissance sanctifiante de l’Esprit Saint agit en effet dans les fidèles à travers les signes sacramentels[16], faisant d’eux les pierres vivantes d’un édifice spirituel, fondé sur la pierre angulaire qu’est le Christ Seigneur[17], et les constituant en peuple sacerdotal, participant à l’unique sacerdoce du Christ[18].
9. Les sept gestes vivifiants, que le Concile de Trente a solennellement déclarés d’institution divine (19), constituent donc un lieu privilégié de rencontre avec le Christ Seigneur qui accorde sa grâce et qui, à travers les paroles et les actes rituels de l’Église, nourrit et fortifie la foi (20) ; c’est dans l’Eucharistie et dans tous les autres sacrements que ” nous est garantie la possibilité de rencontrer le Seigneur Jésus et d’être atteints par la puissance de sa Pâque ” (21).
10. Consciente de cela, l’Église, depuis ses origines, a pris un soin particulier des sources auxquelles elle puise la force vitale de son existence et de son témoignage : la Parole de Dieu, attestée par les Saintes Écritures et la Tradition, et les Sacrements, célébrés dans la liturgie, par lesquels elle est continuellement ramenée au mystère de la Pâque du Christ[22].
Les interventions du Magistère en matière sacramentelle ont toujours été motivées par le souci fondamental de la fidélité au mystère célébré. En effet, l’Église a le devoir d’assurer la priorité de l’action de Dieu et de sauvegarder l’unité du Corps du Christ dans ces actions qui n’ont pas d’égal parce qu’elles sont sacrées “par excellence” avec une efficacité garantie par l’action sacerdotale du Christ[23].
II. L’Église garde et est gardée par les sacrements
11. L’Église est ” ministre ” des sacrements, elle n’en est pas la maîtresse[24] : en les célébrant, elle en reçoit elle-même la grâce, elle les garde et elle est gardée par eux. La potestas qu’elle peut exercer à l’égard des sacrements est analogue à celle qu’elle possède à l’égard de l’Écriture Sainte. Dans cette dernière, l’Église reconnaît la Parole de Dieu, mise par écrit sous l’inspiration de l’Esprit Saint, établissant le canon des livres sacrés. De même, l’Église, assistée par l’Esprit Saint, reconnaît les signes sacrés par lesquels le Christ accorde la grâce qui émane de la Pâque, en déterminant leur nombre et en indiquant, pour chacun d’eux, les éléments essentiels.
Ce faisant, l’Église est consciente qu’administrer la grâce de Dieu ne signifie pas se l’approprier, mais se faire l’instrument de l’Esprit pour transmettre le don du Christ pascal. Elle sait en particulier que sa potestas à l’égard des sacrements s’arrête à leur substance[26] : de même que dans la prédication l’Église doit toujours annoncer fidèlement l’Évangile du Christ mort et ressuscité, de même dans les gestes sacramentels elle doit conserver les gestes salvifiques que Jésus lui a confiés[27].
12. Il est vrai que l’Église n’a pas toujours indiqué de façon univoque les gestes et les paroles en lesquels consiste cette substance divinitus instituta. Pour tous les sacrements, en tout cas, apparaissent fondamentaux les éléments que le Magistère de l’Église, à l’écoute du sensus fidei du Peuple de Dieu et en dialogue avec la théologie, a appelés matière et forme, auxquels s’ajoute l’intention du ministre.
13. La matière du sacrement consiste en l’action humaine par laquelle le Christ agit. Il s’agit tantôt d’un élément matériel (eau, pain, vin, huile), tantôt d’un geste particulièrement éloquent (signe de croix, imposition des mains, immersion, infusion, consentement, onction). Cette corporéité apparaît indispensable parce qu’elle enracine le Sacrement non seulement dans l’histoire humaine, mais aussi, plus fondamentalement, dans l’ordre symbolique de la Création et le ramène au mystère de l’Incarnation du Verbe et de la Rédemption opérée par Lui[27].
14. La forme du sacrement est constituée par la parole, qui donne un sens transcendant à la matière, transfigurant le sens ordinaire de l’élément matériel et le sens purement humain de l’action accomplie. Cette parole s’inspire toujours, à des degrés divers, de la Sainte Écriture,[28] s’enracine dans la Tradition vivante de l’Église et a été définie avec autorité par le Magistère de l’Église au terme d’un discernement attentif,[29].
15. La matière et la forme, en raison de leur enracinement dans l’Écriture et la Tradition, n’ont jamais dépendu ni ne peuvent dépendre de la volonté de l’individu ou de la communauté individuelle. À leur égard, en effet, la tâche de l’Église n’est pas de les déterminer selon la volonté ou l’arbitraire de qui que ce soit, mais, en sauvegardant la substance des Sacrements (salva illorum substantia) “[30], de les indiquer avec autorité, dans la docilité à l’action de l’Esprit.
Pour certains Sacrements, la matière et la forme apparaissent substantiellement définies dès l’origine, de sorte que leur fondation par le Christ est immédiate ; pour d’autres, la définition des éléments essentiels ne s’est précisée qu’au cours d’une histoire complexe, parfois non sans une évolution significative.
16. À cet égard, on ne peut ignorer que, lorsque l’Église intervient dans la détermination des éléments constitutifs du sacrement, elle agit toujours en s’enracinant dans la Tradition, afin de mieux exprimer la grâce conférée par le sacrement.
C’est dans ce contexte que la réforme liturgique des Sacrements, qui s’est déroulée selon les principes du Concile Vatican II, a demandé une révision des rites de telle sorte qu’ils expriment plus clairement les saintes réalités qu’ils signifient et produisent[31] L’Église, avec son magistère en matière sacramentelle, exerce sa potestas dans le sillage de cette Tradition vivante “qui vient des Apôtres et progresse dans l’Église avec l’assistance de l’Esprit Saint”[32].
Reconnaissant donc, sous l’action de l’Esprit, le caractère sacramentel de certains rites, l’Église les a considérés comme correspondant à l’intention de Jésus de rendre actuel et partageable l’événement pascal[33].
17. Pour tous les sacrements, en tout cas, l’observance de la matière et de la forme a toujours été requise pour la validité de la célébration, sachant que des modifications arbitraires de l’une et/ou de l’autre – dont la gravité et la force invalidante doivent être vérifiées à chaque fois – compromettent l’efficacité de l’effusion de la grâce sacramentelle, au détriment évident des fidèles[34]. [La matière et la forme, résumées dans le Code de droit canonique (35), sont établies dans les livres liturgiques promulgués par l’autorité compétente, qui doivent donc être fidèlement observés, sans “rien ajouter, rien retrancher, rien changer” (36).
18. L’intention du ministre qui célèbre le sacrement est liée à la matière et à la forme. Il est clair qu’ici le thème de l’intention doit être distingué de celui de la foi personnelle et de la condition morale du ministre, qui n’affectent pas la validité du don de la grâce (37) ; il doit en effet avoir “l’intention de faire au moins ce que fait l’Église” (38), ce qui fait de l’action sacramentelle un acte vraiment humain, éloigné de tout automatisme, et un acte pleinement ecclésial, éloigné de l’arbitraire d’un individu. En outre, puisque ce que fait l’Église n’est rien d’autre que ce que le Christ a institué (39), l’intention aussi, avec la matière et la forme, contribue à faire de l’action sacramentelle un prolongement de l’œuvre salvifique du Seigneur.
Matière, forme et intention sont intrinsèquement unies : elles sont intégrées dans l’action sacramentelle de telle sorte que l’intention devient le principe unificateur de la matière et de la forme, en les transformant en un signe sacré par lequel la grâce est conférée ex opere operato[40].
19. A la différence de la matière et de la forme, qui représentent l’élément sensible et objectif du Sacrement, l’intention du ministre – avec la disposition du destinataire – en représente l’élément intérieur et subjectif. Elle tend cependant, de par sa nature, à se manifester aussi à l’extérieur, à travers l’observance du rite établi par l’Église, de sorte que l’altération grave des éléments essentiels introduit aussi un doute sur l’intention réelle du ministre, invalidant ainsi la validité du Sacrement célébré[41]. En principe, en effet, l’intention de faire ce que fait l’Église s’exprime dans l’emploi de la matière et de la forme que l’Église a établies[42].
20. Matière, forme et intention sont toujours placées dans le contexte de la célébration liturgique, qui ne constitue pas un ornement cérémoniel des sacrements, ni même une introduction didactique à la réalité qui s’accomplit, mais qui est dans son ensemble l’événement dans lequel se poursuit la rencontre personnelle et communautaire entre Dieu et nous, dans le Christ et dans l’Esprit Saint, rencontre dans laquelle, par la médiation des signes sensibles, “la gloire parfaite est rendue à Dieu et les hommes sont sanctifiés”,[43].
La sollicitude nécessaire pour les éléments essentiels des Sacrements, dont dépend leur validité, doit donc être en harmonie avec le soin et le respect de l’ensemble de la célébration, dans laquelle le sens et les effets des Sacrements sont rendus pleinement intelligibles par une multiplicité de gestes et de paroles, favorisant ainsi l’actuosa participatio des fidèles[44].
21. La liturgie elle-même permet cette variété qui préserve l’Église d’une “uniformité rigide” (45) ; c’est pourquoi le Concile Vatican II a décrété que, “sans préjudice de l’unité substantielle du rite romain, même dans la révision des livres liturgiques, il faut laisser une place à la légitime diversité et à l’adaptation aux diverses ethnies, régions, peuples, surtout dans les missions” (46).
En vertu de cela, la réforme liturgique voulue par le Concile Vatican II a non seulement autorisé les Conférences épiscopales à introduire des adaptations générales à l’editio typica latine, mais elle a aussi prévu la possibilité d’adaptations particulières par le ministre de la célébration, dans le seul but de répondre aux besoins pastoraux et spirituels des fidèles.
22. Toutefois, pour que la variété “ne nuise pas à l’unité, mais au contraire la serve”, [47] il reste clair que, en dehors des cas expressément indiqués dans les livres liturgiques, “la réglementation de la sainte Liturgie est du ressort exclusif de l’autorité de l’Église”, [48] qui réside, selon les circonstances, dans l’évêque, dans l’assemblée épiscopale territoriale, dans le Siège Apostolique.
Il est clair, en effet, que “modifier de sa propre initiative la forme de célébration d’un sacrement ne constitue pas un simple abus liturgique, comme une transgression d’une norme positive, mais une blessure infligée à la fois à la communion ecclésiale et à la reconnaissabilité de l’action du Christ, qui, dans les cas les plus graves, rend invalide le sacrement lui-même, parce que la nature de l’action ministérielle exige que l’on transmette avec fidélité ce que l’on a reçu (cf. 1 Co 15, 3)”[49].
III. La présidence liturgique et l’art de célébrer
23. Le Concile Vatican II et le Magistère postconciliaire permettent de donner au ministère de la présidence liturgique sa juste signification théologique. L’évêque et ses collaborateurs président les célébrations liturgiques, qui culminent dans l’Eucharistie, ” source et sommet de toute la vie chrétienne ” (50), in persona Christi (Capitis) et nomine Ecclesiae. Dans les deux cas, il s’agit de formules qui – bien qu’avec quelques variantes – sont bien attestées par la Tradition[51].
24. La formule in persona Christi (52) signifie que le prêtre représente le Christ lui-même dans l’événement de la célébration. Cela se réalise de façon culminante lorsque, dans la consécration eucharistique, il prononce les paroles du Seigneur avec la même efficacité, en identifiant, en vertu de l’Esprit Saint, sa propre personne à celle du Christ. Lorsque le Concile précise ensuite que les presbytres président l’Eucharistie in persona Christi Capitis (53), il n’entend pas souscrire à une conception selon laquelle le ministre disposerait, en tant que ” chef “, d’un pouvoir qu’il exercerait de façon arbitraire. La Tête de l’Église, et donc le véritable président de la célébration, est le Christ seul. Il est ” la Tête du Corps, c’est-à-dire de l’Église ” (Col 1, 18), dans la mesure où il la fait sortir de son sein, la nourrit et en prend soin, l’aimant jusqu’à se donner pour elle (cf. Ep 5, 25.29 ; Jn 10, 11). La potestas du ministre est une diakonia, comme le Christ lui-même l’enseigne aux disciples dans le contexte de la dernière Cène (cf. Lc 22, 25-27 ; Jn 13, 1-20). Ceux qui, en vertu de la grâce sacramentelle, sont configurés à Lui, partageant l’autorité avec laquelle il guide et sanctifie son peuple, sont donc appelés, dans la liturgie et dans tout le ministère pastoral, à se conformer à la même logique, ayant été constitués pasteurs non pour dominer le troupeau, mais pour le servir selon le modèle du Christ, le bon Pasteur des brebis (cf. 1 P 5, 3 ; Jn 10, 11, 14)[54].
25. En même temps, le ministre qui préside la célébration agit nomine Ecclesiae (55), formule qui indique clairement que, s’il présente le Christ Tête devant son Corps qui est l’Église, il présente aussi devant sa propre Tête ce Corps, ou plutôt cette Épouse, en tant que sujet intégral de la célébration, le Peuple tout-priarcal au nom duquel le ministre parle et agit (56). En outre, s’il est vrai que “quand on baptise, c’est le Christ lui-même qui baptise”,[57] il en est de même pour le fait que “l’Église, quand elle célèbre un sacrement, agit comme un Corps qui agit inséparablement de sa Tête, dans la mesure où c’est le Christ Tête qui agit dans le Corps ecclésial engendré par Lui dans le mystère de Pâques”[58]. [Cela met en évidence l’ordination réciproque entre le sacerdoce baptismal et le sacerdoce ministériel, [59] permettant de comprendre que le second existe au service du premier, et précisément pour cette raison – comme nous l’avons vu – dans le ministre qui célèbre les sacrements, l’intention de faire ce que fait l’Église ne peut jamais faire défaut.
26. La fonction double et combinée exprimée par les formules in persona Christi – nomine Ecclesiae, et la relation réciproque et féconde entre le sacerdoce baptismal et le sacerdoce ministériel, jointes à la conscience que les éléments essentiels pour la validité des sacrements doivent être considérés dans leur contexte propre, c’est-à-dire l’action liturgique, rendront le ministre toujours plus conscient que “les actions liturgiques ne sont pas des actions privées mais des célébrations de l’Église”. c’est-à-dire l’action liturgique, rendra le ministre toujours plus conscient que “les actions liturgiques ne sont pas des actions privées mais des célébrations de l’Église”, des actions qui, même dans la “diversité des états, des charges et des participations actives”, “appartiennent à tout le Corps de l’Église, le manifestent et l’impliquent”[60]. [C’est précisément pour cette raison que le ministre doit comprendre que l’authentique ars celebrandi est celui qui respecte et exalte la primauté du Christ et l’actuosa participatio de toute l’assemblée liturgique, même à travers l’humble obéissance aux normes liturgiques (61).
27. Il semble toujours plus urgent de mûrir un art de la célébration qui, à distance d’un rubricage rigide et d’une fantaisie débridée, conduise à une discipline à respecter, précisément pour être d’authentiques disciples : “Il ne s’agit pas de devoir suivre une étiquette liturgique : il s’agit plutôt d’une “discipline” – au sens où l’entend Guardini – qui, si elle est observée avec authenticité, nous forme : ce sont des gestes et des paroles qui mettent de l’ordre dans notre monde intérieur, en nous faisant vivre des sentiments, des attitudes, des comportements”[62]. Ils ne sont pas l’énonciation d’un idéal auquel on cherche à s’inspirer, mais une action qui engage le corps dans sa totalité, c’est-à-dire dans son unité d’âme et de corps”[62].
Conclusion
28 “Nous […] avons ce trésor dans des vases d’argile, afin qu’il apparaisse que cette puissance extraordinaire appartient à Dieu et ne vient pas de nous” (2Cor 4,7). L’antithèse utilisée par l’apôtre pour souligner comment la sublimité de la puissance de Dieu est révélée par la faiblesse de son ministère de proclamateur décrit bien ce qui se passe dans les sacrements. Toute l’Église est appelée à sauvegarder la richesse qu’ils contiennent, afin que la primauté de l’action salvifique de Dieu dans l’histoire ne soit jamais obscurcie, même dans la fragile médiation des signes et des gestes propres à la nature humaine.
29. La virtus opérante dans les sacrements façonne le visage de l’Église, lui permettant de transmettre le don du salut que le Christ mort et ressuscité, dans son Esprit, veut partager avec tout homme. Dans l’Église, ce grand trésor est confié en particulier à ses ministres, afin qu’en tant que “serviteurs attentifs” du peuple de Dieu, ils le nourrissent de l’abondance de la Parole et le sanctifient par la grâce des Sacrements. Il leur revient d’abord de veiller à ce que “la beauté de la célébration du christianisme” reste vivante et ne soit pas “défigurée par une compréhension superficielle et réductrice de sa valeur ou, pire encore, par son instrumentalisation au service d’une vision idéologique, quelle qu’elle soit”[63].
Ce n’est qu’ainsi que l’Église peut, jour après jour, “croître dans la connaissance du mystère du Christ, en plongeant […] sa vie dans le mystère de sa Pâque, dans l’attente de son retour”[64].
Le Souverain Pontife François, lors de l’audience accordée au Préfet du Dicastère pour la Doctrine de la Foi soussigné, le 31 janvier 2024, a approuvé cette Note, décidée lors de la Session plénière de ce Dicastère, et en a ordonné la publication.
Donné à Rome, au siège du Dicastère pour la Doctrine de la Foi, le 2 février 2024, en la fête de la Présentation du Seigneur.
Irishman
Au nom du père et de la mère… ou du créateur ? Décidément, ces faux catholiques sont plus tordus que les anticatholiques…
Michel
Question : la réforme liturgique ne serait-elle pas à l’origine du “changement de forme d’un Sacrement ou de sa matière” ?
Quand, de son propre aveu rapporté par son ami Jean Guitton, Paul VI avait “l’intention œcuménique d’assouplir ce qu’il y avait de trop catholique dans la messe pour se rapprocher du culte calviniste”, comment s’étonner de dérives dans la forme et la matière des Sacrements ?
Comme disait Bossuet, “Dieu se rit des personnes qui se plaignent de maux dont elles chérissent les causes”…
colcombet
Très surprenant cette façon de rappeler les règles après les avoir balayées avec Fiducia supplicans ?
Le malin est très habile pour mêler l’ivraie subrepticement au bon grain de façon à endormir la méfiance.
colcombet
Au fait ce “en même temps ” qui considère vrai tout et son contraire ne nous rappelle-t-il pas quelqu’un ? L’heure est vraiment au relativisme et à la désinformation au Vatican comme en France.
En réalité ces communications sont un mélange de toutes les injonctions diverses et contradictoires émanant des différents lobbies et minorités agissantes, mais proclamées par un même et seul porte-voix à leur service : au Vatican c’est Fernandez en France c’est Macron
Cro-Magnon
Il me paraît difficile de contester que ce que préconise et enseigne ce texte a été largement ignoré par l’Église notamment dans la CONSTRUCTION du nouvel ordo de Bugnini, pardon, de Paul VI et dans le motu proprio Traditionis custodes !
Faliocha
Le premier qui n’avait pas le droit de toucher au sacrements, c’était Paul VI ! Il n’a pas seulement ravagé la Messe, mais aussi chacun des Sacrements, supprimant par exemple les exorcismes du baptême, passant sur la Sainte Église comme Attila. Comment les « catholiques conservateurs » maintiennent-ils ce rite lamentable après avoir vu ce qu’il avait produit dans l’Eglise en cinquante ans? Mystère…