Famille chrétienne a consacré 7 pages au pèlerinage de Chartres organisé par Notre-Dame de Chrétienté, parmi lesquelles un entretien avec l'abbé Le Coq, prêtre de la Fraternité Saint-Pierre et ancien aumônier de ce pèlerinage. Extrait :
"Quels sont les ingrédients du succès de ce pèlerinage ?
Il y a d’abord les éléments du terrain : la marche, qui exige un effort physique soutenu, plaît beaucoup. La temporalité est aussi très importante. Marcher longtemps permet une véritable interruption de la vie habituelle devant ce mystère de conversion intérieure à laquelle nous sommes tous appelés. On sent qu’il faut plus d’une journée pour se libérer de notre vie quotidienne, puis une deuxième journée pour entrer dans le mystère, et enfin une troisième journée pour se convertir. C’était l’intuition de Charles Péguy qui suivait à peu près ce rythme-là.
Ensuite, l’accompagnement spirituel est très fort. De nombreux prêtres sont présents pour donner les sacrements, offrir une formation doctrinale autour d’un thème qui change chaque année, et répondre aux questions des pèlerins.
La force de ce pèlerinage, c’est aussi un clergé qui a quasiment l’âge des pèlerins. Cela frappe beaucoup, dans un monde où le clergé est peu visible, parce que peu nombreux et parce qu’il ne veut plus porter un habit distinctif. Là, ils sont des centaines en habits, en soutane, et leur moyenne d’âge est de 30 ans.
Autre ingrédient de ce succès, qui constitue le cœur de ce pèlerinage, c’est la messe traditionnelle. L’intuition et la volonté des fondateurs étaient d’appuyer ce pèlerinage sur la tradition de l’Église. Si ça a marché il y a trente ans et que ça marche encore aujourd’hui, c’est que cette messe traditionnelle est toujours vécue comme un trésor, trésor vécu pour beaucoup depuis toujours, et trésor découvert récemment pour d’autres.
Il ne semble pas y avoir « un type » de catholiques qui participe à ce pèlerinage. En fait, ce choix de liturgie ne constitue pas du tout une barrière.
Non, il y a tout le monde ! Ce n’est pas une barrière, car la liturgie traditionnelle offre une cohérence, une harmonie, une intelligence : autant d’éléments qui conviennent à tout le monde, pourvu qu’on prenne le temps d’expliquer la messe et le sens de chacun de ses détails liturgiques. En faisant cela, ceux qui venaient uniquement dans une démarche conviviale, pour être avec des copains, ou sportive, car 100 kilomètres, ce n’est pas rien, repartent avec une plus grande richesse que celle qu’ils étaient venus chercher. La tradition est faite pour tout le monde. Notre pèlerinage ne fait qu’utiliser les moyens universels dont l’Église est dépositaire. C’est ce qui explique l’augmentation du nombre de pèlerins. Après La Manif pour tous, les chrétiens découvrent que nous vivons « le pélé pour tous ».
Les nouveaux pèlerins semblent agréablement surpris par l’accueil qui leur est réservé.
C’est en effet un aspect à souligner. Si ceux qui découvrent ce pèlerinage reviennent les années suivantes, c’est aussi grâce à la puissance d’accueil des « tradis de la première heure », c’est-à-dire la grande foule qui forme le terreau habituel de la colonne des marcheurs ou de la logistique. Cette force d’accueil vient très probablement du fait que les tradis eux-mêmes ont souvent été mal jugés et mal accueillis dans certaines paroisses et qu’ils ne souhaitent pas faire vivre cela à d’autres.
Il y a une démarche d’accueil et de disponibilité par rapport aux nouveaux qui est très émouvante, dont j’ai d’ailleurs moi-même fait l’expérience à l’âge de 17 ans, lorsque j’ai participé à ce pèlerinage pour la première fois. Les nouveaux pèlerins découvrent la réalité des tradis : « On pensait que vous mangiez des enfants et en fait, non, vous êtes normaux ! » Ils découvrent un pèlerinage familial, paisible et joyeux.
La moyenne d’âge des pèlerins est de 21 ans. Comment l’expliquez-vous ?
Il y a d’abord l’effet de groupe. Les jeunes aiment aller là où il y a des jeunes, et, aujourd’hui, le pèlerinage de Chartres est celui qui attire le plus de jeunes en France. Mais il y a plus.
Si des jeunes, qui, pour certains, n’appartiennent pas à cette sensibilité traditionnelle, reviennent, c’est parce qu’ils ont rencontré une dynamique et une force qui ne sont pas seulement dans l’ambiance mais aussi dans le discours. Ils reçoivent une nourriture spirituelle qui alimente leur cœur, leur âme et leur intelligence. Ils ont 20 ans, ils savent qu’ils ne sont pas assez formés et qu’ils ont un urgent besoin de découvrir le dépôt de leur foi. Dans ce monde postchrétien, ils sont confrontés, dans les écoles et les facultés, à un monde athée, parfois hostile à la religion. Quand ils ont le courage de se déclarer chrétiens, des questions leur sont posées auxquelles ils ont du mal à répondre faute d’avoir reçu une solide formation. Le pèlerinage peut leur fournir des réponses et des outils pour mieux affronter cela. Après ces trois jours de marche, connaissant mieux leur foi, ils peuvent mieux « rendre compte de l’espérance qui est en eux ».
Ce pèlerinage est-il mieux accepté et reconnu au sein de l’Église en France ?
Il y a eu très longtemps une forme de résistance d’un certain clergé et de quelques évêques par rapport à ce pèlerinage. Une sorte de déni. Mais, récemment, la Conférence des évêques de France à Lourdes a évoqué le phénomène de la Tradition qui attire beaucoup de jeunes. C’est une réalité que chacun est obligé de prendre en compte.
Aujourd’hui, la majorité du clergé est bienveillante à l’égard de ce pèlerinage. Des prêtres et des évêques demeurent toutefois peu convaincus du bien qu’il peut apporter à l’Église de France tout entière. Pourtant, lors de la bénédiction apostolique qu’il a adressée à l’occasion du 25e anniversaire de la Fraternité Saint-Pierre, le pape François a bien dit que la Tradition « doit prendre une part active à la mission de l’Église dans le monde d’aujourd’hui ». […]"