Partager cet article

L'Eglise : Vie de l'Eglise

Christ-Roi : pour une approche constructive !

Christ-Roi : pour une approche constructive !

De Rémi Fontaine pour Le Salon beige :

Heureuse initiative que cette petite plaquette de l’abbé Jean-Pierre Gac de la Fraternité Saint-Thomas Becket, réalisée à l’issue du centième anniversaire de l’Encyclique Quas Primas (11 décembre 1925) sur La royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ.* Par la compilation de nombreuses citations pertinentes et l’agencement réfléchi de ses thèmes, c’est non seulement un vade-mecum pédagogique sur cette question quelque peu disputée depuis Vatican II mais aussi, précisément, un essai de conciliation comme son sous-titre l’indique bien : « Pour une approche constructive. »

L’encyclique précise notamment : « Les hommes ne sont pas moins soumis à l’autorité du Christ dans leur vie collective que dans leur vie privée. » Le P. Calmels remarquait déjà que “pas moins” ne signifie pas “de la même manière”. Certains personnalistes réductionnistes feignent aujourd’hui de ne pas le comprendre en suspectant les défenseurs de Pie XI d’être des zélotes ou des théocrates, confondant ordre spirituel et ordre temporel. Or les bons lecteurs de l’encyclique (qui savent la “décontextualiser” de son époque autant que possible sans tomber dans l’historicisme) ne nient nullement que le Royaume du Christ est un royaume eschatologique – « Mon Royaume n’est pas de ce monde. » – qui, par la foi, l’espérance et la charité, par la grâce, commence néanmoins dès ce monde, d’abord et librement en chacun de nous, comme l’a excellemment prêché saint Augustin.

Rien donc qui ne s’oppose à une saine conception de la vraie liberté religieuse rendant au for interne le respect qui lui est dû. Mais rien non plus qui ne s’oppose à ce que ce Royaume personnel, spirituel et intérieur, resplendisse aussi socialement par la médiation notamment de la loi naturelle sublimée par la loi d’amour des béatitudes, donnant au for externe un reflet convenable comme tremplin collectif (aussi raboteux soit-il) vers ce Royaume eschatologique. Un espace et un temps “ matière à grâce”, lit de camp temporel, comme écrivait Péguy. « Le Royaume de Dieu n’est pas une norme de l’action politique, mais une règle morale de cette action », expliquait autrement le cardinal Ratzinger. Rien n’échappe à la médiation de ce tremplin politique architectoniquement indépendant mais que tout dépasse en morale religieuse, comme la miséricorde à l’endroit de la justice. La Royauté universelle du Christ est ce qu’on appelle en philosophie une notion analogique : comme l’être, elle se dit différemment, de plusieurs façons, et non de manière univoque. Elle est eschatologique, cosmogonique, spirituelle et surnaturelle, temporelle et sociale… Rien n’échappe à cette royauté, comme le signifie sa fête liturgique qui renvoie à l’Epiphanie.

Si elle exclut tout messianisme ou millénarisme temporels ainsi que tout théocratisme justement condamnés par l’Eglise, la royauté sociale du Christ n’empêche pas cependant, au contraire, la confessionnalité possible des corps intermédiaires. « Une personne transformée collabore efficacement à la transformation de la société » (Jean-Paul II à Saragosse, le 10 octobre 1984). Et une société transformée coopère efficacement à la conversion des personnes : « De la forme donnée à la société, conforme ou non aux lois divines, dépend et découle le bien ou le mal des âmes » (Pie XII). C’est la parabole évangélique du terrain et de la semence étendue à la société. Les saints se font plus rares dans les “structures de péché” que dans une culture chrétienne ! Il y a donc un ordre réciproque à des niveaux différents (morale et politique, spirituel et temporel, surnaturel et naturel) qu’il faut bien distinguer pour ne pas les confondre mais mieux les associer. Imagine-t-on que plusieurs disciples de Jésus réunis en son Nom pour un bien commun temporel particulier puissent ne pas Le confesser publiquement dans cet ordre temporel au motif qu’il faut rendre exclusivement au César républicain ce qui est à César sans que lui-même rende à Dieu ce qui est à Dieu ? C’est le piège notamment de l’école sous-contrat qui contraint aujourd’hui un dénommé Enseignement catholique à être « catholique aconfessionnel », comme un véritable rond-carré, une contradiction dans les termes. Le laïcisme idéologique du communisme ne pousse-t-il pas cette logique liberticide jusqu’à interdire à Dieu d’entrer dans nos familles ?

S’il faut que Jésus règne (I Co XV, 25) dans nos cœurs, Il pourra et devra aussi régner librement, mais d’une autre manière, dans nos familles et nos autres sociétés civiles (écoles, communautés et entreprises diverses…), jusqu’à l’Etat lui-même. D’autant plus qu’il n’y a pas, à strictement parler, d’Etat aconfessionnel. Entre culte de l’homme et culte de Dieu, tout Etat est en vérité confessionnel, soit qu’il confonde les deux ordres spirituel et temporel (théocraties de l’antiquité ou de type musulman), soit qu’il subordonne le spirituel au temporel (Etats laïques ou athées), soit qu’il subordonne le temporel au spirituel (Etats chrétiens). La “peste” du laïcisme est un leurre moderne qui prétend séparer les deux ordres mais les confond au vrai en une nouvelle théocratie à l’envers : « Il faut rendre à César ce qui est à César et tout est à César » (Clemenceau). C’est la religion de l’Etat, de l’homme qui se fait Dieu.**

Benoît XVI l’a rappelé avec force dans son discours au Bundestag (22 septembre 2011) : « Contrairement aux grandes religions, le christianisme n’a jamais imposé à l’Etat et à la société un droit révélé, ni un règlement juridique découlant d’une révélation. » Il renvoie seulement à la nature et à la raison, à la loi naturelle donc, comme « vraies sources du droit ». Pas de “charia chrétienne”, comme dit l’abbé Gouyaud. Ni non plus de “DHSD” : de déclaration (chrétienne) de droits de l’homme sans Dieu ! La liberté religieuse pour tous n’est sans doute jamais le mieux ou le moins mal appliquée que dans un Etat authentiquement et confessionnellement chrétien, dans lequel la religion n’est pas sourde à la raison ni la raison sourde à la religion. Thibaud Collin précise bien cette spécificité proclamée par Benoît XVI : « Nous comprenons ainsi qu’une des modalités essentielles du règne du Christ sur la société est le respect de la loi naturelle par le gouvernement, le législateur et le peuple. Que devient une société qui refuse explicitement de rendre un culte public à Dieu, et par là de Le reconnaître comme le fondement ultime de toute autorité sociale et politique ? Cette société se coupe de sa source et plonge inéluctablement dans l’injustice systémique et le désordre » (L’Appel de Chartres de novembre 2025).

La doctrine du Christ-Roi, respectueuse de la liberté humaine, n’impose rien ni à la conscience personnelle ni aux sociétés qui conservent leur droit à une certaine immunité de contrainte. L’Eglise reconnaît l’autonomie, la consistance propre de la sphère civile et politique (qui n’est pas exactement l’ordre moral ni encore moins l’ordre eschatologique) par rapport à la sphère religieuse. Mais, avec la philosophie réaliste pérenne, elle affirme :

1- que cette autonomie ne dispense pas la soumission de la politique à une loi naturelle (morale) qui lui est supérieure et qu’elle ne peut ni modifier ni ignorer. En vertu du mandat surnaturel que lui a donné le Christ-Rédempteur, l’Eglise demande aussi à ce pouvoir politique :

2 – qu’il reconnaisse cette soumission naturelle qu’elle authentifie, éclaire ou confirme et qu’il lui laisse la liberté d’exercer son pouvoir spirituel au sein de la cité, sans hostilité, dans une union si possible d’intention et de coopération qui puisse aller jusqu’à la forme d’un Etat confessionnel. En écho au “salut des nations” dont parle l’Ecriture, c’est par métaphore le “baptême des nations” loué par Jean-Paul II. Quand la grande majorité des citoyens et leurs autorités deviennent chrétiens dans une unité d’ordre qui n’est pas celle, bien sûr, d’un tout substantiel mais d’un tout  accidentel (comme on dit en métaphysique) : unité féconde d’une nation qu’il est salutaire de préserver autant qu’on le peut, exhortait le saint pape polonais.

Comme le résume Jean Madiran dans son maître-livre La laïcité dans l’Eglise :

« Dans les temps de grande pénurie, l’Eglise fera avec le minimum : un pouvoir temporel qui soit respectueux au moins de la loi (morale) naturelle, sans omettre ce qui, dans les trois premiers commandements du Décalogue, relève de la droite raison (…). Sans ce minimum de la part de l’Etat, – et si clergé et laïcs catholiques ne s’accordent point alors pour constituer, en marge du pouvoir politique de fait, un pouvoir temporel du laïcat chrétien, – l’Eglise n’a plus la possibilité que de devenir peu à peu une Eglise du silence ou une Eglise des martyrs… »

A des élus politiques chrétiens du Val de Marne, Léon XIV, tout en cautionnant implicitement cet enseignement, n’a fait que les encourager en quelque sorte à exercer courageusement leur pouvoir propre d’élus baptisés dans les conditions d’absence de ce “minimum vital” de la part de l’Etat :

« Il n’y a pas d’un côté l’homme politique, de l’autre chrétien. Mais il y a l’homme politique qui, sous le regard de Dieu et de sa conscience, vit chrétiennement ses engagements et ses responsabilités ! Vous êtes donc appelés à vous fortifier dans la foi, à approfondir la doctrine – en particulier la doctrine sociale – que Jésus a enseigné au monde, et à la mettre en œuvre dans l’exercice de vos charges et dans la rédaction des lois. Ses fondements sont foncièrement en accord avec la nature humaine, la loi naturelle que tous peuvent reconnaître, même les non-chrétiens, même les non-croyants. Il ne faut donc pas craindre de la proposer et de la défendre avec conviction : elle est une doctrine de salut qui vise le bien de tout être humain, l’édification de sociétés pacifiques, harmonieuses, prospères et réconciliées.

« J’ai bien conscience que l’engagement ouvertement chrétien d’un responsable public n’est pas facile, particulièrement dans certaines sociétés occidentales où le Christ et son Eglise sont marginalisés, souvent ignorés, parfois ridiculisés. Je n’ignore pas non plus les pressions, les consignes de parti, les “colonisations idéologiques” pour reprendre une heureuse expression du Pape François, auxquelles les hommes politiques sont soumis. Il leur faut du courage de dire parfois “non, je ne peux pas !”, lorsque la vérité est en jeu. Là encore, seule l’union avec Jésus – Jésus crucifié ! – vous donnera ce courage de souffrir pour son nom. Il l’a dit à ses disciples : “Dans le monde, vous aurez à souffrir, mais gardez courage ! J’ai vaincu le monde” (Jn 16, 33).

Même si l’idéal d’un Etat confessionnellement catholique apparait aujourd’hui raisonnablement irréalisable, pour ne pas dire irréaliste, et s’il est opportun et judicieux – mais aussi de plus en plus inaudible malheureusement – d’insister sur la médiation de la loi naturelle, on n’explique pas pourquoi on devrait renoncer à son principe et à sa possibilité théorique autrefois défendus par l’Eglise. Pas plus qu’il n’est véritablement incompétent en matière morale, pourquoi l’Etat, aussi incapable d’être “neutre” philosophiquement que l’école publique, ne pourrait-il pas avoir une certaine compétence (certes relative) en matière religieuse dans ce respect de la distinction des ordres et des pouvoirs, le “moins” politique (selon son rang inférieur de fin intermédiaire) étant ordonné et devant contribuer au “plus” moral et religieux (porteur de sens ultime comme fin dernière) ? À commencer (négativement) par un refus autorisé de l’athéisme confessionnel d’Etat, historiquement et objectivement totalitaire (peste noire du nazisme ou peste rouge du communisme) ? Mais aussi, pourquoi pas, par le rejet justifié de cet autre totalitarisme sournois que constitue la dictature du relativisme avec son traitement étatique indifférencié des religions également respectés ou méprisés ? L’Etat (soi-disant) incompétent en matière religieuse le devient fatalement en matière de morale. Quand Dieu qui fonde la morale devient facultatif en politique, la morale finit par ne plus obliger, l’homme (l’Etat) se donnant sa propre loi « comme des dieux » (cf. Genèse), ainsi qu’on peut le constater de nos jours avec l’avortement, l’euthanasie, le transhumanisme…

Que ce discours sur la royauté sociale du Christ ne soit plus entendu aujourd’hui comme il convient, après des lustres révolutionnaires de laïcisme, d’individualisme et de libéralisme (et donc de déchristianisation), n’empêche pas qu’il soit vrai, fondé sur le magistère de l’Eglise. Dans sa cohérence percutante, il devrait être perçu par certains de nos évêques, à l’égard de ceux qui le maintiennent fidèlement, autrement que dans une caricature trop commode : « A force de traîner la nostalgie d’un Etat catholique, on perd notre énergie pour l’évangélisation. » (Mgr de Moulins-Beaufort). En tant que laïcs chargés du temporel, nous n’avons pas attendu ces clercs pour savoir que les pouvoirs publics, comme dit Denis Sureau, ne peuvent fonctionner sans une adhésion minimale des citoyens, sans un certain consensus social (qui n’est pas nécessairement synonyme d’élection) :

« S’emparer des rênes du pouvoir afin de proclamer ex abrupto la royauté sociale de Notre Seigneur Jésus-Christ est une chimère pour nostalgiques coupés de la vie concrète de la société civile. Il a fallu plusieurs siècles longs et douloureux pour que l’Empire romain devienne chrétien, par la conversion de Constantin. L’Eglise primitive a su, avec patience, réalisme et héroïsme, attendre le moment choisi par Dieu. »

A l’école de ces premiers chrétiens, nous croyons fermement à la vertu des “minorités créatives” (Benoît XVI). Et c’est aussi parce que nous adhérons à la “saine et légitime laïcité de l’Etat” (Pie XII) selon l’évangélique « Rendez à César ce qui est à César et à Dieu ce qui est à Dieu » que, pour respecter la deuxième partie de cet enseignement du Christ, nous refusons de passer à une malsaine et illégitime laïcité de l’Eglise. Quand, sous couvert d’aggiornamento et de mauvaise interprétation de la liberté religieuse, notre catholicisme devient de moins en moins confessionnel, sacrifiant un peu trop aux idoles progressistes, sécularistes et messianiques du temps, perdant pour le coup de son énergie pour la nouvelle évangélisation en omettant trop souvent de parler de rédemption, de vie éternelle, de salut des âmes, de l’espérance d’un salut. “Eglise par omission” (paradoxalement trop politisée ou sécularisée) « du fait que l’Eglise seule en détient les paroles et les sacrements [de ce salut], contrairement à ce qu’insinue ou proclame le Panthéon laïciste », comme l’exprime encore Madiran :

« Et s’il n’est pas actuellement possible – en effet ! – qu’un tel langage soit admis dans l’école publique ni à la télévision, du moins on voudrait qu’il ne cesse de se faire entendre dans les églises et dans les monastères, dans les écoles libres et dans les cercles d’études, dans le scoutisme et les autres associations catholiques. »

Viva Christo Rey !

Rémi Fontaine

* À commander : Fraternité Saint-Thomas Becket : 18 rue Gustave Marc 41 150 onzain. 6 euros + 3 euros de frais de port.

** Cf. La Laïcité dans tous ses débats, christianisme et laïcisme en dix cas d’école par Rémi Fontaine, éditions de Paris, 2004.

Partager cet article

Nous utilisons des cookies pour vous offrir la meilleure expérience en ligne. En acceptant, vous acceptez l'utilisation de cookies conformément à notre politique de confidentialité des cookies.

Paramètres de confidentialité sauvegardés !
Paramètres de confidentialité

Lorsque vous visitez un site Web, il peut stocker ou récupérer des informations sur votre navigateur, principalement sous la forme de cookies. Contrôlez vos services de cookies personnels ici.


Le Salon Beige a choisi de n'afficher uniquement de la publicité à des sites partenaires !

Refuser tous les services
Accepter tous les services