Gregor Puppinck, directeur du European Centre for Law and Justice (ECLJ), est interrogé par Russie info sur le voyage de la délégation emmenée par Mgr Aillet en avril dernier. Extraits :
"[…] S’agissant des droits de l’homme, il y en existe différentes conceptions. Si on prend, par exemple, le cas de l’avortement, il y a la conception libertaire qui place le curseur sur la liberté individuelle de la femme, et celle opposée qui place le curseur sur le respect de la vie et de la dignité humaine. Il ne faut pas croire que la position libertaire soit nécessairement la bonne. La vraie question est qu’il y a un véritable conflit socio-culturel qui traverse l’Europe et l’Occident, et la Russie est devenue l’un des pôles de ce conflit depuis qu’elle a entrepris de s’appuyer sur les valeurs fondamentales et chrétiennes pour restaurer la société russe.
La visite d’avril 2014 a avant tout été motivée par la volonté de Monseigneur Aillet, évêque de Bayonne, de développer des relations internationales dans les milieux de la défense de la famille. Les sujets évoqués portaient sur la prévention de l’avortement et du divorce, et la protection de la famille. L’avortement, le divorce, et l’alcoolisme étant des fléaux sociaux hérités du communisme. Nous souhaitions donc comprendre comment ce pays qui a subi l’athéisme, qui a été moralement, spirituellement et humainement ruiné, peut reconstruire sa société, et comment l’Eglise orthodoxe y contribue activement. Comment reconstruire une culture de vie et une culture familiale fondée sur le mariage ? Voilà ce qui nous intéresse, et savoir comment catholicisme et orthodoxie peuvent être plus unis en ce sens.
Russie Info : Justement, où en sont ces sujets de société en Russie ?
Gregor Puppinck : Le taux d’avortement a beaucoup baissé mais il est encore catastrophique : il y en a encore autant que de naissances. S’agissant de la gestation par autrui (GPA), c’est un sujet sensible en Russie car l’Eglise orthodoxe se rend compte que sa légalisation a été une erreur. Cette mesure avait été alors présentée et acceptée comme nataliste, or ce n’est pas le cas, la GPA est un commerce, et elle bénéficie surtout aux Occidentaux qui viennent chercher des enfants « pas chers » en Russie. C’est un commerce implanté avec des intérêts financiers substantiels. L’Eglise orthodoxe aimerait que les autorités civiles reviennent sur cette loi, mais elles ne semblent pas prêtes. Cela montre les limites politiques du pouvoir de l’Eglise envers le gouvernement.
S’agissant de l’homosexualité, il y a aussi une forte opposition entre les gouvernements et média occidentaux et « l’Europe orthodoxe ». Ce sujet a acquis une importance considérable dans les relations internationales. Globalement, il y a une opposition entre ceux qui défendent les droits et libertés des adultes homosexuels et qui souhaitent que les pratiques LGBT soient normalisées, en particulier dans l’esprit des jeunes générations, et ceux qui veulent au contraire protéger les enfants contre une sexualisation trop précoce et contre la prétention d’adultes à avoir un « droit à l’enfant ». C’est ce qui explique l’opposition en France à l’introduction de l’idéologie du genre à l’école et à certaines formes de procréation médicalement assistée (PMA) et d’adoption.
Sur ces questions de société, catholicisme et orthodoxie sont complètement unis. Le seul point de désaccord concerne le divorce, pour des motifs théologiques.
[…] Je pense que ce n’est qu’à travers le christianisme que l’Europe peut surmonter durablement les facteurs de division économiques, idéologiques et politiques. Le christianisme est la seule réalité métapolitique que nous possédions en commun, et toute l’histoire montre qu’il est bénéfique à la civilisation. D’ailleurs, la crise actuelle de l’Union européenne résulte largement de la perte de son projet chrétien initial au profit d’un modèle libéral individualiste. […]"