Philippe Darantière, président de l’association Notre Dame de Chrétienté, a conclu la journée de réflexion sur les défis du nouveau pontificat.
Pour clore cette journée de réflexion sur les défis du nouveau pontificat, je voudrais souligner que ces défis valent pour nous, fidèles laïcs attachés à la tradition liturgique et doctrinale de l’Église, mais constituent également des défis pour le nouveau souverain pontife.
Il y a 55 ans, en 1970, Jean Madiran adressait au Pape Paul VI une première lettre qui annonçait sa célèbre supplique au Saint-Père de 1972 : « Rendez-nous la sainte Écriture, le catéchisme et la messe. »
En quels termes pourrions-nous adresser aujourd’hui une supplique au Pape Léon XIV ?
En synthèse des travaux d’aujourd’hui, je proposerais cette humble supplique :

Premier défi : redonner sa place à la Tradition
Nous autres Français savons bien le mal qu’inculque dans une société le dénigrement de son passé et le mépris de son histoire. Depuis la Révolution, la France vit dans le rejet de tout ce qui évoque l’ancien régime : sa monarchie est raillée, ses anciennes institutions ignorées. Avant la Révolution, la France était dans les ténèbres ; pire, la France véritable n’a vu le jour qu’en 1789 ou même en 1793 avec la mort du Roi. Voilà la conviction dominante…
Un exemple récent nous en a été donné par le spectacle blasphématoire de l’inauguration des Jeux Olympiques de Paris, ou était mise en scène une parodie d’exécution de la Reine Marie-Antoinette.
Dans l’Église, depuis le concile Vatican II, le mépris de la tradition provoque la même fracture. “L’esprit du Concile” a forgé une ecclésiologie nouvelle, fondée sur le rejet de l’ecclésiologie traditionnelle.
Ainsi, un évêque m’écrivait au début de cette année pour inciter Notre-Dame de Chrétienté à adopter « la liturgie traditionnelle de Saint Paul VI » — visiblement, pour lui, la tradition de l’Église a commencé en 1969… Comme si l’Église avait dérivé depuis 2000 ans et que Vatican II l’avait rendue à sa pureté originelle.

C’est cette herméneutique de la rupture que le Pape Benoît XVI dénonçait.
Pourtant, le Concile Vatican II rappelle bien la permanence de la Tradition : le décret conciliaire Dei Verbum affirme l’autorité de la tradition comme source de la foi catholique avec l’Écriture sainte, en tant que transmission vivante de la tradition reçue des apôtres, accomplie dans l’Esprit Saint comme composante de la Révélation.
« Tradition et Écriture Sainte sont reliées et communiquent étroitement entre elles. Car toutes deux jaillissent d’une source divine identique » (DV).
Et ailleurs :
« La charge d’interpréter de façon authentique la Parole de Dieu, écrite ou transmise, a été confiée au seul Magistère vivant de l’Église, dont l’autorité s’exerce au nom de Jésus-Christ » (DV).
Aucune évolution dans l’enseignement de la foi n’est tolérable ; ce qui est révélé est immuable.
Hélas, le magistère récent a erré dans l’enseignement de la foi : Amoris laetitia, Fratelli tutti, Fiducia supplicans ou la déclaration d’Abu Dhabi…
Le premier défi du Pontificat est donc de restaurer l’amour de la Tradition, l’étude du Magistère constant, afin que ne soit enseigné que ce que l’Église a toujours enseigné.
Il y a urgence : depuis soixante ans, tant d’approximations ou même d’erreurs se sont glissées dans les enseignements des hommes d’Église que cette instabilité étouffe la vérité. Il sera de plus en plus difficile de discerner les conceptions fausses de la foi catholique sans une restauration courageuse de la Tradition.
Deuxième défi : retrouver les pédagogies traditionnelles de la foi
Quelles sont ces pédagogies ?
Sans prétendre à l’exhaustivité, je rappellerai trois enseignements traditionnels qu’il est urgent de restaurer.
- Jésus-Christ est la vérité

Pour avoir rappelé cela, Charlie Kirk a été assassiné le 10 septembre aux Etats-Unis frappé d’une mort brutale et choquante. Elle nous rappelle une première vérité : le but de notre vie est d’assurer le salut de notre âme.
C’est ce qu’enseigne le 1er principe des exercices de saint Ignace : « L’homme est créé pour louer, révérer et servir Dieu notre Seigneur, et pour sauver son âme ; et toutes choses sont créées pour l’homme et pour l’aider dans la poursuite de la fin pour laquelle il est créé. »
Malheureusement, l’Église hésite aujourd’hui à annoncer que le Christ est la seule vérité, depuis que le concile Vatican II a cessé de proclamer ce qui relève de la vérité et ce qui s’en écarte en renonçant à définir ce qui est anathème.
Pourtant, il s’agit d’une mission essentielle de l’Église depuis les temps apostoliques : « Mais quand nous-même, quand un ange du ciel annoncerait un autre Évangile que celui que nous avons prêché, qu’il soit anathème » dit Saint Paul (Galates 1,8).
Toute forme de tolérance, même seulement apparente, à l’égard de l’erreur ruine la foi catholique.
Le Christ l’enseigne lui-même (Saint Matthieu 5,37) : « Que votre parole soit oui, oui, non, non ; ce qu’on y ajoute vient du malin. »
Comment comprendre, dès lors, ces propos d’un évêque français, membre éminent de la Conférence des Evêques de France, sur l’euthanasie : « Chacun est libre de choisir sa mort ? Oui et non, car nous ne sommes pas tout seuls. »
Avec de tels propos, cet évêque ne risque certes pas de subir le sort de Charlie Kirk…
- Nous sommes faits pour le Ciel
Avec l’abandon de la prédication sur les fins dernières, c’est la prédication sur le péché qui s’est affadie, rendant inutile la prédication sur la pénitence.
« Les paroles les plus consolantes de la Bible ne signifient plus rien si la damnation n’est pas un risque réel », écrivait le Père Molinié (Le Courage d’avoir peur, 1975).
La miséricorde de Dieu, dont on fait aujourd’hui un tel absolu que le Pape François affirmait sa conviction que l’enfer est vide, ne peut se comprendre sans référence à la justice de Dieu.
Le Christ lui-même nous a enseigné ce que sera cette justice : « Liez-lui les mains et les pieds et jetez-le dehors, dans les ténèbres extérieures, là où il y aura des pleurs et des grincements de dents. » (Matthieu 22,14) ou encore : « Quant à mes ennemis, ceux qui n’ont pas voulu que je règne sur eux, amenez-les ici et égorgez-les devant moi » (Luc 19,24).
En Dieu, la miséricorde est indissociable de la justice. C’est pour satisfaire à la justice divine que le Christ s’est incarné et qu’Il est mort sur la croix. En accomplissant toute justice, le sacrifice de la croix nous ouvre le ciel. Rachetés par le Christ, notre vie n’a d’autre sens que de nous réunir à Lui. C’est la vérité qu’il faut annoncer à notre monde déboussolé.
- « Hors de l’Église, point de salut »
L’insistance conciliaire et postconciliaire sur la fraternité humaine universelle, sur le salut offert à ceux qui cherchent Dieu dans les autres religions, la conviction du pape François que la pluralité des religions est voulue par Dieu (Déclaration d’Abu Dhabi), affaiblissent le dogme du salut en Jésus-Christ et celui de l’institution divine de l’Église.
Nous voudrions entendre rappeler l’enseignement de saint Augustin : « Chacun de nous, en tant qu’issu de la race maudite, naît d’Adam méchant et charnel, et n’est bon et spirituel qu’à la condition de renaître et de croire en Jésus-Christ » (La Cité de Dieu).
Mais le Pape Léon XIV a cru devoir reprendre à son compte les intentions de prière d’octobre 2025 rédigées par son prédécesseur : « Prions pour que les croyants des différentes traditions religieuses travaillent ensemble afin de défendre et promouvoir la paix, la justice et la fraternité humaine. »

Or il n’y a pas de paix sans Jésus-Christ, car c’est Lui notre paix.
Il n’y a pas de fraternité humaine sans la charité théologale, qui est d’abord la vertu par laquelle nous aimons Dieu par-dessus tout et notre prochain comme nous-mêmes pour l’amour de Dieu.
A cet égard, la restauration de l’enseignement sur l’unique salut en Jésus-Christ devra clarifier les ambigüités du concile Vatican II sur la liberté religieuse, car il ne peut exister dans l’Eglise de contradiction dans son enseignement. Certes, des théologiens ont exploré cette question pour en donner une interprétation conforme à la Tradition. Mais il leur a fallu trente années pour expliciter dans un sens traditionnel cet enseignement conciliaire : c’est dire qu’il manquait de clarté…
Troisième défi : approfondir le mystère de la messe traditionnelle
Je ne développerai pas ce point qui mériterait à lui seul un colloque entier. Je soulignerai seulement deux points qui font obstacle à une authentique compréhension du mystère salvifique du sacrifice de la messe et de l’obligation dominicale d’assister à la messe :
- Il y a une contradiction doctrinale entre l’orientation du prêtre tourné vers le Seigneur et celle du président d’assemblée tourné vers le peuple.
- La messe anticipée du samedi tenant lieu d’eucharistie dominicale est en contradiction avec le précepte de sanctification du dimanche.
Ces deux points, parmi beaucoup d’autres concernant la théologie de la messe et sa traduction dans la liturgie, font partie des défis du nouveau pontificat.

Il est temps de conclure, d’autant que ce colloque organisé le premier samedi du mois ne doit pas servir d’excuse à une omission de notre communion réparatrice, en l’honneur de la Sainte Vierge Marie, surtout en ce 1er samedi du mois du Rosaire.
La crise que traverse l’Église résulte avant tout de son incapacité à affirmer avec force les grandes vérités qui fondent la foi catholique. Ce qui fait la splendeur de la vérité, c’est aussi la force de ceux qui la défendent. À l’heure où de nombreux convertis ou recommençants frappent à la porte de l’Église, les pédagogies traditionnelles de la foi et la liturgie traditionnelle, forme parfaite d’expression de cette foi, constituent les remèdes que nous proposons à cette crise de l’Église.
« Prenez courage, nous dit le Christ, j’ai vaincu le monde ».
Armons-nous de ce courage et prions pour qu’il soit donné en abondance à nos pasteurs et à notre Saint Père, le Pape Léon XIV.
Philippe Darantière, Président de Notre-Dame de Chrétienté
