Grégor Puppinck, directeur du Centre européen pour le droit et la justice (ECLJ), docteur en droit, expert auprès du Conseil de l’Europe, répond à l’Incorrect, au sujet du projet de constitutionnalisation de l’avortement formulé par le groupe communiste au Sénat le 3 avril dernier.
Mardi dernier, à l’assemblée, le groupe communiste au Sénat a souhaité débattre d’une éventuelle constitutionnalisation de l’avortement. Ce genre d’initiative risque-t-elle d’aboutir ?
Non, c’est de l’agit-prop et cela n’a heureusement aucune chance d’aboutir sur le terrain juridique ! C’est une initiative purement politique et symbolique. Suivant la bonne vieille dialectique marxiste, ces députés inventent une menace imaginaire – selon laquelle l’accès à l’IVG serait menacé en France – pour faire élever l’avortement au rang symbolique de droit fondamental à valeur constitutionnelle. Cela s’est déjà produit l’an dernier, lorsque le gouvernement socialiste a fait adopter un « délit d’entrave numérique ». Ce délit n’a, pour l’instant, jamais trouvé à s’appliquer, – preuve que la menace était imaginaire – mais l’agit-prop qui a entouré l’adoption de cette mesure a permis de renforcer l’idée d’un droit fondamental à l’avortement ; un droit qui recevra une consécration républicaine par la Panthéonisation prochaine de Simone Veil. Nous demeurons sur le terrain symbolique si cher aux francs-maçons.
Quel est l’objectif poursuivi ?
L’objectif des promoteurs du droit à l’avortement n’est pas féministe, mais proprement philosophique : il s’agit d’établir la primauté absolue de la volonté individuelle sur la vie humaine. Or, celle-ci est impliquée dans le fait de considérer l’avortement non plus comme une triste exception au droit à la vie (un mal nécessaire), mais comme une liberté individuelle, c’est-à-dire comme un bien en soi.
Cette primauté de la volonté individuelle sur la vie humaine est au fondement de toute l’idéologie matérialiste des Libres penseurs. Particulièrement développée au début du XXe siècle, c’est cette idéologie qui a engendré l’eugénisme, y compris nazi, et valorise aujourd’hui l’euthanasie, mais aussi un certain transhumanisme.
Quelle réponse adopter ?
À l’idéologie, il faut toujours opposer, non pas une autre idéologie, mais la réponse de l’expérience. L’expérience a déjà d’ailleurs répondu dans les ex-pays communistes qui ont légalisé l’avortement bien avant l’Europe occidentale. Aujourd’hui, tous ces pays cherchent à se libérer de la culture du mépris matérialiste de la vie humaine. Ils cherchent à revaloriser la maternité et la vie humaine. C’est le cas notamment de la Russie, la Pologne, la Macédoine, la Croatie, la Hongrie, ou encore la Slovaquie. Mais c’est aussi le cas maintenant des États-Unis dont le peuple serait à présent majoritairement « pro-life ». L’expérience humaine enseigne que l’être humain est un « tout unifié ». Notre développement et notre bonheur reposent sur l’harmonie de notre corps et de notre esprit, et non pas leur séparation, voire leur opposition. Opposer l’esprit et le corps humains –comme le font l’avortement et l’euthanasie- est destructeur de l’homme. Il est donc souhaitable de libérer la parole des personnes qui ont fait, d’une manière ou d’une autre, l’expérience de l’avortement. Cela montrera ce que tout le monde sait déjà, à savoir que l’avortement porte atteinte à « l’enfant » mais aussi à la « mère », et qu’il est plus humain de mener une politique de prévention de l’avortement que de promotion de cette fausse liberté.
Au-delà de l’expérience, la meilleure réponse à cette idéologie, c’est la beauté de l’humanité qui apparaît avec puissance à chaque fois que nous voyons une personne épanouie et harmonieuse, telle une femme enceinte aimée de son époux ; car c’est cette harmonie qui est source de vie et qui est proprement humaine. In fine, la réponse consiste donc à œuvrer à préserver l’unité des personnes dans leurs dimensions biologique, psychique, spirituelle et sociale, et au-delà à rechercher l’harmonie de l’être humain avec son environnement.
Quelles leçons peut-on en tirer ?
En France, l’avortement est un dogme philosophique particulièrement ancré ; peut-être faudra-il, pour cette raison, plus de temps pour que l’expérience l’emporte sur l’idéologie. Mais déjà, cette idéologie se sent menacée et essaie de se défendre. Elle le fait en élevant symboliquement l’avortement au rang de valeur fondamentale de la République, en cherchant vainement à en « normaliser » la pratique, et en réduisant la liberté de ses contradicteurs, en particulier leurs libertés d’expression et de conscience. Les promoteurs de l’avortement sont déjà engagés dans l’impasse de la répression de leurs contradicteurs, preuve supplémentaire que leur idéologie est mauvaise en elle-même. Elle est aussi laide. A cette laideur, une réponse proprement humaine consiste à opposer la beauté de la vie.