Le point de vue de Bérénice Levet, docteur en philosophie et professeur de philosophie à l'Ecole Polytechnique et au Centre Sèvres pour le FigaroVox. (Son dernier livre «La théorie du genre, ou le monde rêvé des anges» a été publié chez Grasset (Novembre 2014, 202 p., 18 €).)
"Cette Journée des droits des femmes n'a plus aucun sens.
Et s'il reste des poches de non-droit pour les femmes dans nos sociétés, voire du patriarcat, il est d'importation.[…] Cette requalification de la Journée internationale de la femme en Journée des droits des femmes est extrêmement fallacieuse car ce n'est plus l'égalité des droits qui est poursuivie par le féminisme contemporain mais l'interchangeabilité des êtres.
Ce féminisme se nourrit d'une confusion sémantique entre égalité, différence et discrimination. Ce qui donne un semblant de légitimité à cette journée dans nos pays, ce n'est pas l'expérience, ce sont des statistiques, des chiffres. Et pourtant, les femmes accèdent toujours plus aux postes de direction.[…]
Les femmes, aujourd'hui, et leurs ministres de tutelle successifs semblent n'avoir qu'une aspiration pour elles, leur parfaite intégration à la vie économique. Toutes se rallient comme un seul homme au triomphe de l'économie. Rien ne doit entraver leur destin de working woman… et elles pressent les politiques de prendre les mesures adéquates. Les femmes se sont fondues dans le moule d'«Homo economicus» avec une docilité tout à fait désolante.[…]
La Journée de la femme, en outre, est une journée d'intimidation. Quelle femme moderne, émancipée, oserait annoncer qu'elle suspend momentanément son activité pour élever son enfant? Sans militer pour le retour de la femme au foyer, s'interroge-t-on sur le sens qu'il y a à donner la vie à des enfants et à ne leur accorder -que dis-je, à ne leur concéder- que quelques heures dans un emploi du temps surchargé? Introduire des enfants dans le monde, au sens fort, c'est-à-dire, dans une langue, dans une histoire, dans des manières d'être, suppose de prendre le temps de le leur transmettre. Le résultat est là: l'école se voit chargée et de l'instruction et de l'éducation. Et l'on s'étonne de son échec? On aurait pu imaginer un féminisme plus audacieux, résolu à faire contrepoids à cette réduction de la vie au cycle production-consommation.
Enfin, le moindre hommage à la femme est assimilé à un outrage, une offense, bref, à un «viol». Du regard de l'homme qui, sensible à la féminité, se retourne sur une passante, des quelques mots qu'elle inspire aux attouchements dont d'autres se rendront coupables, tout se retrouve mêlé. Complaisance victimaire et ressentiment envers les hommes contre lequel pourtant Virginia Woolf mettait en garde dans Une chambre à soi, n'ont cessé de s'exacerber. Le sel de l'humour qui a nourri les relations entre les sexes est en train de disparaître. Tout cela s'achève par des calculs sordides au sein de la famille: la répartition des tâches domestiques est pesée au trébuchet du fifty-fifty."
Il va de soi que cette analyse s'applique à la femme européenne, "émancipée". Le paradoxe est que c'est cette femme-là qui en réclame le plus lors de la fameuse "journée de la femme", alors que toutes celles qui auraient de vraies raisons de revendiquer plus d'autonomie et de libertés, celles-là, leur voix est soigneusement étouffée … sous une prison de toile.