Le 18 novembre dernier le général Fabien Mandon, Chef d’Etat Major des Armées, s’adressait au Congrès des maires de France. La presse s’est émue des accents bellicistes de l’orateur appelant à « accepter de perdre ses enfants […] pour protéger ce que l’on est ». Emoi général dans l’opinion et le Landerneau médiatique qui la façonne. Si la mobilisation n’est pas la guerre, cette brève intervention mérite cependant que l’on s’y attarde.
Bientôt la guerre ?
Dès le début le cadre est posé : « La Russie aujourd’hui, je le sais par les éléments auxquels j’ai accès, se prépare à une confrontation à l’horizon 2030 avec nos pays ». Nous n’en saurons pas plus sur ces éléments dont dispose le CEMA et qu’ignore le commun des mortels. On peut cependant s’interroger sur la crédibilité d’une menace qui verrait une Russie de 146 millions d’habitants et ne parvenant pas à venir à bout d’une Ukraine de 33 millions d’habitants, armée équipée, entraînée et financée par un Occident de 600 millions d’habitants, s’attaquer à une Union Européenne de 450 millions d’habitants. Après avoir observé la chance – autrefois on disait de l’honneur – qu’il a de commander nos Armées, le général Mandon nous fait partager quelques affirmations, certaines évidentes, d’autres plus discutables :

- les USA se dégagent de l’Europe. Ce n’est pas un scoop ;
- la puissance militaire chinoise croît. Ce n’est pas non plus une révélation ;
- il existe un conflit militaire entre l’Ukraine et la Russie. Ce constat est assez partagé ;
- des « groupes terroristes » déstabilisent l’Afrique. S’il est question de Daesh et de djihadistes, le mot Islam n’est jamais prononcé. Etrange omission ;
- la paix est menacée au Moyen-Orient et en Europe alors que « Nous sommes forts. Nous sommes fondamentalement forts » en face du « danger posé par la Russie ». Malheureusement aucun élément précis ni aucune information déterminante ne viennent étayer cette affirmation péremptoire qui rappelle la tristement célèbre formule de Paul Reynaud en septembre 1939 : « Nous vaincrons parce que nous sommes les plus forts ». On connaît la suite ;
- l’Europe serait surtout forte de sa puissance industrielle et de ses effectifs militaires : « 1,4 millions d’hommes et de femmes », face à une armée russe de 1,5 millions d’hommes dont entre 600 et 800 000 déployés sur le front ukrainien.
La force d’âme
Ces constats posés l’orateur pointe cependant ce qui nous manque : « La force d’âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l’on est ». Le fait que cette martiale déclaration soit faite par un militaire plutôt que par un responsable politique est, en soi, déconcertante. En effet, la « force d’âme » d’un peuple est de la responsabilité du personnel politique et non d’un chef d’Etat-major payé pour organiser et mener les armées, non pour galvaniser la population.
Si l’on se réfère au célèbre triptyque clausewitzien, les forces morales reposent sur trois éléments :
- le pouvoir politique qui fixe les raisons et les buts de guerre,
- le peuple qui adhère au projet politique et soutient son armée,
- l’armée qui est l’incarnation de la volonté de la nation.
Si l’affirmation du général Mandon est fondamentalement juste :
« La force de la cité ne repose ni dans ses remparts ni dans ses vaisseaux mais dans le caractère de ses citoyens » (Thucydide)
de nombreuses interrogations restent néanmoins en suspens : qu’est-ce que la force d’âme ? Quels en sont les ressorts ? Comment se cultive-t-elle ? et accessoirement : qui sommes-nous ? Qu’est-ce qu’être français ? Que défendons-nous ?
Personne de raisonnable ne se hasardera à affirmer qu’il existe un consensus national sur la réponse à apporter à ces questions et c’est là précisément le sujet qui devrait concerner au premier chef nos responsables.
Engagez-vous. Rengagez-vous.
En appelant à l’engagement de tous le général Mandon martèle : « La France est souveraine, elle veut garder la maîtrise de son destin ». Cependant, n’est plus souverain un pays :

- dont 80% des lois votées sont de simples retranscriptions de directives européennes,
- qui n’a plus la maîtrise de sa monnaie,
- dont le montant de sa dette le met à la merci de ses créanciers selon la formule connue : « Il y a deux moyens d’asservir un peuple : la guerre et la dette » (Thomas Jefferson),
- impuissant à entraver l’arrivée sur son territoire de populations qui n’y ont pas été conviées. Désormais 19 millions de personnes sont issues de ces déplacements de population,
- incapable d’obtenir des pays d’origine (au premier rang desquels l’Algérie) qu’ils récupèrent leurs ressortissants, délinquants, frappés d’une Obligation de Quitter le Territoire Français.
Les récentes palinodies d’Emmanuel Macron à propos de l’accord de l’UE avec le Mercosur sont la tragique manifestation de cette réalité : la France n’est plus un Etat souverain.
In fine, prenant son courage à deux mains notre orateur désigne enfin un ennemi précis : « Ceux qui déposent des têtes de cochon coupées devant des mosquées ». Voilà une appréciation toute personnelle des menaces qui nous guettent qui a dû stupéfier les maires présents plutôt confrontés aux émeutes ethniques, aux incivilités récurrentes voire aux meurtres dans les fêtes de village comme à Crépol.
Fondamentalement plusieurs remarques méritent d’être faites :
1- Le général Mandon appelle au sacrifice de nos vies, mais pour quelle guerre ? La guerre avec la Russie est une menace créée de toutes pièces par nos dirigeants par la faute de notre engagement massif auprès des Ukrainiens dans une guerre qui ne nous concernait en rien, ou notre intérêt national n’était pas engagé. Ils ont fait de la Russie notre ennemie pour des raisons où s’entremêlent l’idéologie mondialiste, le romantisme nationalitaire, les considérations de politique intérieure, la soumission aux intérêts américains, la bêtise et l’irréflexion, et maintenant ces matamores font appel au patriotisme pour que nous mourrions dans un projet que nous désapprouvons. Leur idéologie, ils l’appellent la patrie. C’est exactement le tour de passe-passe que dénonçait Jean de Viguerie dans son livre Les deux patries.
2- Quelle menace existentielle pèse sur la France ? Le grand remplacement et l’islamisation. Toute désignation d’un ennemi lointain est un artifice pour ne pas s’attaquer à l’ennemi réel et se gorger de mots pour masquer sa capitulation

3- Ce qui nous menace, c’est notre appartenance à l’Otan dont, rappelons-le, les frontières ont été déplacées de 1 500 kms vers l’Est depuis la chute du mur de Berlin. Il est peu vraisemblable que Poutine veuille retrouver les frontières de l’URSS, certains pays de l’ex-bloc soviétique faisant désormais partie de l’Otan. Cette prétention serait regrettable, comme l’invasion de Chypre ou du Haut Karabakh par les Turcs et les Azéris. Cela ne toucherait cependant en rien nos intérêts vitaux (pas plus que l’invasion de Taiwan par la Chine). Le drame est qu’une invasion des Pays Baltes, follement accueillis dans l’Otan, nous emmènerait, par le jeu des alliances, à une guerre mondiale. Le problème est là, et le risque est de reproduire le précédent de 1914 en singeant celui de 1938. Il faut d’urgence sortir de l’Otan dont la légitimité originelle était de protéger l’Europe occidentale d’une très réelle menace d’invasion russe.
4- La formulation de Mandon est choquante. Il ne nous appelle pas à nous sacrifier mais à sacrifier nos enfants. On se croirait à Carthage. C’est qu’il ne s’adresse pas à ceux qui vont faire la guerre, mais aux boomers qui forment la base électorale d’Emmanuel Macron. Ils appellent cette guerre de leurs vœux mais ils savent qu’ils ne la feront pas eux-mêmes. On leur demande seulement de fermer les yeux sur le sacrifice de la génération suivante. A Athènes l’assemblée votait des guerres idiotes certes, mais ceux qui votaient savaient qu’ils devraient ensuite guerroyer. Là, c’est comme les impôts : les gens consentent à des impôts qu’ils ne paieront pas eux-mêmes.

5- Le général Mandon n’a connu que la guerre dissymétrique. Ses missions de guerre se sont déroulées au Tchad et au Congo. La lutte depuis un Rafale contre des soldats en sandales et kalashnikovs doit, certes, laisser un goût de toute puissance mais elle n’a rien à voir avec un conflit de haute intensité qui a déjà provoqué 149 000 morts russes (250 par jour en novembre 2025), et environ 172 000 ukrainiens (en ce moment 250 par jour également). (cf sites zonia.media/ casualties et ualosses.org).
6- Il y a quelque chose de pathétique dans cet appel à la force d’âme d’un peuple alors que depuis des décennies tout est entrepris par les pouvoirs publics pour détruire ce qui constitue l’âme de ce peuple : une histoire partagée, une fierté revendiquée, la conviction d’un destin commun. Au sommet de l’institution militaire et néanmoins sous les ordres du président de la République, chef des Armées, le général Mandon a la responsabilité d’une institution dont les maîtres mots sont : Honneur, Patrie, Valeur, Discipline, Fidélité, Courage, Sacrifice, etc. La culture woke, aujourd’hui prédominante, et dont la cérémonie d’ouverture des JO fut en quelque sorte la vitrine, est aux antipodes de ces mots d’ordre. D’ailleurs si devait se lever une génération de vrais guerriers, ne seraient-ils pas immédiatement accusés de cultiver une « masculinité toxique ».
Un objectif de politique intérieure
Tout semble indiquer que l’intervention, sur ordre, du général Mandon a pour principal objectif de contribuer au sentiment d’anxiété de la population française et de renforcer le rôle du Président mis à mal en politique intérieure : « Nous avons besoin d’un Président fort, toute opposition est irresponsable et anti patriotique ! »
Enfin si la victoire qui se dessine pour la Russie est acceptable pour Trump (qui explique qu’Obama et Biden sont responsables de ce fiasco), elle est inacceptable pour les Européens car les renvoyant à l’échec de leur pseudo fédéralisme face à un Etat nation dirigé par un homme qui, lui, fera l’histoire. Les succès de Poutine sont une catastrophe morale et politique pour Von der Leyen, Macron, Merz, Starmer, etc. car ils sont le triomphe d’une volonté politique et nationale, voire impériale contre la morale woke et un désastre financier au coût annuel de 140 milliards de dollars que l’Europe devra bientôt assumer seule, nonobstant les rodomontades du général Mandon.

La fin de l’histoire n’est pas pour aujourd’hui !

