Un des neuf juges de la Cour suprême américaine, Sandra Day O’Connor, a annoncé hier sa démission, à la surprise générale. Chacun s’attendait plutôt à ce que le président de la cour, William Rehnquist, gravement malade, annonce la sienne.
Le remplaçant de O’Connor devra être désigné par Bush et approuvé par le Sénat. On annonce à cette occasion une "bataille homérique" entre la gauche et la droite :
D’abord, parce que la Cour suprême s’est, au fil des ans et sous prétexte d’interprétation de la Constitution, arrogé un pouvoir exorbitant, au détriment des états et du législatif fédéral. Un peu comme si le Conseil constitutionnel, et non le parlement, avait décidé en France d’abolir la peine de mort ou de légaliser l’avortement. Comme cette instance ne compte que neuf membres et qu’ils sont nommés à vie, toute désignation prend une importance politique énorme.
Ensuite parce que O’Connor faisait partie des trois voix de centre-gauche qui font basculer la majorité dans un sens ou dans l’autre (trois autres juges sont conservateurs, et trois de gauche.) Alignée sur la gauche sur les questions de société, dont l’avortement, elle était atypique dans d’autres domaines (les droits des états vis-à-vis des instances fédérales.) Son remplacement par un conservateur pourrait faire évoluer les décisions de la cour sur plusieurs questions (par exemple la séparation du public et du religieux.) Le remplacement de Rehnquist par un autre conservateur n’aurait pas fait évoluer cet équilibre.
Enfin, bien que les Républicains soient majoritaires au Sénat, le candidat désigné par Bush devra subir de longues auditions publiques en commission et pourra être bloqué si tous les Démocrates s’opposent à son approbation.
Toutefois, il faut relativiser la portée de la bataille qui s’annonce :
– D’abord, seuls les trois juges conservateurs voteraient aujourd’hui pour renverser le crucial arrêt Roe sur l’avortement. Le remplacement de O’Connor par un conservateur ne suffirait pas à rendre aux états leur droit de légiférer sur le sujet.
– Ensuite, un candidat ouvertement conservateur, ou anti-Roe, aurait beaucoup de mal à se faire approuver par le Sénat. Il est possible que Bush désigne un juge de centre-gauche, qui renforcera le statu quo en matière d’avortement et de séparation du public et du religieux.
Ce ne serait pas le premier président conservateur à se résigner à faire de ce point de vue le jeu de la gauche : sur les cinq juges qui avaient voté pour interdire une représentation des Dix Commandements dans un tribunal, trois avaient été nommés par des présidents républicains.