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Culture

Crise de civilisation : la modernité nous enferme dans une impasse

Crise de civilisation : la modernité nous enferme dans une impasse

Préface de Michel De Jaeghere de l’ouvrage Quand la mer se retire sur la tragédie de l’Eglise au XXIe siècle publié par Jean-Pierre Maugendre et qui rassemble des textes des presque vingt années passées sous les pontificats des papes Benoît XVI et François :

Quand la mer se retire, on a d’abord le cœur serré à la vue du grand vide qu’elle a laissé derrière elle. Les plus optimistes se rassurent devant les quelques flaques qui se sont formées ici et là sur la grève. Ils font cercle autour d’elles, mains levées, en chantant. Les pessimistes observent le sable mouillé comme une étendue désertique, à jamais abandonné par la vie. Ils jugent que tout est perdu sans retour. D’autres estiment qu’il faut s’adapter aux nouvelles conditions climatiques sans absurde nostalgie d’un passé révolu. Faire une opportunité de la sécheresse. D’autres encore placent leur espérance dans un retour qu’ils jugent inéluctable, et qu’il s’agit de préparer en repoussant la triple tentation de la résignation, de l’aveuglement et du désespoir. Jean-Pierre Maugendre est de cette dernière race.

Président de Renaissance catholique, une association dédiée à la promotion du règne social du Christ, il commente depuis de nombreuses années, à ce titre, l’actualité politique et religieuse. Il a réuni ici quelques-unes des chroniques et des tribunes qu’il lui a consacrées, entre 2005 et 2024 : depuis l’élection du cardinal Ratzinger sur le siège de Pierre jusqu’au synode sur la synodalité du pape François. Le recueil fait défiler sous nos yeux vingt ans de la vie de la France et de l’Eglise, et c’est peu dire que l’auteur jette sur eux un regard critique : qu’il traite du quinquennat de Nicolas Sarkozy ou de de ceux d’Emmanuel Macron, du pontificat de Benoît XVI ou de la Révolution ecclésiastique en cours, le spectacle qu’il fait défiler sous nos yeux est celui d’un double effondrement de l’Eglise et de l’Etat.  C’est ici le scandale suscité par le discours par lequel Benoît XVI avait prêché, à Ratisbonne, en 2006, pour la réconciliation entre foi et raison en pointant le divorce que provoquait entre eux l’islam ; ce sont là les motu proprios contradictoires consacrés à la liberté de la messe grégorienne par le pape Ratzinger et par son successeur. Au spectacle d’une Eglise ébranlée par l’immense scandale de la pédophilie, peu sûre de sa doctrine et abjurant sa propre liturgie, répond celui d’un Etat qui a abdiqué sa souveraineté et démantelé ses frontières, et s’échine à masquer son impuissance en rejetant sur les générations à venir le règlement des drames dont il a laissé prospérer les prémisses en les cachant sous le tapis. Parfois, les deux décadences se conjuguent, lorsque la hiérarchie catholique participe au désarmement de l’Etat en stigmatisant toute politique restrictive de la marée migratoire qui déferle sur l’Europe, ou quand l’Etat croit pouvoir lutter contre la menace de l’islamisme conquérant en promouvant la déchristianisation de la France au nom d’une laïcité dont il veut croire qu’elle permettra de « vivre ensemble » à deux peuples sur le même sol, alors même qu’elle consiste à priver le pays de la source vive de son identité et de son héritage. Passent, au fond du tableau, politiciens imbus de faux principes et prélats résignés à trahir les devoirs de leur charge.

Le livre de Jean-Pierre Maugendre n’a rien pourtant d’un recueil de lamentations. Il y signale parfois quelques « divines surprises » propres à nourrir notre espérance, comme la réhabilitation de la messe de Saint Pie V par Benoît XVI, ou l’immense mobilisation de la jeunesse à l’occasion de la Manif pour tous.  Il y fait apparaitre quelques figures qui s’élèvent au-dessus de la tourbe des évènements comme des phares : Jean Madiran, Hélie de Saint Marc, le docteur Xavier Dor. Il ouvre, plus encore, d’utiles pistes de réflexion sur les limites de l’obéissance catholique, ou sur la conciliation de la prudence politique avec la proclamation de la vérité. Il rejette, toujours, la naïveté comme une forme supérieure de la lâcheté ou du cynisme.

Mais en signalant les impasses dans lesquelles la modernité nous enferme, Jean-Pierre Maugendre a surtout le mérite de montrer que ce à quoi nous assistons, c’est en réalité à une crise de civilisation nourrie par la fin de la prédication des fins dernières, l’inflation continue des droits de la personne, le triomphe de la pensée 68 et sa métamorphose en wokisme. A ce délabrement des fondements de l’Eglise et de la cité, il pense vain de se contenter d’opposer des espérances électorales, un simple changement de personnel politique et ecclésial. Il lui parait bien plutôt nécessaire de préparer une Réforme intellectuelle et morale. Quand l’Eglise de Dieu semble tentée de cesser de prêcher aux hommes qu’il n’est d’autre salut qu’en Jésus Christ, d’autre voie que la Croix, quand un pays forgé par le christianisme croit se grandir par la constitutionnalisation de l’avortement et la proclamation du droit au Blasphème, on ne peut se contenter de faire la chronique résignée du grand déclassement. Il faut reprendre les principes qui ont fait la grandeur de la civilisation chrétienne, et s’interroger sur les conditions dans lesquelles ils pourraient être revitalisés, mis à l’honneur et en pratique. C’est à quoi ce livre précieux nous invite. En analysant quelques-uns des épisodes-clés de notre plus récent passé, il nous appelle à préparer, sur des bases autrement plus solides que les mots d’ordre d’un facile électoralisme, notre avenir.

Michel De Jaeghere

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