De notre envoyé spécial Antoine Bordier
En Arménie, ce petit confetti de moins de 3 millions d’habitants situé entre la Turquie à l’ouest, l’Azerbaïdjan à l’est, la Géorgie au nord et l’Iran au sud, a été fondée la première cathédrale du monde. Pour la voir, il faut se rendre à Saint Etchmiadzin, c’est là où vivent une centaine de moines et Sa Sainteté Karekine II. Reportage.
En voiture, de la capitale Erevan, il faut une vingtaine de minutes pour se rendre dans ce petit « Vatican » de l’Eglise apostolique arménienne. L’Arménie est, aujourd’hui, composée de 90% de chrétiens apostoliques, de 7% de chrétiens catholiques et de 3% de chrétiens protestants et évangéliques. En arrivant, le panorama invite à l’évasion et à la méditation. Le mont Ararat se fait de plus en plus proche. Il domine majestueusement l’horizon. Le ciel est bleu, et, quelques nuages blancs tutoient son sommet qui culmine à 5 137 m. La tradition chrétienne et la Bible lui ont donné ses lettres de noblesses : « Au dix-septième jour du mois, l’arche [de Noé] s’arrêta sur les monts d’Ararat ». La genèse décrit plusieurs « monts ». Car, il y a, en effet, deux monts. Si le premier est, nettement, visible, le plus haut est entouré d’une couronne de nuages. La ville qui sert d’écrin à la Mère-Siège de Saint Etchmiadzin (l’équivalent du Saint-Siège au Vatican) s’appelle officiellement Vagharchapat.
« La première cathédrale au monde »
Le père Garegin Hambarsumyan, de sa cellule (c’est un moine), voit tous les matins la cathédrale, qui est en pleine restauration. Interdite au public, les travaux devraient se terminer en 2022.
« Ici, explique le père, nous sommes des héritiers de générations et de générations de croyants qui nous ont précédés. L’Arménie est la première nation à être devenue chrétienne en 301. Elle a été évangélisée par les apôtres Thaddée et Bartholomé. Il faut attendre la fin du 3è siècle pour que le futur Saint Grégoire l’Illuminateur obtienne la conversion du roi Tiridate III, et, celle de tout un peuple. »
L’histoire semble simple à raconter, mais Grégoire est passé par les tribulations de la persécution, l’enfermement pendant 14 ans dans une fosse profonde (NDLR : elle est visible à Khor Virap). Avant lui, il y a eu d’autres martyrs. Dans la foulée, il fait construire la cathédrale. Et, il devient le premier patriarche d’Arménie. Le père Garegin évoque les tribulations du peuple arménien devenu chrétien. A travers les siècles, et, ce jusqu’à aujourd’hui, il explique que les guerres, les persécutions des Perses, des Turcs, le génocide de 1915, et, la dernière guerre dans le Haut-Karabakh n’ont pas eu raison de sa foi. Dans le monde, explique-t-il,
« il y a un peu plus de 1 000 prêtres apostoliques arméniens. Parmi eux, il y a des prêtres célibataires et des prêtres mariés. Ici, dans le monastère de Saint Etchmiadzin, il y a une cinquantaine de moines, des évêques, des prêtres, des diacres. Il faut rajouter une centaine de personnes qui viennent y travailler. »
La Bonne Nouvelle et le pouvoir temporel
Dans la Cité Sainte, ce samedi 20 mars, des familles se sont données rendez-vous pour vivre un moment important. Elles viennent baptiser leur nouveau-né, tout de blanc vêtu. Les célébrations ont lieu dans la petite église située a proximité de la cathédrale. A l’intérieur de la petite église le baptême est célébré debout. Pour le père Garegin, la célébration des sacrements est très importante.
« Les sacrements nous permettent d’annoncer et de vivre de la Bonne Nouvelle. Jésus-Christ a donné Sa vie pour que nous ayons la vie, la vie éternelle. Le baptême nous plonge dans cette Bonne Nouvelle. Nous devons proclamer l’Amour de Dieu pour les hommes à travers les sacrements, mais, aussi, à travers nos activités les plus simples. Les valeurs chrétiennes, l’amour et la spiritualité, doivent nous aider à élever notre vie de tous les jours. L’Eglise et la vie chrétienne nous permettent de connecter notre vie terrestre avec notre vie céleste, qui commence dès ici-bas. »
En ces temps difficiles pour l’Arménie, qui sort d’une guerre et a connu, fin 2020, la défaite contre l’Azerbaïdjan et ses alliés, lors du dernier conflit pour le Haut-Karabakh, Sa Sainteté Karekine II s’est adressée au Premier ministre Nikol Pachinian et lui a demandé « de démissionner ». La République d’Arménie étant un état laïque, si la séparation des pouvoirs y est bien constitutionnelle et réelle, il n’empêche qu’en réitérant sa demande de démission, Karekine II joue de son influence. Il soutient officiellement les 17 partis de la coalition qui fait pression pour l’organisation de nouvelles élections.
A 100% dans sa vocation
Le père ne fait pas de politique. A 35 ans, il a, déjà, derrière-lui, près de 20 ans de sa vie consacrée à Dieu. Il semble heureux dans sa vocation, et, dans ses multiples activités. Il a travaillé au sein de la Chancellerie de la Mère-Siège. Entre 2010 et 2015, il vivait en Angleterre, à Oxford, où il a obtenu son Doctorat en Théologie. Il s’occupait de la communauté arménienne de Manchester. En 2009, il a été ordonné prêtre. Il explique sa vocation simplement.
« J’ai reçu la vocation à l’adolescence. Et, c’était pour moi un engagement naturel. Je n’ai pas reçu d’appel ou de lumières particulières me montrant que Dieu m’appelait. Je me souviens que j’aimais beaucoup la liturgie. Elle est vraiment belle. Quand vous plongez dans l’histoire de la chrétienté, et, que vous comprenez que vous êtes un héritier, vous voulez en faire partie. Si je naissais 10 fois de suite, je pense que je voudrais devenir un prêtre arménien. »
A 16 ans, il rentre au séminaire de St Etchmiadzin, et, il est ordonné à l’âge de 23 ans. Il fait partie des plus jeunes. Quand il rentre en Arménie, il devient le doyen du séminaire. Puis, il dirige le département des missions pour l’Arménie, et, s’occupe des communautés qui n’ont pas de prêtres. Aujourd’hui, il dirige le département des missions pour l’Arménie, et, s’occupe des communautés qui n’ont pas de prêtres. Il se souvient du temps où il était difficile de pratiquer sa foi. Il évoque la période sombre des 70 ans de communisme, à l’ère soviétique.
« Ce sont surtout les générations de nos parents et de nos grands-parents qui ont souffert du communisme. Depuis la chute de l’ex-URSS, la chrétienté était tellement enracinée dans la vie des Arméniens, que cela a été très facile de revenir à notre héritage. »
Sous les bombes
Nous évoquons la guerre dans le Haut-Karabakh. Début octobre 2020, le père était à Chouchi, sous les bombes des drones turcs.
« J’étais avec un autre prêtre, et, nous nous sommes mis à l’abri dans une cave. Il y avait, aussi, des enfants. Nous avons cru que notre dernière heure était arrivée. »
Avant que la cathédrale de Chouchi se fasse bombardée, il avait pu s’y rendre rapidement pour prier. Il a vu des morts, des blessés, des familles déchirées, des enfants dans les rues, dans la poussière, sans vie. Pendant ces 44 jours de guerre, de chaque côté, plusieurs milliers de morts sont à déplorer. Dans toute l’Arménie, les cimetières se sont remplis de nouvelles tombes.
« La plupart des morts sont des jeunes appelés. Toute l’Arménie est touchée. Ces jeunes sont des héros. Ils ont voulu protéger l’Artsakh (NDLR : République auto-proclamée, qui n’est pas reconnue internationalement). Notre vœu le plus cher est son auto-détermination, afin qu’elle gagne, finalement, son indépendance. »
Le père parle doucement, et, regrette le silence du monde pendant cette guerre. Il fait le rapprochement avec le génocide de 1915, et, l’holocauste. Il parle de l’enchaînement de ces silences injustes, qui pourrait avoir des conséquences graves, dans le futur.
« Seul Dieu peut réveiller la conscience du monde. Car nous sommes tous co-responsables. Il y a toujours des raisons d’espérer. Et, beaucoup de personnes agissent pour améliorer les choses, pour construire une paix durable et juste. Les Arméniens veulent vivre sur leurs terres, en harmonie avec leurs voisins. »
Sainte Etchmiadzin et Saint Grégoire l’Illuminateur
Le père prend ses affaires et enfile son manteau noir. Il part pour Erevan, où il a une réunion importante pour la grande fête de demain, celle de Saint Grégoire l’Illuminateur. Nous sortons de sa cellule. Dehors, dans la galerie sont exposés des vestiges sacrés, des stèles en pierre. Sur chacun est sculptée une croix.
« On les appelle khatchkars, explique-t-il. Certaines datent du 9è siècle. Les plus anciens encore existants dateraient du 4è ou 5è siècle »
Finement sculptés et ciselés, ils sont présents par milliers en Arménie. Ils se trouvent le plus souvent à côté des lieux de culte et des lieux de commémoration. Ils mesurent entre 1 et 3 mètres, et, représentent la croix du Christ, avec sa nature divine, et, se termine en arbre de vie. Les khatchkars sont l’équivalent de nos calvaires en France, dans leur signification. Mais, ils ressemblent davantage à des stèles. Inscrits au patrimoine mondial de l’Unesco, en Turquie, elles ont été systématiquement détruites.
« Dans les territoire conquis dernièrement par l’Azerbaïdjan une campagne de leur destruction est en cours. Tout comme les lieux de culte, ajoute-t-il ».
Le père presse le pas, il fait office de guide, parle des musées, de celui du trésor où est exposée la relique de la lance qui aurait transpercé le Cœur du Christ, à la suite de Sa crucifixion. Au loin, nous apercevons le Mont Ararat, qui n’a plus sa parure de nuages. Le père monte dans sa voiture, et, glisse : « demain tout le monde sera à la cathédrale d’Erevan pour fêter Saint Grégoire l’Illuminateur, venez nous rejoindre ». Dans la Cité Sainte, les 50 ha paraissent vides. Il se fait tard. Devant la résidence de Sa Sainteté, qui est interdite d’approcher, de filmer et de photographier, le service d’ordre s’active. Nous ne l’apercevrons pas. Notre demande d’interview est toujours en attente.
Texte et photos réalisés par Antoine BORDIER