Ainsi donc quatre tours de scrutin auront suffi pour faire du cardinal Robert Francis Prevost, préfet du dicastère des évêques, le 267ème successeur de Pierre.
Pour un fidèle catholique, deux sentiments doivent d’emblée prévaloir. D’abord la joie d’avoir un pape : « Annuntio vobis gaudium magnum », ensuite la bienveillance et un a priori favorable vis-à-vis du nouveau Pontife, désormais détenteur de l’autorité suprême dans l’Eglise.
Cependant la confiance naturelle et l’espérance surnaturelle ne doivent pas occulter une forme de lucidité. Or les signaux envoyés par l’élection de Léon XIV apparaissent déjà paradoxaux.
Une fois de plus s’avère exact le célèbre dicton : « Qui entre pape au conclave, en sort cardinal. » L’archi favori des bookmakers, le cardinal Pietro Parolin, secrétaire d’Etat du pape François, soit n°2 du Vatican, est sorti du conclave comme il y était entré : simple cardinal. Il est cependant permis de penser que l’élection rapide du cardinal Prévost est liée à un désistement en sa faveur du cardinal Parolin, trop proche du pape François et considéré par de nombreux cardinaux comme co-responsable de certains aspects parmi les moins glorieux du dernier pontificat : scandale Becciu, accords avec la Chine, etc. Cette hypothèse sera confirmée, ou infirmée, si le cardinal Parolin est prorogé dans ses fonctions de secrétaire d’Etat. En tout état de cause, Léon XIV est, à bien des égards, un fils spirituel du pape François et sa candidature était certainement portée par les cardinaux les plus progressistes du conclave.
Eléments biographiques
Né en 1955, d’origine américaine, le cardinal Prévost a d’abord suivi de solides études en mathématiques, théologie et droit canon tout en rejoignant la congrégation des religieux de Saint Augustin en 1977. Ordonné en 1982, il mène à partir de 1985 une expérience missionnaire au Pérou dont il acquiert la nationalité. De retour à Chicago en 1999, il devient prieur général de l’ordre de Saint Augustin pour deux mandats de 6 ans (2001-2013). En 2014 il est nommé par François évêque de Chiclayo au Pérou puis préfet du dicastère des évêques en 2023, et cardinal en septembre 2023. Signe de la confiance du défunt pontife il était membre de sept dicastères romains.
Le nouveau pape Léon XIV dispose de nombreux atouts pour exercer au mieux sa charge : expérience pastorale et curiale, maîtrise de six langues dont celle des signes, sens de l’écoute et discrétion, volonté de paix dans l’Eglise et hors de l’Eglise. Elu d’un corps électoral composé à 80% de cardinaux nommés par le pape François, il semble en partager les grandes orientations : souci des « périphéries », souhait d’une Eglise « synodale », plus inclusive et moins cléricale. Préfet du dicastère des évêques, il a obtenu la démission ou démis les évêques les plus conservateurs ou du moins les plus ouverts au courant traditionnaliste (Mgr Strickland au Texas, Mgr Rey à Fréjus-Toulon). Réelle conviction ou mission sur ordre ? Là aussi l’avenir le dira.
Inscription dans la lignée de Léon XIII
Ce qui est certain c’est que le style du nouveau pape tranche déjà avec celui de son prédécesseur. Il est apparu à la loggia de Saint Pierre revêtu de la mozette et de l’étole que portait Benoît XVI en des circonstances analogues alors que François était apparu simplement vêtu d’une soutane blanche. Le Saint Père était manifestement ému, un bon sourire éclairant son visage.
Le choix de Léon XIV comme nom n’est pas anodin. Il rompt la continuité des papes acteurs ou héritiers du concile Vatican II : Jean, Paul, Jean-Paul, sans devenir François II. Les observateurs ont noté que Léon XIII (1878-1903) avait été le pape de la première formalisation de la doctrine sociale de l’Eglise par l’encyclique Rerum Novarum en 1891. Il fut aussi le pape du ralliement à la République des catholiques français (1890). Moins ont noté que Léon XIII condamna un mouvement intellectuel appelé américanisme (Testem benevolentiæ, lettre du cardinal Gibbons, archevêque de Baltimore, 22 janvier 1899). Le pape dénonçait alors une forme d’indifférentisme religieux et la volonté d’adapter l’enseignement de l’Eglise « aux aspirations et aux théories des peuples modernes ».
Cette mise en garde avait été précédée de la publication de l’encyclique Libertas præstantissimum (20 juin 1888) qui fustigeait les libertés modernes :
« Le vrai, le bien, on a le droit de les propager dans l’Etat avec une liberté prudente, afin qu’un plus grand nombre en profite ; mais les doctrines mensongères, peste la plus fatale de toutes pour l’esprit ; mais les vices qui corrompent le cœur et les mœurs, il est juste que l’autorité publique emploie à les supprimer sa sollicitude, afin d’empêcher le mal de s’étendre pour la ruine de la société. »
Enseignement bien oublié aujourd’hui et qui ne semble pas faire partie des préoccupations du nouveau pontife. Léon XIII fut aussi l’auteur d’une vigoureuse condamnation de la franc-maçonnerie dans l’encyclique Humanum genus (20 avril 1884) et le pape qui demanda que soit récitée à la fin des messes basses la prière à Saint Michel Archange : « contre la malice et les embuches du démon », moyen surnaturel de conforter l’affirmation pontificale : « Le mal ne prévaudra pas ».
Situation critique de l’Eglise dans le monde
Plus qu’une Eglise en campagne, le pape François laisse à son successeur une Eglise en lambeaux. La confusion morale et doctrinale y est générale, comme le manifestent les réceptions diverses de la déclaration Fiducia supplicans sur la bénédiction des paires homosexuelles.
L’unité de foi n’existe plus.
Des pays de vieille chrétienté sont en phase de déchristianisation massive, face aux chaos de la modernité et des abus sexuels dans l’Eglise : Pologne, Irlande.
L’Islam militant poursuit sa progression au détriment de l’Eglise en Afrique et en Europe.
Les chrétiens d’Orient sont en voie de disparition.
Des nationalismes identitaires se renforcent dans une hostilité militante au catholicisme (Inde hindouiste du Bharatiya Janata Party, Russie orthodoxe, Chine nationale-communiste).
La question de la place du « monde traditionnel » dans l’Eglise est toujours pendante. Le nombre de prêtres diminue (- 3% en 10 ans) comme celui des séminaristes (-11%). On ne peut en même temps fustiger régulièrement le « cléricalisme » et susciter des vocations sacerdotales !
Les finances du Saint-Siège sont dans une situation catastrophique. Le slogan « Une Eglise pauvre pour les pauvres » atteint ses limites quand il s’agit de financer les retraites des salariés du Saint-Siège et les œuvres de miséricorde temporelle de l’Eglise.
Le personnel de la Curie est traumatisé par 12 années d’autoritarisme tatillon.
Une ligne de séparation
Mais, nous le savons, l’Eglise a les paroles de la Vie éternelle et le rôle du pape est d’abord de conforter ses frères dans la foi :
« J’ai prié pour toi afin que ta foi ne défaille pas. Et toi, une fois remis sur la bonne voie, affermis tes frères » (Luc, 22,32).
Puisse le pape Léon XIV être le bon Pasteur qui rassemblera le troupeau en marche vers celui qui est « la Voie, la Vérité et la Vie » : le Christ, véritable tête et chef de l’Eglise. Nos prières à cette intention lui sont acquises.
Jean-Pierre Maugendre