Lors de la messe d’hommage aux Bretons morts pour la France (1ère Guerre Mondiale) en la basilique Sainte-Anne-D’auray le 16 octobre, Mgr Centène a prononcé cette homélie :
"Dans le cadre du Centenaire de la guerre de 14-18 que l’on a qualifié de « grande », – parce que pour la première fois de notre histoire, elle fut mondiale, – parce que le nombre de morts a été très élevé, – parce que le sacrifice consenti a été infini, – et parce que ses conséquences furent incalculables, nous sommes réunis à Sainte-Anne-d’Auray, près du Mémorial qui a été édifié en leur honneur, pour rendre hommage aux soldats Bretons morts pour la France.
Combien furent-ils ? 240000 d’après ceux qui ont édifié ce mémorial, 130000 après que les sources aient été passées au crible de la science historico-critique. Ce qui est certain c’est que le pourcentage de combattants morts est supérieur à celui de l’ensemble de la France. Le chiffre de 240000 même s’il manque d’exactitude était tenu pour vrai par ceux qui ont voulu honorer leur mémoire, peut-être parce qu’il prend en compte tous ceux qui, une fois démobilisés ont succombé des conséquences de leurs blessures ou de la dureté de la vie des tranchées, entre 1914 et 1932, et leur nombre est difficilement vérifiable. Peut-être aussi tout simplement parce qu’il traduit par son ampleur la stupeur, la sidération, le traumatisme d’une population rurale et pacifique dans laquelle la rumeur occupait une grande place et où les légendes se mêlaient aux croyances, à une époque où les gens n’avaient pas accès à une information précise et rigoureuse.
Ce qui est indéniable c’est que ce chiffre était tenu pour vrai et cette certitude, qu’elle qu’en soit la cause et quand bien même elle serait erronée, appartient aussi à l’histoire au sens le plus large du terme. C’est la raison pour laquelle je ne pense pas qu’il soit opportun, comme cela a pu parfois m’être demandé, de modifier ce chiffre qui figure sur le mémorial. Il traduit l’ampleur d’un sacrifice, qui de par sa nature fut infini, pour chacun de ceux qui l’a consenti, et l’on ne saurait minimiser ce qui de par soi est inquantifiable. Le chiffre de 240000, dont nous comprenons bien que la rondeur est symbolique, quand bien même il serait erroné, traduit plusieurs vérités :
- celle de la ténacité des régiments bretons qui ont pu être utilisés pour tenir des positions, là où d’autres régiments lâchaient prise,
- celle des qualités d’une population rurale assez disciplinée et renouvelée par une forte natalité, les départements bretons comptaient à cette époque parmi les plus peuplés.
- celle de la foi indéfectible d’un peuple catholique qui croyait en la vie éternelle et aux vertus du sacrifice,
- celle de l’amour du foyer et de la terre des pères qui pouvait aller jusqu’au don de soi. « Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux que l’on aime ».
Et c’est à toutes ces vertus qui ne se réduisent jamais à des calculs mesquins que nous voulons rendre hommage aujourd’hui, un hommage qui nous est dicté par le devoir qu’impose la mémoire. C’est un devoir de gratitude et de reconnaissance à l’égard de ceux qui ont donné leur vie pour nous. C’est un devoir de transmission aux générations futures qui ont besoin de savoir d’où elles viennent pour construire leur identité et pour bâtir le monde de demain, car celui qui ne connait pas son histoire est condamné à la revivre.
Pendant cette messe nous prierons pour le repos de l’âme de ces soldats tombés au champ d’honneur dans la fleur de leurs vingt ans, tout à la fois victimes et héros. Victimes de la folie des hommes et de l’emballement des forces obscures de l’histoire. Héros parce qu’ils ont eu la force d’aller jusqu’au bout de leur engagement. Ne voir en eux que des héros serait faire abstraction de leurs rêves interrompus, de leurs projets jamais réalisés et de leur désir de vivre. Ne voir en eux que des victimes serait les tuer une seconde fois en méprisant la force et la valeur de l’idéal qui les animait.
Nous prierons pour eux afin que soit rendu un hommage à la totalité de ce qu’ils étaient : pour la majorité, des hommes de conviction, dépositaires de la foi de leurs pères qui, à l’image de Jean-Pierre Calloc’h, le plus célèbre d’entre eux, ont été de grands Veilleurs, debout sur la tranchée de la civilisation et de la liberté. Que Sainte Anne, que la plupart d’entre eux étaient venus prier dans cette Basilique, leur ouvre les portes de l’éternité. « Tes fils bretons Morts pour la France Ont espéré, Sainte Anne, en toi. Accorde-leur la récompense de leur amour et de leur foi. » Que les vertus qui les faisaient vivre soient assumées par leurs héritiers et servent à jamais pour la construction de la paix."