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L'Eglise : Vie de l'Eglise

De l’été 1988 à l’été 2021

De l’été 1988 à l’été 2021

Alors que le mouvement traditionaliste traverse une nouvelle période d’épreuves, le Père de Blignières livre une série d’entretiens sur Claves rappelant l’importance de cette ligne de crête, exigeante comme l’est la vérité : fidélité à la tradition et fidélité au Saint Siège. Extrait :

[…] Le traditionalisme est né en réaction à la crise dans l’Église. Les causes de cette crise se préparent dès l’après-guerre, mais la crise elle-même se manifeste de façon aiguë après le concile Vatican II, notamment dans le domaine de la doctrine de la foi, de la catéchèse et de la liturgie. L’existence de cette crise est un fait bien documenté, qui n’est aujourd’hui plus guère remis en question, à la différence du déni qui a marqué les années 60 et 70[3]. Il faut noter d’ailleurs que bien des catholiques (et même certains non-catholiques) ont réagi contre la diminution des vérités de la foi, contre le primat de la pastorale sur la doctrine, et contre la décadence de la liturgie. On pourra se reporter, à titre d’exemples parmi beaucoup d’autres, aux livres de Jacques Maritain[4] ou d’Étienne Gilson[5], et à la pétition présentée à Paul VI par des artistes et écrivains de haut niveau pour le maintien de la liturgie traditionnelle (qui a abouti en 1971 à l’indult dit « Agatha Christie[6]»).

Le traditionalisme se dessine dans les années 50, avec notamment la lutte contre les nouvelles méthodes catéchétiques, l’opposition à la résurgence d’une théologie imprégnée de modernisme, le combat contre les influences marxistes au sein de l’Église. On peut dire qu’il se concrétise en deux temps :

  • À l’issue du concile, par la position exprimée dans la revue Itinéraires (position qui était aussi celle de l’abbé V.-A. Berto, qui fut au concile le théologien de Mgr Lefebvre), énonçant le principe de recevoir les actes du concile « en les interprétant dans l’esprit et à la lumière des enseignements antérieurs du magistère »[7] ;
  • En 1969 et 1970, lorsque la nouvelle messe est introduite de façon à supprimer l’ancienne, avec les réactions dont le Bref Examen critique du Nouvel Ordo Missæ, présenté par les cardinaux Ottaviani et Bacci, est le plus connu.

Depuis cette date, la question de la possibilité de la réception du concile à la lumière de la tradition, et le jugement critique sur la réforme liturgique, ont constitué (avec de nombreuses et importantes nuances) les deux pôles du positionnement traditionaliste.

Quel était le rôle de Mgr Lefebvre durant cette période ?

Il importe de relever que, contrairement à ce que beaucoup croient aujourd’hui, le traditionalisme n’a pas été fondé par Mgr Marcel Lefebvre, et qu’il ne se réduit pas à la FSSPX. Nombreux sont (surtout en France, pays qu’un évêque qualifiait récemment de « réacteur nucléaire du traditionalisme ») les revues, les personnalités laïques et les prêtres[8] qui, dès avant le concile et dans les années qui le suivent, militent pour le maintien des pédagogies traditionnelles. Ils s’opposent à un esprit nouveau ruineux pour la foi et qui sape la vitalité de l’Église, notamment en vidant les séminaires et les instituts religieux. Toute une résistance traditionnelle aux déviations modernes se développe. La pensée catholique classique qui s’exprime dans cette résistance est variée et elle est loin de se réduire à une réaction aux abus. Mais la hiérarchie ne la prend pas en considération (et elle y répond souvent par des mises en garde ou des condamnations). Les intellectuels progressistes, à de rares exceptions près[9], ne cherchent pas le dialogue. Madiran rappelle en 1989 ce que les collaborateurs de sa revue ont accompli, en toute indépendance (même si existaient des liens personnels amicaux) par rapport à Mgr Lefebvre et à son œuvre.

 Il est d’autres prêtres, il est d’autres laïcs, et surtout il est un courant de pensée militante, le nôtre, constitué en lui-même, antérieur à Écône et non pas disciple d’Écône ; absolument distinct d’une institution éconienne et d’un mouvement lefebvriste dont je ne souhaite, ni qu’ils soient traités comme un schisme, ni qu’ils le deviennent, mais qui assument évidemment ce double risque.  […] Contre l’esprit nouveau, contre la nouvelle religion, nous professons ce que l’Église a toujours professé, et déjà (en partie) la philosophie naturelle : la primauté de la contemplation sur l’action, de la dogmatique sur la pastorale, de la tradition sur l’innovation. Dans cette ligne, à cette condition, nous ne croyons pas impossible de recevoir et d’interpréter le concile Vatican II à la lumière de la tradition[10].

Pour la crise liturgique, qui commence avec les premières réformes de 1964, relevons un élément important, qui se situe aussi en dehors de l’influence de Mgr Lefebvre. C’est cette résistance de prêtres et de laïcs, qui prolonge sur le terrain les prises de positions des théologiens traditionnels. J’ai connu personnellement plusieurs de ces « résistants de la base ». Dans son enquête historique, Yves Chiron relève qu’il y eut, à l’initiative de laïcs, de nombreuses créations d’« Associations Saint-Pie-V », à la suite de la promulgation du nouvel Ordo, et lorsque les condamnations de Mgr Lefebvre donnèrent un énorme écho médiatique à la question traditionnaliste.

 Dans les faits [en 1969-1970], c’est la « résistance » de la base qui a permis que la messe traditionnelle perdure malgré les interdits de Rome, des Conférences épiscopales ou des diocèses. […] [À] partir de l’été 1976, de nombreuses associations de catholiques attachés à la liturgie traditionnelle furent créées dans toute la France, s’ajoutant aux dizaines qui existaient déjà. Ces associations locales, au nom souvent identique, ne furent pas suscitées par la Fraternité Saint-Pie-X, dont l’implantation était encore très faible. […] Les associations traditionalistes qui se créèrent étaient dues à l’initiative de fidèles qui voulaient soutenir le prêtre de leur paroisse encore attaché à cette liturgie ou un prêtre qui avait été marginalisé par les autorités diocésaines à cause de cet attachement et qui célébrait la messe dans un lieu de culte improvisé[11].

Conformément à son charisme épiscopal, Mgr Lefebvre jouera évidemment, à partir de la fondation de la FSSPX à Fribourg en 1970, et encore plus à partir de ce que Jean Madiran appellera à bon droit sa « condamnation sauvage » en 1975[12], un rôle très important dans le développement et l’évolution de ce courant religieux. Ce serait cependant une grave erreur que de réduire l’opposition d’inspiration traditionnelle à la crise dans l’Église à sa personne et à son œuvre. Citons de nouveau Jean Madiran :

[Dans le domaine où s’exerce l’activité de la revue], Itinéraires n’a jamais suivi Mgr Lefebvre, elle n’a jamais eu à le suivre pour la simple raison qu’elle l’a précédé. Les refus majeurs opposés à l’évolution conciliaire : le refus publiquement motivé du nouveau catéchisme en 1968, celui de la nouvelle messe en 1969-1970 ont été prononcés par d’autres que Mgr Lefebvre et sans qu’il s’en soit mêlé ; pour sa part, il travaillait dans le silence, sans participer aux controverses et aux débats ; ce sont les attaques contre son séminaire d’Écône qui l’ont amené, peu à peu et tardivement, à énoncer et défendre publiquement les principes et positions qui inspiraient son œuvre de formation sacerdotale, œuvre initialement discrète, quasiment monacale[13].

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