Un livre du père carme Conrad de Meester (décédé, qui a été l’un des experts du procès de béatification de Marthe Robin) à paraître début octobre met en cause la figure de Marthe Robin (+ en 1981), évoquant une « fraude mystique ». Sophie Guex, postulatrice de sa cause de béatification, réagit dans Famille chrétienne :
[…] Il faut savoir que 28 experts ont participé à l’enquête. Ce n’est pas rien ! Faire écho à une seule expertise c’est ignorer toutes les autres qui ont conduit l’Église à rendre un avis positif sur Marthe Robin en confirmant l’authenticité de sa vie chrétienne et en reconnaissant « l’héroïcité de ses vertus » (elle a été déclarée « vénérable » en 2014). Ne publier qu’un seul point de vue isolé, qui a été contredit par les autres experts et par l’ensemble des témoignages, est excessif et arbitraire. Le résultat, c’est de présenter une vision très partielle du dossier.
Peut-on assurer que l’enquête qui a conduit à la déclarer vénérable a été menée selon les règles de l’art ?
Cette enquête a été réalisée très sérieusement ! Elle a suivi toutes les étapes et les règles d’un procès classique. Il y a eu d’abord tous les témoins qui sont intervenus, l’enquête diocésaine avec un premier lot d’expertises. Cette phase a duré de 1986 à 1996. C’est le moment où le père Conrad de Meester a été sollicité comme censeur sur les écrits de Marthe. Toute cette documentation a été ensuite envoyée à Rome. Elle a été examinée et complétée par une enquête romaine jusqu’en 2014 ! Au terme de ce long processus, les consulteurs, puis les évêques et cardinaux de la Congrégation des causes des saints, ont rendu un avis favorable. Tous ont eu accès à l’intégralité du dossier, dont le rapport du P. de Meester. J’insiste sur la dimension collégiale de ce travail. Une enquête en canonisation est toujours un processus de discernement collégial. L’avis d’un expert est un avis personnel.
Le père de Meester connaissait-il l’ensemble du dossier ?
Il a été sollicité par l’évêque de Valence, dans le cadre du procès diocésain, pour analyser les écrits de Marthe Robin. Il a rendu un premier rapport en 1988/89. Il a rédigé un rapport complémentaire en 1994 après certaines expertises qui répondaient à ses objections. Mais il n’a pas eu accès à l’ensemble du dossier. Le père de Meester n’a jamais changé d’avis. Je ne veux pas le juger car j’ignore quelles étaient ses intentions. Mais cette attitude me fait penser à un avertissement récent du pape François : « toute personne retranchée dans “sa vérité” finit par devenir prisonnière d’elle-même et de ses propres positions. »
Le père de Meester accuserait Marthe d’avoir plagié des écrits de mystiques. Qu’en pensez-vous ?
C’est vrai que Marthe a emprunté des paragraphes entiers à d’autres mystiques. Mais le Père Conrad a oublié le paramètre de la progression… Ce procédé de Marthe remonte au début de ses expériences mystiques. Imaginez que vous fassiez des expériences mystiques sans avoir la possibilité de comprendre ce qui vous arrive. Pour comprendre, Marthe a fait avec les moyens du bord, en lisant des livres. Elle a trouvé chez d’autres mystiques des mots qui convenaient parfaitement à son expérience. Elle s’est donc coulée humblement dans les mots d’autres personnes. Padre Pio a fait pareil dans sa jeunesse. Mais après 1945, Marthe s’est détachée de ces modèles car elle a atteint une maturité mystique.
Que répondre au père de Meester qui mettrait en doute le fait que Marthe ait pu vivre sans boire ni manger ?
Cette question de « l’inédie » a été prise au sérieux au cours du procès. On a demandé à plusieurs témoins si elle se nourrissait, si des fruits disparaissaient dans sa chambre. Les témoignages ont attesté que personne ne l’avait vu manger à partir des années 1930. Sa maladie était évolutive et pendant certaines périodes de rémission quelques témoins ont attesté que Marthe pouvait absorber un peu de liquide. En dehors de ces moments, elle n’était plus capable de déglutir. A la fin de sa vie, elle n’avait plus de salive dans la bouche. Cela dit, l’inédie ne pourra jamais être prouvée scientifiquement dans le cas de Marthe Robin.
Marthe Robin a-t-elle reçu ou pas les stigmates ?
Il ne faut pas dire comme le font certains : « Elle saignait des mains et des pieds tous les vendredis ! » La réalité est plus nuancée. Le procès contient plusieurs témoignages crédibles de prêtres et de médecins qui attestent l’existence de plaies sanglantes au visage et au cœur. Ces phénomènes ont évolué pendant sa vie. A la fin de sa vie, elle ne saignait plus qu’au front et versait chaque nuit des larmes de sang. Un dernier élément important : on a analysé un morceau de tissu ensanglanté. Les résultats ont trouvé du sang humain sous deux formes : une forme normale et une forme exsudée c’est-à-dire une sueur de sang. Cela est impossible à falsifier.
Sur Facebook, Yrieix Denis, journaliste, notamment dans La Nef, et qui travaille sur la question de l’imposture intellectuelle, les dérives sectaires au sein de l’Église catholique et sur des imposteurs contemporains au sein de l’Église, annonce consacrer un chapitre à « l’héritage » hagiographique de Marthe Robin. Il estime que, selon un faisceau d’indices nombreux, Marthe Robin et son entourage ont abusé de la confiance des catholiques. Si Marthe Robin a effectivement été reconnue “vénérable” pour des “vertus héroïques”, elle n’est pas canonisée et l’infaillibilité pontificale n’est pas engagée.